Aujourd’hui était une journée comme toutes les autres.
Ou du moins, elle aurait dû l’être.

Mais il fallait croire que Nikita avait fâché une entité divine récemment, écrasé un chat noir, brisé un miroir ou fait n’importe quel autre acte justifiant que ce jour soit placé sous le signe de la poisse. Entre les détecteurs d’incendie qui s’étaient déclenchés tous seuls ce matin et avaient salopé son appart, la coupure de courant qui l’avait obligé à utiliser les escaliers pour se rendre au rez-de-chaussée – il s’était détesté d’avoir choisi d’habiter le dernier étage d’un building aussi haut – et sa voiture qui avait refusé de démarrer, ça n’arrêtait pas. Et encore, je vous épargne les détails, vous risqueriez de vous sentir obligé d’avoir pitié de lui ensuite.
Au final, il arriva au tribunal juste à l’heure pour le début de la séance et se hâta de rejoindre la salle où devait avoir lieu le procès, refusant de se permettre ne serait-ce que quelques minutes de retard. D’autant plus que Lazar devait l’attendre, l’avocat lui ayant justement demandé d’arriver plus tôt pour éclaircir une petite chose qui n’avait attiré son attention que très tard la veille. Bah, tant pis, il n’y avait plus le temps pour ça maintenant. Il se débrouillerait le moment venu, ce ne serait pas la première fois. D’ailleurs, puisqu’on parlait du loup, il l’apercevait justement à quelques mètres de là.

Nikita le rejoignit et... non.
Nikita voulut le rejoindre, mais n’y parvint pas.

Vous avez déjà essayé d’amorcer un virage serré sur un sol parfaitement lisse et alors que vous avancez à vive allure ?
Eh bien lui, maintenant, oui. Le vol plané valut le coup d’œil. Et la tête que tirait Nikita aurait sans doute été capable de déclencher un fou-rire chez un dépressif confirmé.

Bien. Voila. Il était là. A poireauter comme un con dans le gigantesque couloir de marbre. Comme le lui avait siiiiiii gentiment demandé son avocat chéri favori qu'il n'était même plus la peine de nommer.
Avocat qui, comme de juste, se trouvait être en retard, et ne daignait même pas répondre à ses maints appels.
Bien bien bien bien bieeeeeeeen.
Et la séance démarrait dans moins de vingts minutes. Parfait.
Autant dire que c'était avec une pointe d'agacement non contenue que Lazar s’adressait à présent au reste du monde.
Et vous pensez vraiment que Lazar puisse s'inquiéter de ce retard parfaitement inhabituel de la part de son collègue lycanthrope ? Qu'il puisse penser que quelque chose de grave, de terrible, puisse s'être passé ? Ahahaha, que nenni ! Ce serait vous fourrer le doigt dans l'œil jusqu'au coude, chers crétins plein de l'espoir de voir nos deux protagonistes ressentir une amitié forte et compatissante l'un envers l'autre. Lolilolz, comme disent les djeunz.

Vous connaissez ce tic totalement frustrant qui nous pousse à regarder l'heure toutes les dix secondes, lorsque l'on attend quelque chose - ou en l'occurrence, quelqu'un - ? Lazar était à peu prés dans ce même état. Allez, une dernière fois. Le serpent sortit son téléphone de sa poche, jeta un regard sombre sur l'écran, quand il leva machinalement le nez vers le bout du couloir. Pourquoi ? Pressentiment surement.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir débarquer sans crier gare ce cher Nikita au détour du mur. Il leva la main dans un salut rapide tandis qu'un sourire s'empara de son visage. Sourire qui se figea net en étant témoin de, tenez-vous bien...

La plus belle gamelle de toute l'histoire des hommes de loi, mesdames et messieurs !

