8h30 l'heure à laquelle Takako arrivait généralement... Le gardien posa les yeux sur la barrière, personne. Tiens donc, il était rare qu'il soit en retard celui-ci. La journée allait être longue, comme toute les autres, mais aujourd'hui on était mardi, jour de livraison, le jour préféré d'Edouard. Cela faisait quelques mois que Takako livrait le laboratoire régulièrement, avant lui l'autre chauffeur était vraiment un sale type, trop peu aimable. Mais avec Takako, c'était différent, un café offert des mots échangés, et le début d'une bonne entente, oui vraiment, le mardi était une bonne journée pour Edouard. 8H42, qu'est-ce qu'il fabriquait ? Le gardien ferma le journal qu'il n'arrivait plus à lire depuis 20 min, puis pianota des doigts sur la tablette devant lui.

Tiens ! Le voilà ! Le camion habituel s'arrêta devant la barrière, mais le Takako habituel en revanche avait été remplacé par une petite japonaise.

Il avait parlé sèchement soit, mais c' était vraiment le début d'une journée emmerdante et il avait décidé que cette fille y était pour quelque chose. La carte de travail avait l'air en règle, la camionnette avait la même plaque d'identité que celle utilisée par Takako, de plus elle connaissait son nom. Elle avait l'air réglo donc, il lui rendit sa carte et ouvrit la barrière, prenant dans le même geste son journal qui finalement se retrouvait être son meilleur ami pour la journée.

Quelques mètres plus loin, Kamae gara le véhicule... Une fois sortie du camion, deux magasiniers firent leurs apparition, après un bref salut, la livreuse ouvrit le sas du véhicule et se retourna vers eux : "Les toilettes c'est par où ?"

Un des types lui indiqua un chemin qu'elle prit d'une démarche mal assurée, entendant au loin les deux types faire une quelconque remarque machiste.

Elle continua à jouer la comédie même hors de vue des deux types, on ne savait jamais entre les caméras et les passages dans le couloir. Il lui fallait faire rapidement le tour des lieux tout en retenant et glanant le plus d'informations possible. La disposition des locaux, la place des caméras, le nombre de laboratoire, le type de sécurité, poser une ou deux caméras aux endroits stratégiques, il y avait beaucoup de choses à faire. Elle s'assura que le bouton de son uniforme était bien placé, bouton qui se trouvait être en réalité une petite caméra bien pratique.

Il ne restait plus qu'à croiser les doigts pour ne rencontrer personne de gênant...

Aujourd’hui avait commencé comme tous les autres jours de la semaine : d’une façon tellement banale que Severi en venait à se demander s’il n’était pas en train de revivre la même journée en boucle depuis ce début de semaine. Une nuit sans sommeil ou presque, une tasse de café, un toast beurré, trois pancakes, des œufs brouillés, deux tranches de bacon, une dizaine de remarques désagréables de la part de sa maîtresse, quatre aller-retour pour ramener divers objets balancé à travers l’appart, une bonne trentaine de minutes pour aller au laboratoire et de l’ennui façon buffet à volonté. Copie conforme de la veille et de la précédente encore…

A présent assis sur un tabouret, une perfusion plantée dans le bras droit, le lycanthrope essayait de détourner son attention de l’aiguille insérée par Chiaki un peu plus tôt, et de passer le temps. Sophie la Girafe, placée entre ses mains, couinait à un rythme régulier en le fixant avec les deux ovales noirs symbolisant ses yeux. C’était tout de même plus amusant lorsque c’était une autre personne qui la lui lançait ou lui faisait faire du bruit…mais que voulez-vous ? On s’occupe bien comme on peut.
Pour une fois, il regrettait d’ailleurs de ne pas avoir une proie à filer ou à attraper. Entre laisser libre cours à ses instincts de chasseur et passer son temps à se faire injecter des produits et prélever du sang, il n’y avait pas photo. Surtout pour quelqu’un de plus ou moins achmophobe sur les bords. Et même s’il ne revenait pas forcément de ses missions en un seul morceau, au moins avait-il l’impression d’avoir été un peu utile.

