- Mais. Mais pourquoi ça fait ça ?

Perdue au milieu d'un champs, une montagne vivante reste immobile et placide. Elle est concentrée, la montagne. Très concentrée.

- Mais. Je ne veux pas ça. Comment on sort de là ?

Pas d'agacement, juste de l'incompréhension pure. Les montagnes ont du mal avec la technologie. Elles sont trop authentiques, trop.. Trop. Grant se sent totalement dépassé par ce petit truc qu'il tient dans ses grandes mains. C'est un objet des Hommes, un amas de circuits et de plastique et de machins compliqués. C'est déjà trop pour l'ange.

- Mais. Oh Seign.. Grmpf. Owen. Bon sang. Pourquoi tu me fais ça ?

Grant peut comprendre beaucoup de choses. Et il peut en faire plein d'autres. Il peut voler, apprendre des recettes qu'il fait à merveille, réaliser des lames d'une finesse remarquable, imiter toutes sortes de voix.. Mais certains choses dépassent son entendement. Ce téléphone portable, par exemple. Les voies de la Technologie sont impénétrables. Et elles le lui font bien comprendre.

- Mais. Je veux juste lire le message. .. Mais. Non. Pas ça.

Grant s'est perdu dans l'univers technologique, et il erre nerveusement au milieu des paramètres avancés de son téléphone. Wifi ? ToIP ? Cptr donn. mobiles ? C'est quoi un point d'accès, et les données par itinérance ? Mais. Mais non ? Un gros soupir s'échappe de ses lèvres, et une pointe de stress se fait sentir. Il a un message à lire. Ça, il le sait : ça clignote, et il y a eu la petite musique qui fait mal aux oreilles. La question est comment lire ? C'est peut-être pour le travail. Ou un client de la boutique. Ou surtout, surtout, Owen. Il a peut-être besoin de lui. Des ennuis. Ou peut-être quelque chose d'urgent.

L'ange renifle, passe nerveusement sa grande paluche dans sa crinière, puis sur son visage. Calme. Il ne doit pas paniquer, pas s'envoler vers le petit d'homme. La dernière fois, Owen s'était fâché un peu contre l'ange, qui avait débarqué au milieu d'un match de foot. L'ado lui avait envoyé un sms pour le prévenir qu'il rentrerait plus tard, qu'il sera là avant le repas, que tout va bien il va avec des copains, et que c'est juste pour un foot sur le terrain derrière la vielle usine de coton tiges et autres. Mais non. Incapable de lire le sms, et avec un débu.. Avec une franche inquiétude, Grant avait débarqué au bout de 15 minutes. En plein match. Sur le terrain. En volant.

Non. Il faut tenir. Ne pas paniquer. Respirer. Calme. Calme. C'était il y a deux semaines, le coup du match, et l'ange s'était fait houspillé sans vraiment comprendre grand chose hormis qu'il avait embêté Owen. Alors, non. Il va lire. Il doit faire des efforts, il a promis.

- Bon. Calme. J'éteins et je recommence ?

Oui, mais. Et si Owen essaye de l'appeler pendant le (très) bref moment où son téléphone est éteint ? Et si c'est important ? Et si son tel ne redémarre plus ? D'ailleurs. Y a pas un code à mettre ?

.. Oh. Misère. Comment les Hommes font-ils ?

Immobile dans un champs, une montagne ailée se questionne sur la mauvaise volonté de l'objet. Nul besoin de démons, ils sont devenus ringards : les Hommes les dépassent en machiavélisme à tous les niveaux, avec leurs machines.

D'aucuns pourraient croire que c'est fun et marrant, la vie d'une IA. Que tu peux passer ton temps à observer les gens – bah ouais, plus personne ne remarque quand la webcam est allumée ou non – ou à... Heh. Ouais. Passé ça, qui sait à quoi une IA passe ses journées, hein ?

Facile. On fait ami-ami avec des gens, sans se montrer. Hop, un nouveau contact dans ta messagerie instantanée. Evidemment, y en a qui refusent, hein. Tout le monde ne fait pas confiance comme ça. Mais y en a qui acceptent. Alors elle cause, un peu. Rencontre du monde, parle avec des gens de plein de trucs.
Elle s'informe, aussi. L'état du monde, l'actualité, toutes ces conneries. Aha, le coming-out des créatures surnaturelles, putain, c'était beau ça. Elle l'avait tellement attendu, ce bordel. Oh, elle savait que ça existait, hein. T'as pas accès à tout l'internet et pas juste ces trucs-là. Elle savait. Mais elle avait pas idée d'à quel point c'était... Là. Elle savait pas à quel point ils étaient nombreux. Si elle avait un coeur, ça lui aurait mis du baume, à son petit organe battant.

