Les cours, les cours, les cours ... Tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, à écouter les mêmes profs raconter plus ou moins la même chose aux mêmes glandus qui lui servaient de camarades de classe. Yuki en avait marre, et même s'il adorait l'art, son école, il y avait des jours où il devait faire une pause au risque de péter un plomb. Comme maintenant. Comme souvent, à vrai dire.

Un coup d'oeil à l'extérieur lui apprit qu'il faisait particulièrement beau et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle avait envoyé un sms aux musiciens de Fireworks pour leur donner rendez-vous. Elle ne se souciait jamais de savoir s'ils étaient en cours ou occupés ; ils étaient toujours libres pour elle. Elle ramassa ses affaires en vitesse et rejoignit leur endroit préféré, là où ils se mettaient toujours pour mettre un peu d'ambiance dans le campus. Les étudiants les reconnaissaient bien à présent et ils se réunissaient souvent d'eux-même autour du groupe avant même qu'ils n'aient commencer à jouer. Cela la faisait toujours sourire ; il n'y avait rien de plus plaisant que de savoir que sa musique était appréciée.

Ampli, micro, guitare, basse, percus ... tout était prêt. Il n'y avait plus qu'à se lancer. Un sourire, un clin d'oeil, un signe de la main et sa voix s'élevait, haute et claire.

« If I were a boy »¹

Une voix qu'on ne pouvait jamais associer à un sexe en particulier, une voix qui pouvait aussi bien être féminine que masculine. Yuki en jouait, cela la faisait beaucoup rire que l'on se questionne sur son identité sexuelle.

« Even just for a day »

La petite foule s'agrandissait, il sourit sans jamais s'arrêter de chanter. Ses doigts bougeaient sur les cordes de sa guitare, comme munis d'une vie propre. Il n'avait même plus besoin de réfléchir, les notes coulaient toutes seules.

« I'd roll out of bed in the morning »

Elle remarqua qu'un énorme chien s'était glissé entre les jambes des étudiants et elle se fit la remarque que son pelage devait être particulièrement doux. Elle aurait adoré glisser sa main dedans mais pour l'instant, elle jouait.

« And throw on what I wanted and go »

Cela semblait d'ailleurs extrêmement plaire au canidé puisqu'il semblait danser, sautillant sur ses pattes en rythme, attirant l'attention des élèves qui riaient autour de lui.

« Drink beer with the guys »

Bientôt, il les accompagnait de sa voix et ce jusqu'à la fin de la chanson. Yuki trouvait cela incroyable. Un chien mélomane ! Elle qui rêvait d'un animal de compagnie ... Bon, il avait l'air particulièrement gros pour n'être qu'un simple toutou de base mais c'était encore mieux, non ?

Alors que les dernières notes s'éteignaient enfin, le jeune homme posa sa guitare et se précipita vers le chien pour vérifier si le pelage était effectivement doux ou non. Et il ne s'était pas trompé ! Il caressa vivement la tête de ce danseur improvisé.

« Alors comme ça, tu aimes la musique ? C'est génial ! Et en plus tu sais danser ! Tu es le chien paaarfait ! Tu viens souvent ici ? »

Oui, elle était en train de parler à un chien. Mais après tout, s'il savait danser, peut-être pouvait-il aussi la comprendre ?
Elle en était persuadée !


¹ If I were a boy - Beyonce

Oui, il parlait à un chien, oui, il avait l'impression que ce dernier le comprenait et oui, il trouvait cela tout à fait normal. Pour être tout à fait honnête, il avait même l'impression que l'animal essayait de lui répondre mais il hésitait à faire part à haute voix de son idée. Quand bien même on le prenait déjà pour un original se moquant allègrement des regards et des commentaires (ce qui n'était pas faux), il préférait éviter qu'on le croit fou. D'un autre côté, il était déjà en train de parler au chien comme si c'était son meilleur ami, snobant tous les étudiants qui s'étaient de base réunis autour du groupe pour la musique.

« Vous avez vu ? Il fait oui de la tête ! Ce chien comprend parfaitement ce que je dis !  Et putain, il danse ! Seriously, guys ? I'm not dreaming, uh ? »

Elle en était toute émoustillée. Les autres membres de son groupe ne purent qu'acquiescer devant les mouvements du loup, qui ne pouvaient évidemment pas passer pour des déplacements normaux de canidé. Et tous les étudiants hochèrent de même la tête. Ce phénomène était bien plus intelligent que tous les autres membres de son espèce, et de loin.

« Wooow, ça c'est du sourire ! »

Yuki avait réprimé de justesse un mouvement de recul lorsque le chien avait retroussé ses babines, dévoilant une dentition parfaite et ... acérée. Il n'aimerait pas retrouver sa main entre ces mâchoires là. Par contre, sur le ventre pour faire des caresses, ça, ça allait !

