« FREINE ! », lui avait-elle hurlé à l’oreille, bien que ce ne soit pas vraiment nécessaire : il avait vu les trois types plus ou moins en même temps qu’elle et avait de suite écrasé le frein pour éviter l’accident qui n’aurait pas manqué d’avoir lieu sinon. Enfoirés de piétons de mes deux. Se mettre sur le chemin d’un honnête motard qui n’avait rien demandé d’autre que de pouvoir s’éclater un peu sur la route, quoi ! D’ailleurs, vu la vitesse à laquelle il roulait, il aurait facilement pu en tuer au moins un fingers in ze nose s’il avait mis plus de temps pour réagir à ce qu’il voyait ou que la moto ait été plus lente à s’exécuter.
C’est donc tout naturellement qu’il se sentait bon pour pousser sa petite gueulante après que Jolan eut terminé la sienne, mais le futur en décida autrement.
Parce que la jeune femme semblait connaître les trois zigotos et, oh ! Surprise, en y regardant à deux fois, lui aussi ! Enfin. Reconnaître était un mot plus approprié dans la mesure où il ne les avait vu que deux fois et ne leur avait jamais vraiment parlé, à ces toutous de son précédent commanditaire.

Et, bref, ils étaient dans la merde.

Du moins le pensa-t-il lorsqu’il vit les trois gueules noires des pistolets pointés sur Jolan et lui. Mais les gars devaient être un peu abrutis, ou alors beaucoup trop sûr d’eux : dans ce genre de situation, quand le rapport des forces est plus ou moins kiff-kiff, même Dimitri savait qu’on ne laissait pas à l’adversaire le temps d’admirer l’arme qui allait le dégommer avant de le faire, parce qu’on avait toutes les chances de l’avoir bien profond sinon. Et là, ça avait pas manqué : Jolan n’avait pas sagement attendu qu’ils tirent pour se rapprocher d’eux, se mettant ainsi plus ou moins hors de portée des flingues.
N’importe quelle personne ayant un minimum d’expérience dans le combat sait qu’un pistolet, c’est bien beau, mais qu’en combat au corps à corps c’est quasiment inutile et que le risque de blesser un allié est beaucoup plus important.

« ‘font chier. On peut même plus passer une soirée tranquille. »

Bon, honnêtement, j’dis ça mais le Dimitri, ça l’aurait pas du tout dérangé d’avoir de quoi se défendre, là maintenant tout de suite. Fait qui se confirma d’autant plus lorsqu’une balle perdue lui frôla le flanc, déchirant son blouson et le morceau de peau en dessous.
Casque et moto furent rapidement abandonnés et leur propriétaire se retrouva en moins de deux aux côtés de la brunette. Les gars d’en face feraient un bon exutoire pour passer sa frustration.
A l’image de Jolan, Dimitri envoya ses poings à la rencontre des emmerdeurs, visant à les désarmer en priorité – parce que bon ouais, malgré ce qui est dit plus haut, un coup bien placé à coup portant ça fait quand même mal, mine de rien – et ne lésinant pas sur la puissance des coups. Pourquoi se gêner quand eux cognaient bien comme des bêtes, hein ?

Il n’était pas exagéré de dire que Dimitri avait juste l’impression de nager en plein délire, là. A quel moment était-on passé de la petite baston gentillette au scénar' du mauvais film d’action dans lequel il avait l’impression de se trouver maintenant ? Alors oui il avait pas mal fumé ce soir, certes, mais ça n’avait été rien d’autre que des clopes tout à fait respectables. Et on ne lui ferait certainement pas croire que quelques malheureuses bières pourraient être responsables de ce grand moment de WTF-ittude.
Alors pourquoi, mais pourquoi, vraiment, venait-il soudainement de se retrouver à chevaucher un tigre pour affronter un ninja ? Hein ? Où se cachait la personne responsable de cette hallucination de mauvais goût ? Et puis d’abord, putaindebordeldemerde, comment était-on censé arrivé à tenir sur une grosse bestiole comme ça ? C’était pas comme si Dimitri avait eu l’habitude de monter sur des tigres toute sa vie, hein. Il ne savait même pas faire de cheval (il ne savait même pas à quoi ça ressemblait, pour tout vous dire). Le seul truc qu’il avait l’habitude de chevaucher, c’était sa moto. Et les femmes. Quoique ce dernier point soit plutôt discutable du fait qu’en règle générale, c’était plutôt l’inverse mais, BREF, ceci ne concerne aucunement le sujet actuel.