Il eu l'impression de voir le vol plané en slow-mo, façon film d'action. Derrière ses verres noirs, ses yeux s'agrandirent de surprise, avant que son corps n'ai la réaction la plus logique qui soit dans ce genre de situation :

click

Fais risette à la caméra, Nikita-chou. ♥

Que c'était beau, la technologie, tout de même. Lazar se chargea de pianoter l'appareil avec dextérité pour sauvegarder la photo toute fraiche et pour envoyer le fichier vers d'autres plates-formes numériques. Puis, mains dans les poches, il dut faire un effort atroce, immense et douloureux pour se retenir d'éclater de rire devant la mine déconfite de l'homme-serpillière à ses pieds. Il avait le sentiment d'avoir assisté à quelque chose de magique.

Si le simple fait de se sentir ridicule pouvait tuer, Nikita serait probablement mort sur le coup de s’être vautré d’une manière aussi élégante sous les yeux du serpent.

Mais bon, ça serait trop facile.

L’humiliation lui cuisait les joues, tandis faisait de son mieux pour ne surtout pas lever la tête et croiser le regard de Lazar. Il ne voulait même pas voir l’expression qu’il arborer, ni même essayer seulement de l’imaginer. Il savait simplement qu’elle ne lui plairait pas. du. tout.

Et puis là, ce fut le drame.
Difficile de se méprendre sur ce petit bruit caractéristique. Est-ce qu’il venait juste de prendre une photo, là ? Sérieusement, il allait le tuer.
Mais d’abord, il allait cesser de faire ami-ami avec le sol. L’air de rien, il se releva et arrangea ses habits, réajustant ici son col, époussetant là une poussière imaginaire avec des gestes lents et calmes. Un calme qu’il était bien loin de ressentir intérieurement, comme on pouvait se douter avec le ridicule dont il venait de se parer.

Finalement, il cessa son petit manège et se tourna vers Lazar – en restant bien sur ces deux pieds cette fois-ci, faut pas pousser non plus – et tendit une main vers lui, paume vers le ciel.

« Donne-moi ça », ordonna-t-il d’une voix détachée et tout à fait neutre. Donne-moi ça et je ne te ferais presque pas regretter d’avoir songé à faire une chose pareille, disaient ses yeux verts brillants de colère, en contradiction totale avec le reste de son visage qui n’affichait aucune émotion.

Plus drôle encore que la chute était la réaction de Nikita. Ce magnifique bug mental qui s'était inscrit dans ses yeux au moment où il avait réalisé la vilénie du serpent, sa façon de se redresser promptement et d'épousseter avec une lenteur calculée la poussière inexistante sur son costume, tout ça était détenteur d'un pouvoir comique hautement inimaginable, pour qui connaissait Nikita.
Et bien oui, forcement. Déjà, voir une personne normale se casser la gueule de façon totalement random dans la rue, c'était drôle, mais quand il s'agissait de l'avocat le plus insupportable et le plus fier que cette terre ait jamais portée, c'était du haut niveau.

Avant même qu'il ne prenne la preuve de ce fracassage de fesses contre le marbre, avant même qu'il n'ait commencé à réagir au moment M, Lazar avait été sur de deux choses.
La première, c'est que cette image resterai gravée à vie dans sa mémoire, et qu'il exploserait d'un rire moqueur et incontrôlable à chaque fois qu'il y repenserait.
La seconde, c'était que son espérance de vie se réduirait d'un coup comme peau de chagrin.

Son instinct ne l'avait manifestement pas trompé quand il remarqua l'éclat sourd de colère dans les yeux de la panthère. Monsieur ne voulait pas faire d'histoire en public alors il faisait tout pour garder une image et une réputation impeccable (bien que celle-ci se soit cassée la binette en même temps que sa fierté) en forçant un ton d'un calme olympien, en totale contradiction avec le bouillonnement intérieur que Lazar voyait comme le pif au milieu de la figure.

Et évidement, tout suicidaire qu'il était :

« Te donner quoi ? La punition pour ton retard ? Ou la note artistique de ton superbe plongeon ? »

Il avait glissé l'arme du crime dans la poche arrière de son pantalon et arborait à présent un sourire guilleret en montrant ses mains, vides, à l'avocat.

