C’était pour un ami. Suite à une réponse à un coup de fil paniqué il y a de ça plusieurs mois maintenant. C’était pour un ami. Simplement pour dépanner. « Juste pour cette fois. » qu’il avait dit. Pff, tu parles ! Comment avait-il pu sortir une ineptie pareille alors que jouer de la musique était une des choses qu’il appréciait le plus ? Sahel, parfois, tu sembles bien mal te connaître…

La preuve était qu’à présent, le jordanien avait arrêté de les compter, ces appels. Il s’agissait toujours de la même personne à l’autre bout du fil. Un ami de longue qu’il s’était fait à l’école de police, il y a de cela plus de quinze ans maintenant. Celui-là même qui avait fini de le faire plonger complètement dans la musique, lui qui, après avoir vécu pendant dix longues années sans son bras gauche et sans prothèse, n’avait fait que regarder tous les musiciens qu’ils croisaient d’un air envieux, sans espérer pouvoir un jour tenir une guitare de ses propres mains.
Il avait bien tenté de refuser, une ou deux fois, au début. Avant de capituler à chaque fois rapidement, en soupirant et secouant la tête. Lui d’ordinaire si têtu…ça en devenait ridicule. A croire que ça l’appelait ; les visages détendus, les battements du pied des clients, les rires et les applaudissements. Une fois qu’on prend goût à se donner en public, on a du mal à s’en passer…

Aujourd’hui, installé en retrait du responsable de tout ceci qui faisait entendre sa voix aux personnes du bar, le brun ne portait cependant pas trop attention aux têtes présentes dans l’assemblée. Pas parce qu’il se trouvait plus intimidé que les autres fois cependant. Non. Simplement, avec sa toute récente rentrée chez les F.S.R, le jordanien n’avait pas pu répéter autant qu’il l’aurait voulu. Les missions, les imprévus, les entraînements pour maintenir une santé physique irréprochables,…tant de choses qui avait fait qu’il avait dû annuler beaucoup de leurs répétitions à lui et son ami, les amenant donc tous deux un peu plus stressés que d’habitude à cette soirée.
Concentré, un peu nerveux, Sahel préférait ainsi surveiller ses doigts qui jouaient avec les cordes de la guitare sèche, car toute fausse note était bien évidemment la malvenue…

Au fur et à mesure que les notes s’échappaient des cordes pincées, Sahel s’était détendu. Oublié le manque de répétitions, oubliés le stress et l’appréhension. Il fallait dire que le jordanien savait très bien jouer depuis le temps, pour un public ou pour lui-même. Qu’il reprenne confiance en lui n’avait donc été ainsi qu’une simple question de temps.
La musique vivait enfin tranquillement dès lors, sans se soucier des détails. Mélodieuse, elle se baladait entre les personnes présentes dans le bar, et, que celles-ci aient tout de suite été charmées par ses notes ou bien qu’elles aient d’abord feint l’indifférence, toutes avaient fini par tourner la tête vers la scène à un moment donné.

Et ça en faisait des paires d’yeux… Mais l’agent des F.S.R ne fuyait plus les regards. Plus à l’aise, il avait relevé la tête alors que ses épaules s’étaient relâchées lentement. Nul besoin de continuer de fixer bêtement son instrument, alors qu’il pouvait désormais se permettre de scruter à son tour la salle, tout comme la salle l’observait.
La salle et surtout quelques demoiselles dans un coin, là-bas. Vu comme les quatre jeunes femmes les fixaient, lui et son ami, il était difficile de ne pas les voir. Un sourire en coin et un clin d’œil complice offert à ses dames – toujours utile pour fidéliser la clientèle, faire en sorte qu’on se souvienne de vous, ou pour tout ce que vous voulez d’autre – et l’arabe posait cependant déjà ses prunelles sur leurs voisins de table, et ainsi de suite.

Charmeur, débonnaire, il ne finit par se départir de son sourire que lorsque son regard sombre se posa sur une silhouette reclus sur une petite table au loin. Une silhouette qui manqua presque de faire s’arrêter Sahel tellement celui-ci fut surpris. A l’inverse, si l’autre avait trouvé cette rencontre aussi inattendue que lui, le choc de la surprise semblait lui être passé, et il avait maintenant l’air de boire tranquillement tout en continuant d’observer la petite scène.
C’est un sourire plus sincère, et surtout beaucoup plus amusé qui finit alors par naître sur les lèvres du brun. Pas de clin d’œil en revanche pour le monsieur en revanche. Même s’ils étaient en dehors du travail, Sahel ne se le serait pas permis. Pas alors qu’il était encore considéré comme le « petit nouveau » au sein de l’unité, vu son arrivée récente…

La prestation musicale toucha rapidement à sa fin. Ou du moins s’accordèrent-ils une pause alors qu’un autre groupe leurs succédait, attendant de voir si le gérant de l’établissement souhaitait les faire remonter sur scène plus tard dans la soirée ou pas.
Quoiqu’il en soit, ce fut l’occasion rêvée pour le jeune agent des F.S.R d’aller saluer la "connaissance" aperçu un peu plus tôt. La guitare aux vestiaires et une bière fraîchement servie dans une main, le jordanien balaya activement les lieux avant d’enfin repérer la petite table qui recherchait. Décontracté, l’air toujours réjoui par ce drôle de hasard, il s’approcha pour arriver aux côtés de l’autre homme.

« Et bien…vous étiez sans doute la dernière personne que je m’attendais à croiser ici, mon Capitaine. » Puis après un très court blanc, en désignant d’un signe de tête une chaise qui se trouvait à la table : « Je peux ? »