Dimitri, donc, ne comprenait plus rien à sa vie et n’aspirait pour l’heure qu’à réussir à accepter que la situation hautement improbable dans laquelle il se trouvait était on ne peut plus réelle.
Et, accessoirement, de trouver comment il était censé ne pas se casser la gueule du monstre à poils et à griffes qui avait remplacé Jolan. Il était censé s’accrocher où, et tenir comment ? La seule chose qu’il savait, présentement, c’est que le fait qu’il soit encore sur son dos malgré tous ses mouvements tenait du miracle pur et dur. Franchement, s’il arrivait à ne pas se faire éjecter pour, disons, les deux minutes suivantes, il voulait bien tout plaquer et partir faire carrière dans le rodéo. Sérieusement.

Ou presque.

(Mal ?)heureusement, l’occasion de réfléchir plus en avant là-dessus ne lui fut jamais donnée, puisqu’il finit bon gré mal gré par glisser de sa monture insolite pour un vautrage en bonne et due forme presque lamentable… mais pas complètement, vu qu’il réussit tout de même l’exploit de ne pas atterrir face ou cul contre sol et put grâce à ça ne pas trop tarder à récupérer son équilibre.

Et maintenant qu’il était de nouveau en possession de tous ses moyens, qu’il s’était – provisoirement – sorti de l’affrontement et qu’il avait bel et bien assimilé qu’il n’était pas en plein rêve éveillé, un petit problème se posait à lui.
Il n’avait pas la moindre idée de comment donner un petit coup de pouce à sa partenaire, qui semblait avoir du mal à se démerder toute seule. Foncer dans le tas et espérer faire une différence était un plan complètement stupide, même lui s’en rendait compte, car Jolan représentait un danger mortel pour lui sous cette forme. Il n’avait pas bossé suffisamment avec elle pour être capable de mener un combat à ses côtés alors qu’elle était sous forme animale. L’homme n’avait pas la moindre envie de se prendre un coup perdu parce qu’il n’aurait pas anticipé telle ou telle réaction de sa part, ou mal estimé un écart à faire pour qu’elle puisse se mouvoir sans le blesser. Bon sang ce qu’il détestait quand c’était à lui de prendre des initiatives !

Tout perdu dans ses réflexions qu’il était (aïe aïe aïe attention à la surchauffe du cerveau imminente !), il jeta un coup d’œil vers les trois bonhommes qui avaient juste été oubliés depuis que le quatrième larron s’était pointé ici.
Bien lui en prit, puisqu’il en restait au moins un en bon état de marche (celui qui avait appelé le gugusse d’ailleurs, lui semblait-il), et qu’il n’avait pas l’air de vouloir sagement attendre la fin de la bagarre. Une fois n’est pas coutume, Dimitri fit preuve d’une belle rapidité de réaction et l’envoya au tapis d’un jolis crochet du droit, pour ensuite lui reprendre son arme et la garder bien en main, cette fois-ci. Puis il reporta toute son attention sur le duel féroce qui se livrait à quelques mètres de lui, cherchant la meilleure façon d’aider sa compagne d’infortune sans risquer de la blesser, elle, avec le semi-automatique qu’il venait juste de récupérer.
La seule solution qui lui apparut potable était de viser la tête, ou du moins le haut du corps – les parties les plus épargnées par le tigre du fait de la différence de taille, en somme –, dans la mesure où l’autre abruti de cliché sur pattes voulait bien être sympa deux minutes et arrêter d’avoir la bougeotte pour qu’il puisse ajuster ses tirs correctement. Le mécano n’était pas un tireur d’élite après tout. Un fusil d’assaut lui aurait mieux convenu mais bon, fallait pas pousser mémé dans les orties non plus, on était quand même dans un espace citadin et il avait plutôt intérêt de s’estimer heureux d’avoir une arme qui soit en plus équipée d’un silencieux.
Bon, il ne voulait pas non plus faire un headshot (et encore heureux parce qu’il n’en aurait pas été capable). Juste le toucher, ou au moins réussir à détourner son attention donnerait un précieux avantage à Jolan, pourvu qu’elle sache le saisir à temps.

Homme cyber amélioré ou pas, quelques secondes d’inattention risquaient forement de lui être fatales face au lycan qu’il avait pour adversaire. Et Dimitri avait droit à une petite douzaine de tirs, si clichéman n’écourtait pas prématurément sa vie avec un shuriken dans sa gueule dès lors qu’il se serait rappelé de son existence.