A cet instant précis, Nikita était en train de lister toutes les manières possibles et imaginables qui lui traversaient l’esprit pour réduire radicalement les jours qu’il restait à vivre à son cher collègue. Et je peux vous assurer que son imagination ne lui faisait pas défaut, pour le coup.
Mais dans l’immédiat, il y avait quelque chose de bien plus important à faire, à savoir récupérer la preuve de son viandage et la détruire définitivement. La mémoire de Lazar était déjà plus que suffisante pour conserver les souvenirs de ce qu’il venait de se passer jusque dans les moindres détails, il n’en doutait pas une seule seconde et savait qu’il n’avait pas fini d’en entendre parler.
L’idée que l’être mesquin lui faisant face ait déjà songé à sauvegarder la photo dans un ailleurs plus sécurisé que son portable ne lui avait même pas traversé l’esprit, trop occupé qu’il était à haïr l'autre lycanthrope.

Lequel n’en manquait d’ailleurs pas une pour se foutre de sa gueule, comme le prouvaient ses dires à l‘instant. Nikita se crispa et arbora une grimace contrariée. Peut-être qu’il avait vraiment envie de mourir, après tout.

« Quel humour décapant, j’ai failli avoir un fou-rire. »

Et ce sourire, bordel, il avait une de ces envies de le lui faire ravaler avec un bon coup de poing dans la tronche ! Mais bon, la séance commençait bientôt, ça ferait sale si son client était abîmé. D’autant plus qu’il ne se conterait probablement pas de se laisser gentiment faire sans riposter.

« Maintenant, cesse tes enfantillages et donne-moi ton portable. »

L’hôpital qui se fout de la charité.

La panthère n’attendit même pas que son vis-à-vis lui réponde, sachant pertinemment qu’il n’accéderait de toute façon pas à sa demande, et prit l’initiative d’aller lui-même récupérer le mobile là où Lazar l’y avait rangé.

Sérieusement, ce début de conversation était dangereux. Ça puait l'immaturité à plein nez. Nul doute que les tiers autours d'eux n'avaient même pas besoin de les connaitre pour comprendre que s'ils se fixaient ainsi façon chien de faïence, ce n'était pas à cause d'une discussion grave comme il en était de mise dans ce genre d'endroit - et avec le sourire de Lazar, ce n'était pas bien dur à piger - mais bien des taquineries purement gamines.

D'ailleurs, l'homme d'affaire entendait encore quelque pouffements incontrôlés qui ne venait pas de lui, mais bel et bien des quidams. En son for intérieur, il était quand même un peu désolé pour Nikita.

Ou pas.

C'était tellement jouissif de le voir au bas de son joli piédestal doré qu'au final, il n'avait aucun remord. Même en creusant très profondément, on ne trouverai même pas un once de pitié.

« Pardon, j'avais oublié que ton ami le balai qui logeait dans tes fesses t'empêchait de saisir l'humour. »

Malgré la séance, malgré le regard de l'avocat, il se sentait incroyablement ragaillardi et de bonne humeur. Comme quoi il n'en fallait pas beaucoup. Il eu cependant le réflexe de se reculer d'un pas ou deux et d'intercepter un des poignets de Nikita en le sentant porter la main à son téléphone.

« Wow wow wow ! Hé, ça va chercher dans les combien, le vol de biens personnels associé à des attouchements non consentants ? »

Le rictus qu'il arborait aurait donné des envies de baffes à la Sainte Vierge.

Il était amusant de constater qu’au fur et à mesure que l’humeur de l’avocat se détériorait, celle de son partenaire semblait, bien au contraire, se porter de mieux en mieux. C’était un peu comme une sorte de balance émotionnelle : plus on chargeait l’un des côtés, et plus l’autre se sentait léger. Et lui n’avait rien qui soit susceptible de pencher en sa faveur aujourd’hui, rien qui ne puisse venir équilibrer tout ça et lui permette de retrouver un semblant de dignité.