Bercé par cette ambiance morose et d’inactivité totale, le finlandais commençait par se mettre à somnoler quand une odeur étrangère s’insinua jusqu’à son nez et le tira de sa rêverie. Des gens nouveaux ici, il n’y en avait pas tous les quatre matins et généralement, ils étaient présentés au personnel complet avant et après leur embauche. La présence d’une personne fraîchement arrivée était sonnait donc un peu étrange.
Il ne fallut pas plus que ce petit doute pour que Severi, heureux de trouver une excuse pour stopper le flux de liquide dans ses veines (Chiaki le serait moins, heureuse…), arrache sa perfusion sans grand ménagement. Puis, sa fidèle amie Sophie toujours en main, il se dirigea rapidement vers le corridor.
Pour n’y trouver absolument rien si ce n’est du vide.

*Pressé cet individu…*

N’oublions cependant pas que notre blond était un chasseur. La traque était son domaine et c’est sans aucun mal qu’il suivit la piste tout juste tracée grâce à son odorat surdéveloppé. Rendu un peu nauséeux par la substance courant dans son corps, il réussit néanmoins à presser le pas et, très vite, aperçu l’intrus de dos, à quelques mètres de lui.

« Hey, vous ! Je peux savoir ce que vous faites ? C’est interdit au public ici. » clamât-il à son attention, ses yeux bleu glacier détaillant la silhouette d’un air sévère.

Son regard était froid tandis que ses yeux bleu arctique parcouraient rapidement la silhouette de la jeune femme. Elle était vêtue d’une tenue de transporteur comme il lui arrivait parfois d’en apercevoir par la fenêtre, mais il ne lui semblait pas l’avoir déjà vu, elle, venir décharger dans le coin. Et d’ordinaire, c’était plutôt des hommes à qui l’on avait à faire dans ce métier…
Severi restait donc prudent. Méfiant même. Ne se laissant pas une seule seconde amadouer par le minois gêné de la brune et gardant un air dur et le nez légèrement plissé. Son odorat ne se trompait que rarement et il fallait dire que là, ça sentait un peu l’embrouille.

« Hm. Il y avait des toilettes plus près et destinés au public peu après l’entrée des transporteurs. Mais soit… »

Prêt à lui accorder le bénéfice du doute ? A moitié seulement. Parce que certes : le laboratoire était vaste et faisait office d’un véritable dédale de couloirs quand on ne connaissait pas les lieux, mais pour louper les sanitaires publics, il fallait néanmoins vraiment être bigleux.
Sans un mot de plus, il laissa donc la demoiselle entrer dans les toilettes pour dames mais resta campé sur ses positions, à l’angle du couloir, s’apprêtant à faire demi-tour dès que l’employée en aurait fini et retournerait à sa camionnette.

Les secondes passèrent, se transformant en minutes, et la jeune femme ne réapparaissait cependant toujours pas. Qu’est-ce qui pouvait bien prendre autant de temps ?! Beaucoup de choses tout à fait légitimes, vous le concevrez, mais plein de soupçon, le Finlandais n’attendit pas un instant de plus et fonça là on était entré la suspecte.

Et c’est avec stupeur qu’il vit s’évanouir une jambe dans le conduit d’aération.

Pestant de tout son soûl, le lycanthrope sortit aussi vite qu’il était entré et, les yeux au plafond, chercha immédiatement à prédire où le canal pourrait la conduire. Aider de son flair, il finit par arriver devant deux grandes portes s’ouvrant sur une vaste salle de stockage. Cartons et emballages divers se devinaient çà et là dans la pénombre, empilés, donnant à la pièce une allure de mini labyrinthe. Et quelque part là-dedans se terrait l’intruse, le blond en était presque sûr.