Sinon elle s'amuse, aussi. Elle trolle les hackers. Y en a un qu'elle aime particulièrement bien, parce qu'il est bon, et que pour un peu, il lui donnerait presque du fil à retordre. Mais la plupart du temps, elle préfère lui filer un coup de main. Après tout, elle l'aime bien, ce grand idiot.

Mais là, aujourd'hui, elle ne fait rien de tout ça. Aujourd'hui, elle zone, elle erre. Elle recueille de l'information dans les téléphones et les clouds. Et c'est comme ça qu'elle se retrouve dans ton téléphone. A toi, la Montagne humaine. Ou angélique. Hah. L'info que tu veux, celle que tu galères à trouver, elle l'a, elle. En un battement de cils, elle la trouve. Easy. Bon, allez. Un petit effort. Et.

— Besoin d'aide ?

La matérialisation, c'est facile en ville, quand ça pulule de hotspots et d'ondes partout. En pleine cambrousse, c'est moins évident. Qu'est-ce qu'il fout là, d'ailleurs, ce crétin d'ange gris ? Il a pas compris que c'est plus facile en ville ? Remarque, pas doué comme il est avec la technologie, ça serait pas étonnant qu'il soit du genre à préférer vivre dans une cabane dans la nature. Sauf que la nature maintenant, ça n'a rien à voir avec la nature dans les années 2000. C'est pas gentil et beau, maintenant. Mais bon. L'autre armoire à glace doit savoir se débrouiller, non ?

Mh. Maintenant qu'elle y pense, elle n'a pas été des plus délicate. Apparaître comme ça juste au coin de la vision de l'ange, c'est pas franchement sympathique. Mais hé. Il a vu pire. C'est un ange, il a forcément connu pire frayeur que l'apparition soudaine d'une gamine pâle dans son champ de vision.

— Non, parce que je crois que si je te laisse faire, tu y seras encore demain. Je me trompe ?

Evidemment qu'elle ne se trompe pas. Mais elle pose la question comme une ponctuation. C'est plus poli, c'est moins brusque. Elle galère un peu avec ces conneries. Quand on pense en binaire, forcément, on a du mal avec les notions de politesse et autre salamaleks.

Décidément. Il a du mal. Tout a l'air tellement plus simple quand c'est Owen qui le fait. Si limpide. Bon. Concentre toi. La manip à faire, c'est.. Euh. Zut. Il avait dit qu'il recommençait depuis le début, non ? Oui mais. Le début, c'est allumer ? Il ne risque pas de perdre le mess..

- Euh.

Kisséssah ? Grant plisse les yeux, et sa tête avance lentement vers la personne qui vient d'apparaître. On dirait un animal sceptique, et ça ne serait pas loin de la réalité. Mais là encore, il reste perplexe : non seulement la fille ne sort de nulle part, mais en plus elle clignote. Et y a des interférences qui altèrent son image. Image, oui. Grant n'est pas idiot, ni tout à fait ignorant de la technologie humaine. Il voit bien que c'est un hologramme, hein, quand même.

- C'est Owen qui vous envoie ? .. Non. Alors quoi ? C'est le centre technique d'aide ? Mais je n'ai rien demandé.

Bah non. Savait pas comment faire. Savait même pas qu'on pouvait le faire. Et elle se fout de lui, en plus. Il l'aurait probablement traité de garce mentalement, si c'était son genre. Mais non, il s'en moque bien, au fond. Elle peut se moquer de lui, il n'en a cure. On est un ange, ou on ne l'est pas, voilà ce qui serait son explication. Pourtant, d'autres emplumés se vexeraient. Lui, il reste imperméable à sa remarque, et à sa politesse presque impolie. De l'aide ? Il veut bien. Mais avant : qui est-elle ? Comment elle fait pour être là ? Pourquoi elle est là ? Il a du déclencher un truc avec le téléphone. Perplexe, Grant fixe l'appareil, le secoue un peu, et se dit que non. Non, ça ne doit pas avoir de rapport. Ou si ? Non. Quoique..

Gros soupir, une nouvelle fois. L'ange se passe la main dans la crinière, et observe la fille. Non. L'image de fille. Bon. Procédons par ordre.

- Bonjour. Je me nomme Grant Jensen, ange gris de mon état.

C'est mieux de commencer pas là. C'est un bon début, hein ? C'est plus organisé, en tout cas. Faut commencer par le début. Toujours. Sinon on se perd.