Comme c’était dommage.

« Alors quoi ? Tu veux aller porter plainte peut-être ? »

Un peu déséquilibré, Nikita tenta de se soustraire à la prise qu’avait Lazar sur son poignet. Il n’était bien sûr absolument pas conscient du tableau un peu bizarre qu’ils étaient en train d’offrir au regard des gens par sa faute du fait de sa position – ben oui, c’était quand même lui qui était un peu penché en avant, le bras tendu dans sa vaine tentative pour récupérer le portable qui, si vous suivez bien, était grosso merdo au niveau des fesses de l’autre homme.

… Malheureusement, il n’était pas non plus conscient d’un petit accident qui était survenu lors de sa chute, ayant alors été trop accaparé par le fait de s’être cassé la gueule en public pour prêter attention au reste. Et malheureusement*bis pour sa pomme, le mouvement sec qu’il avait fait pour se libérer de la poigne du serpent avait aggravé la chose et fut de trop pour une des coutures de son pantalon.
Mortifié, Nikita se redressa lentement, abandonnant la lutte pour le moment.

Je ne vous fais pas dessin hein, vous devinerez tous seuls de couture il s’agit.

« Porter plainte ? Je n’y avais pas pensé. Mais maintenant que tu le dis, ça peut être une magnifique idée. » Pour te pourrir un peu plus la vie. « J’imagine déjà les gros titres : L’avocat écroué pour dépravation envers ses clients. » Et histoire de te foutre la honte, aussi.

Il savait que se gausser ainsi de Nikita en public n’était pas une bonne idée. Pas seulement parce qu’il savait pertinemment que l’autre homme finirait bien par se venger plus tard, mais aussi parce que ce n’était pas son genre, de se moquer des plus petits et plus faibles que lui.
Mais là, tout le monde en conviendra, l’occasion était bien trop belle pour l’envoyer se faire voir.

Et la magie du truc, c’est que le spectacle ne semblait pas encore terminé.

« Ceci dit… » Il lâcha le poignet de l’avocat en sentant que celui-ci tentait de se dégager, après avoir la certification qu’il laisserait son portable et sa fesse droite tranquille. « Toute blague mise à part, on ferait bien d’y a… ller ? » L’homme d’affaire conclut sa phrase sur un blanc et un temps d’hésitation en découvrant le visage figé de Nikita. Cette expression de pierre, sourcils froncés, c’était celle que l’on pourrait croire habituelle chez lui, mais Lazar le connaissait, et on ne pouvait pas le tromper.

Après avoir fixé en silence l’infortuné durant quelques brèves secondes, il s’avança, posa la main gauche sur son épaule droite, et par-dessous ses lunettes noires, se pencha pour jeter un coup d’œil au dos de son interlocuteur.

Et le rictus se fit grand, grand, graaaand. Ils auraient été dans un dessin animé qu’on aurait presque pu l’entendre siffler d’un rire malsain et sarcastique.

« Tu n’as pas mis le caleçon à petites fraises que je t’avais offert ? Je suis déçu. »

Il fallait voir le bon côté des choses : avec tout ce qu’il venait de lui tomber sur le coin de la figure depuis qu’il avait posé un pied hors du lit, ça ne pouvait probablement pas aller plus mal que maintenant. Entre le dernier incident en date et les persiflages de son partenaire, il devait avoir touché le fond maintenant.
… Croyait-il, sous-estimant de ce fait le potentiel merdique particulièrement élevé qu’avait cette journée.

« Va te faire foutre, Lazar », lâcha-t-il alors d’une voix glacée, détachant bien les mots les uns des autres. Nikita n’avait définitivement aucune notion de l’humour, et pas la moindre envie de se prendre au jeu et de répondre à sa petite remarque sur le même ton.