Il avança donc lentement, sens complètement aux aguets, bien décider à dénicher la brune et à lui montrer ce qu’il en coûtait se s’aventurer en territoire hostile…

Kamae transpirait abondamment.
Elle s’efforçait d’avancer dans la bouche d’aération le plus vite possible et sans bruit mais l’opération s’avérait délicate. Elle ne pouvait s’arrêter, bien qu’elle ne se sache pas suivie, elle avait peur de ce qui pouvait se trouver à l’arrivée. Elle s’était retrouvée sur le territoire d’un prédateur dangereux et en avait perdu son calme. Ramper dans ces conditions était vraiment mal aisé et pour ne pas perde de vitesse elle ignora les quelques intersections qui se trouvaient sur son chemin et fila tout droit.
Arrivée devant une plaque d’aération qui indiquait la fin de son périple elle s’immobilisa et prit un temps pour scruter la salle. Une immense salle de stockage, de vieux cartons, de médicaments et autres vieilles machines d’analyses. Elle ne pouvait rêver mieux pour s’y glisser et s’y cacher sauf si… elle se replongea dans l’observation de la salle, tous ses sens aux aguets.
Et s’il était déjà là à l’attendre ?
Kamae n’avait aucune idée du temps qu’il lui avait fallu pour parcourir ce chemin. Elle tenta de vérifier si personne ne se trouvait sous la plaque, à attendre qu’elle sorte, mais elle n’avait aucune visibilité et plus elle attendait, plus elle avait de chances d’être prise au piège. L'espionne agrippa la plaque et la poussa de toutes ses forces. Celle-ci n’était pas soudée par chance et bougea assez bruyamment. Foutu pour foutu la jeune femme se laissa tomber dans la salle.

Personne ne lui sauta à la gorge et elle prit quelques secondes pour que ses yeux s’habituent à la semi-pénombre et que sa tête arrête de tourner. Puis la lycan s’accroupie à terre et entreprit sa transformation. Il lui fallut comprimer sa douleur. Elle était habituée à se transformer rapidement et en toutes circonstances mais la transformation monopolisa toute sa concentration et l’empêcha d’entendre que l’on venait d’entrer dans la pièce.


Le caméléon tenta de se dépêtrer des vêtements de la jeune femme. Lorsqu’elle sorti sa tête, ses yeux firent le tour de la salle. Plutôt élancée, elle se dodelina sur ses pattes de manière incertaine. Sa vue nocturne était mauvaise, mais l'animal senti que le sol tremblait. La créature qui s’approchait était énorme et c’est l’instinct, sinon la peur qui lui permit de se trouver un chemin pour se faufiler entre les cartons. Trop tard semblait-il car elle fut prise dans un étau. Une main géante s’était refermée sur elle et l’instant d’après la petite chose volait dans les airs, se retrouvant nez-à-nez avec la figure d’un homme étonné. Celui-ci le renifla.
La lycan changea de couleur : marron-noir, signifiant ainsi qu’elle était prête à disputer chèrement sa peau...

L’adrénaline de cette poursuite commençait tellement à monter à la tête de Severi que ce dernier avait du mal à contenir sa transformation. Sa concentration s’éparpillait donc, se divisait, d’un côté pour lui permettre de ne pas finir immédiatement en gros toutou féroce, et de l’autre pour qu’il reste tout de même aux aguets et continue les recherches. Ainsi, la tâche était loin d’être facile, et plus le temps passait, plus le finlandais espérait  abréger cette mascarade en capturant la jeune femme.

Aux premiers abords, la pièce semblait vide. Une sorte de grande réserve pleine de cartons poussiéreux. Mais, bien que son flair soit amoindri par l’odeur entêtante des produits médicaux qui y régnait, le blond sentait bel et bien le parfum de la brunette.
Avançant prudemment, ses yeux bleus balayaient sans relâche tout ce qui se trouvait à la portée de son regard. Rien de notable néanmoins. Pas de bruit particulier non plus, exceptés ses propre bruit de pas résonnant à travers les murs sales, qui aurait pu le mettre sur la piste. Le lycanthrope continua donc de se diriger à l’odorat, jusqu’à ce qu’un très léger froissement attire son attention.