Reculant d’un pas, l’homme se dégagea de la main que l’autre avait toujours posée sur son épaule et enfila sa veste qu’il avait jusque là gardée au bras. Ainsi, son petit souci était pour le moment dissimulé à la vue de tout, c’était toujours ça de gagné. Puis il consulta brièvement l’heure qu’affichait sa montre et, sans ajouter un mot de plus, fit volte-face en direction de la salle où devait se dérouler la séance à laquelle on les attendait. Ils n’avaient plus guère le temps pour leurs chamailleries puériles, bien que ça ne soit pas l’envie de continuer qui lui manque. Plus tard, se promit-il. La vengeance est un plat qui se mange froid, comme on dit. Et Nikita avait la rancune tenace.

« Désolé, jamais le matin. Mais si on inverse les rôles, ça serait un plaisir. » Minauda le serpent d’une façon tellement théâtrale qu’elle rajouta en force comique à la réplique – et à la situation toute entière, au demeurant.

Il le laissa s’éloigner, ayant toujours un peu de mal à reprendre son sérieux. Difficile de se contenir dans pareille situation. Surtout quand il vit son partenaire remettre avec force de célérité son veste. Trop tard mon pauvre. Tu sauves peut-être la face devant les autres, mais pour moi, je peux t’assurer que c’est impossible à oublier. Je garderai cette image en mémoire à VIE.
Les reptiles avaient en général une excellente mémoire. You mad ?

Il finit par suivre Nikita qui faisait son bout de chemin vers la salle d’audience. Et la seule chose sur laquelle Lazar réussissait à se concentrer, c’était de ne pas mourir de rire à chaque fois que son regard se posait sur le derrière de l’autre lycan. Ce qu’il n’aurait pas donné pour qu’il soit obligé d’enlever sa sacro-sainte veste durant la séance tout de même.

Une heure plus tard, personne n’était encore sortit de la salle. Pour la simple raison qu’il avait fallu vingt bonnes minutes pour s’excuser de leur retard au juge, et pour le convaincre de ne pas reporter le procès. C’est qu’ils avaient tous d’autres choses à faire. Lazar s’était ennuyé dès les premières minutes. Il n’avait quasiment rien à faire, rien à dire, et il avait déjà assisté à tellement de ces trucs qu’il commençait à saturer. Depuis le début, il trompait cet ennui en asticotant discrètement (ou non) l’avocat. Un petit commentaire par-ci, une raillerie par-là… C’était facile. Et même si Nikita aurait adoré le démembrer pour ça, Lazar savait qu’il pouvait se permettre ces taquineries mesquines. La panthère était bien trop fière pour perdre le procès exprès. D’ailleurs, il semblait s’enliser un peu dans ses arguments pour le moment.

« C’est moi, ou ta plaidoirie est sacrement en train de prendre l’eau ? » Il n’avait pas pu se retenir. « Non, en fait, c’est pire : Même le Titanic ne parait pas si submergé que ça à côté. »

Nikita faisait des efforts, vraiment. Tandis qu’il menait sa plaidoirie tant bien que mal, ignorant superbement les piques de Lazar tout en le baptisant mentalement de noms d’oiseaux d’une incroyable diversité, il gardait une maîtrise de soi admirable, au vu des circonstances. Pourtant, n’importe qui le connaissant un minimum aurait pu déceler l’agacement qu’il s’efforçait de refouler, décelable au moins à cause de l’une de ses mains crispée de manière compulsive sur le dossier qu’il tenait.
Ça et son assurance, pas aussi belle qu’à l’habitude : à chaque fois que Lazar renchérissait sur l’un de ses propos, il le sentait, il perdait le fil un peu plus. Au final, bien que sa performance ne puisse pas réellement être qualifiée de mauvaise, elle était médiocre comparée à ce dont qu’on pouvait attendre de lui. Ça aussi, il le sentait, et ça aussi, ça l’agaçait.

A de nombreuses reprises, il fut sur le point de céder à ses envies de meurtres vis-à-vis du serpent mais quelque chose en lui – le bon sens, peut-être ? – le retenait toujours de sauter le pas. Alors, s’efforçant de rester le plus imperturbable possible, il continuait et faisait comme s’il n’avait rien entendu. Il lui aurait bien volontiers demandé de se la boucler – en plus poliment bien entendu, nous sommes entre personnes civilisés voyons – mais cette simple injonction, il le savait, n’aurait eu pour seul effet que d’aggraver les choses.

Mais vint un moment où il n’y arriva plus. La dernière pique que Lazar venait de lui lancer était celle de trop, la goutte qui fait déborder le vase en somme. Nikita s’arrêta net en plein milieu de sa phrase pour se tourner vers lui et son masque tomba, laissant transparaître tout à la fois colère et frustration. Il vint se planter devant son partenaire et, tout en lui décochant un sourire plein de fiel, lui adressa la parole sur le ton le plus poli qu’il lui était encore possible d’avoir à ce stade-là.

« Tu te lèves maintenant, s’il te plaît ? »

Les derniers mots semblèrent lui brûler la bouche, on devinait aisément qu’il les aurait volontiers remplacés par d’autres d’un registre beaucoup plus vulgaire. Néanmoins, Lazar s’exécuta et à peine eut-il le temps de se dresser devant lui, que l’avocat lui balançait une gifle magistrale.

Des personnes civilisées, oui…

Quand Nikita lui intima le plus gentiment et poliment du monde de se lever, cela étonna Lazar autant que le reste de la salle. Voir ainsi l'avocat lâcher sa plaidoirie en plein milieu, sans crier gare, n'était pas vraiment chose habituelle. La rumeur interrogative prit la place du silence religieux qui régnait jusqu'à peu, sur le qui-vive. D'autant plus que Nikita était soudainement passé du vouvoiement au tutoiement avec son client, ce qui bien évidement n'avait échappé à personne. Il y avait anguille sous roche. Et même le Serpent, habituellement doué pour anticiper les choses, n'avait absolument pas vu venir ce qui suivrait.
Enfin. La gifle, il l'avait vu venir à vrai dire. De très prés. Mais il n'avait pas eu le temps de réagir.

Le bruit de l'impact résonna dans la salle d'audience, suivit du silence le plus lourd dont ils ai jamais été témoins. Tout le monde retint son souffle, tandis que l'homme d'affaire porta la main à sa joue rougit.

Une gifle. UNE GIFLE. Seriously ?
Petit sourire en coin qui n'annonça rien de bon. Un rictus, comme on dit.

« ...Femmelette. »

C'était les femmes qui donnaient des gifles. Les hommes eux, balançaient des coups de poings. Si on te frappe sur la joue gauche, ne pense même pas à tendre la joue droite. Frappe juste celle de ton adversaire.
Et Lazar ne se gêna pas pour montrer l'exemple.

Il ne laissa même pas le temps à son camarade de reprendre ses esprits ou de réagir de quelque façon que ce soit et se contenta d'écouter son instinct du moment. A savoir se jeter sur lui pour entamer les hostilités.
Et le pire dans tout ça, c'est que ça le faisait marrer. Ce qui ne semblait pas être le cas du public. Public ? Oui tiens, ils avaient un public apparemment.

Audience ? Quelle audience ?