Il ne fallut pas plus d’une seconde pour que Severi fonce alors en direction du bruit. Ne songeant même pas à la possibilité qu’il s’agisse simplement d’un rat, le gardien s’élança, l’air déterminé, bien décidé à en finir.
Détermination qui se mua en surprise dès lors qu’il posa ensuite ses prunelles froides sur le reptile qui tentait de se glisser entre deux cartons. Un peu décontenancé, mais comprenant bien vite la situation en voyant les habits traînant au sol, le finlandais ne fut hésitant en aucun cas, et s’empara de la bestiole qui tentait de fuir.

Là, remontant la créature au niveau de son regard, nez à nez avec ce qui semblait être au final un caméléon – au vu de la couleur marronnée qu’il prenait subitement -, Severi ne put empêcher un sourire d’étirer ses lèvres. Un sourire moqueur, un peu méprisant, mais aussi teinté de nervosité de par le stress qui l’avait assaillit en apercevant la demoiselle un peu plus tôt. Puis, après le sourire, ce fut un rire franc qui s’échappa de sa gorge.

« Hahaha ! Un caméléon ! Mais à quoi pouvait bien penser tes supérieurs lorsqu’ils t’ont envoyés ici, hm ? » Le regard mauvais, supérieur, Severi sourit ensuite de nouveau pour montrer les crocs. Littéralement, parce que c’est bien de belles canines menaçantes qui luisaient doucement dans la pénombre. « Tu voulais visiter les lieux, non ? Mettre ton nez dans les projets du laboratoire ? Et bien tu vas y avoir droit. En tant que cobaye tu seras même au cœur de l’action ! »

Et sur ces belles paroles, et sans plus aucune méfiance – parce qu’après tout, que pouvait bien faire ce misérable lézard – il tourna les talons et commença à se diriger vers la sortie, prêt à ramener à sa maîtresse un tout nouveau jouet.

Il ne fallait jamais, ô grand jamais (!), baisser sa garde. Severi le savait. Il pratiquait les traques depuis plusieurs années maintenant, et ce n’était pas faute de se l’être fait répéter des centaines et des centaines de fois. Mais non. La vue de ce pitoyable reptile avait suffi à lui faire écarter la prudence dont il aurait dû continuer de faire preuve jusqu’à ce que le pauvre animal soit en cage.

Le finlandais n’avait ainsi pas vu venir la langue du caméléon partir, et celle-ci se ficha en plein dans son nez. Autant dire que le sourire goguenard qu’il affichait la seconde précédente s’effaça quasi immédiatement, remplacé alors par une grimace. De surprise, d’incompréhension. De dégoût, à cause de l’odeur entêtante et écœurante qui lui empli les narines – on ne se demandait pas où les mouches que le bestiau avait gobé à la dernière pleine lune s’étaient baladées, n’est-ce pas…
Mécontent, s’essuyant d’un revers de manche comme il pouvait, le blond fixa son prisonnier. Prêt à la balancer contre un mur pour tenter de l’assommer, il fut cependant de nouveau pris au dépourvu quand la langue fusa une deuxième fois. Et une deuxième fois bien plus douloureuse que la première.

D’ordinaire plutôt  peu vulgaire dans ces propos, Severi ne se retint pas ce coup-ci de lâcher un juron bien senti. Lâchant la bête, furieux, le jeune homme porta une de ses mains à son œil et très vite, les barrières que le finlandais avait érigé ces dernières minutes pour se contenir cédèrent ; sa métamorphose débuta.

Deux minutes plus tard, c’était un chien enragé qui aboyait et hurlait à la mort qui se trouvait à sa place. Fou d’avoir laissé s’échapper l’autre lycanthrope, Severi grognait, courrait dans tous les sens. Le caméléon. Il fallait trouver ce foutu caméléon. Où était-il ? Ici ? Ou non, plutôt par-là ! L’odeur de la salive collée à son nez lui donnait l’impression que la bête se trouvait partout et nulle part à la fois. Son odorat ne servait donc plus à rien. Severi était vaincu.

Et le beauceron, complètement furibond, ne vit jamais le petit lézard vert s’enfuir loin de toute l’agitation et le monde qu’il attirait de par ses hurlements.

- FIN -