Bien sûr, il était clair que Nikita ne risquait pas d’avoir le dessus dans cette histoire. D’abord parce que Lazar était plus grand et de meilleure constitution que lui, mais aussi et surtout parce qu’au vu de la journée de merde à laquelle il avait eu droit jusqu’à présent, il semblait carrément improbable que quelque chose, peu importe quoi, se passe comme il l’aurait souhaité.
Néanmoins, l’avocat ressentait une certaine libération dans ce pugilat inattendu, y trouvant là le défouloir parfait dont il avait désespérément besoin depuis le début de la matinée. A partir du moment où Lazar avait bondi sur lui, lui faisant perdre l’équilibre, Nikita n’avait pas manqué d’entraîner l’homme de main dans sa chute. Dès lors, il avait instantanément oublié tout ce qui les entourait pour ne se contenter que de prendre des coups et de les renvoyer du mieux qu’il le pouvait.
Notre bon maître Füscher, d’ordinaire si soucieux de sa personne en public et du regard que les gens lui portaient, se roulait littéralement par terre avec son client, au nez et à la barbe d’un tribunal entier. Lequel, après un premier silence gêné aux limites du religieux, s’emplissait maintenant de murmures épars, comme si les gens craignaient de parler à voix haute devant ce spectacle. « On » ne savait pas trop quoi penser de ce qui était en train de se dérouler sous son nez, et encore moins quoi faire ; il paraissait assez évident que les deux lycans n’avaient pas l’intention de se séparer d’eux-mêmes.

Finalement, un brouhaha croissant de plus en plus bruyant s’installa enfin, des gens commencèrent à se lever et tout ceci au plus grand mépris des quelques coups de maillet et autres « SILENCE ! » du juge.

Et puis quelqu’un dut appeler la sécurité, car la grande porte à double battant s’ouvrit sur deux malabars à l’air pas bien commode.

Alors là, top crédibilité. Vraiment.

On résume. En gros, là, présentement, tout de suite, nous avons le bras droit d’un magnat de la finance, censé représenter l’une des plus grandes entreprises et fortunes du monde, ainsi qu’un avocat connu comme l’un des plus brillants et intransigeant du pays, prêt à tout pour gagner, pour acquitter ses clients, fussent-ils les moins recommandables possibles.
Et ces deux hommes donc, supposés symboliser les hautes sphères d’une société grande et civilisée, étaient en train de se battre comme des gros gamins sur le sol d’une salle d’audience. Devant des dizaines de personnes qui n’en croyaient pas leurs petites mirettes. Normal.

Tu parles d’une classe.

Quoiqu’en l’instant présent, Lazar se foutait un peu de la classe et de l’image qu’il pouvait bien donner au reste du monde. Ce qui était en totale contradiction avec sa philosophie habituelle. Cependant, alors qu’il faisait son possible pour bloquer les coups de son avocat et pour lui rendre la pareille en pleine face, il fallait dire que Nikita… Et bien, c’était Nikita justement. Une fois que les mandales commencent entre ces deux-là, le reste du monde n’a pas grande importance. C’était comme ça. Et puis, au fond, c'était toujours un plaisir de lui foutre le plus possible de baffes bien senties.

Mais bon. Toutes les bonnes choses ont une fin comme on dit. Alors que, tout enchevêtré à terre avec son lycan favori, faisant son possible pour le maintenir à terre avec toute la force physique dont il était actuellement capable, Lazar fut justement contraint de retrouver ce fameux reste du monde. Faut dire que lorsqu’il se sentit décoller du sol par une force inconnue, il n’eut pas franchement le choix.

« Non ! Nonnonnonnonnon, pas les gros malabars on a dit ! »

Gros malabars qui s’évertuaient à les séparer, Nikita et lui. Et le serpent eut beau gigoter un moment afin de se dégager de cette emprise, toujours motivé par l’instinct du « gaufrage de face de panthère », rien ni fit. Bon gré mal gré, ils se firent reconduire sans ménagement hors de vue. Bien que dans son dos, Lazar entendait toujours les sifflements rageurs du minou en rogne. Hey, lui aussi n’avait pas son dernier mot !
Mouais. Quoique. Lorsque les portes de la salle d’audience se refermèrent en un claquement sec, l’homme d’affaire sentit bien que, pouf, toute envie belliqueuse s’était envolée. Il pensa plutôt qu’il ferait mieux de filer d’ici vite fait. Notamment pour aller admirer les superbes petits clichés récupérés un peu plus tôt par son ordinateur.

« Bon courage pour t’excuser auprès du juge. »

Après tout, c’était lui qui avait commencé. Les violences physiques s’entend.