« Qu'est-ce que c'est que ce rassemblement là ? »

La voix la fit sursauter et elle se redressa subitement, faisant face au proviseur de l'université. Il la regardait sévèrement, les lèvres pincées, réfléchissant sûrement sur la meilleure façon de la sanctionner. Elle n'avait peut-être pas de mauvaises notes mais il semblait que sa manie de faire de la musique partout où elle pouvait avait tendance à déranger profondément, surtout pour les étudiants voulant travailler.

« Falks, ce loup est à vous ? »
« Euh ... non, pas vraiment. Et c'est un chien, m'sieur. »
« Ne vous moquez pas de moi ! L'université est tolérante, nous acceptons les petits chiens sur le campus mais il est hors de question de laisser ce loup ici ! Débrouillez vous pour l'amener ailleurs, allez ! »
« Mais m'sieur, il est pas dangereux ! »
« Comment pouvez-vous le savoir s'il n'est pas à vous ? Vous autres, retournez en cours au lieu de rester là, vous êtes à l'université pour travailler ! Falks, dépêchez-vous d'emmener ce gros chien loin d'ici. Ramenez le au zoo, chez vous, je m'en moque tant qu'il n'est plus là. »

Puis il tourna les talons sans plus attendre, laissant le pauvre Yuki un peu estomaqué. Il savait plus ou moins que le Proviseur avait du mal à l'apprécier, quand bien même il était le fils de l'inspecteur Falks, mais il n'était pas obligé de lui parler ainsi ! Il grommela quelques injures dans sa barbe, puis reporta son attention sur le loup.

« Pfff ... Quel vieux con ! J'suis sûr qu'il est juste terrifié. M'enfin, ne lui donnons pas raison, bougeons ailleurs. J'avais pas l'intention de retourner en cours de toute façon. » Puis aux membres de son groupe : « Restez là, ce serait con que vous preniez à ma place. »

Elle récupéra sa guitare, son sac de cours, et regarda l'animal avec un sourire.

« Bon, le loup ou peu importe ce que tu es, on y va ? ça te dit d'aller ... je sais pas en fait. Tu as une préférence ? Un truc grand et à l'air libre, tu pourras te défouler comme ça ! Bon, au pire, on verra où nos pas nous mèneront ! »

Spoiler:

Les têtes se tournaient sur leur passage, les regards se faisaient méfiants, inquiets, les murmures courraient derrière eux et cela faisait beaucoup sourire Yuki. En temps normal, il était déjà source de beaucoup de rumeurs et de curiosité mais accompagné du loup, cela devenait trois fois pire. Il n'en ressentait aucune gêne, aucune honte, au contraire ! Il adorait être au centre des regards ! A quoi bon avoir les cheveux bleus et l'air insolent si c'était pour que personne ne le fixe ?

Alors elle profitait, elle sautillait, la guitare sur le dos et un éternel rictus amusé sur les lèvres. Elle faisait des signes de la main à ceux qui l'observaient avec trop d'insistance, des clins d'oeil aux grands-parents outrés et scandalisés par son look, et elle s'esclaffait bruyamment lorsqu'ils détournaient les yeux, bien plus embarrassées qu'elle ou qu'ils pestaient contre la jeunesse décadente. Elle mimait des baisers dans l'air aux adolescentes intriguées, aux adolescents intéressés, elle les faisait rougir comme elle seule savait le faire. Elle adorait jouer.

Le chemin jusqu'à Minami (puisque c'était vraisemblablement par là que le loup avait décidé de les mener) aurait pu se passer dans la bonne humeur générale si, à peine sortis du campus, ils n'avaient pas croisé le chemin d'un autre chien. Jappant à tout va, à peine retenu par son maître indifférent et ridiculement petit par rapport à ... Yuki nota mentalement qu'il faudrait qu'il lui demande son nom.

La grosse boule de poils était bien plus impressionnante que le caniche et il lui fallut à peine deux secondes pour que le second s'enfuit en courant, la queue entre les jambes. Tournée vers le loup, la jeune femme observait son manège. Heureusement que le proviseur n'était plus là, il aurait été difficile de le convaincre que l'animal était un gentil chien tout mignon ! Même elle avait un peu de mal à s'en persuader, à vrai dire.

Sévère, il le toisa méchamment mais le regard implorant que le canidé lui offrit fit fondre toute résistance instantanément. Explosant de rire, Yuki s'abaissa à son niveau et lui gratouilla le ventre vigoureusement.

« Ça va, ça va ! Fais pas cette tête, j'ai compris ! Tu es un chien tout mignon qui n'a que voulu montrer qui était le plus gros et le plus fort ! Y a pas de mal ! Allez, debout ! On va pas rester plantés là, j'aime pas trop être un spectacle immobile tu vois. Faut que ça bouuuuge ! »

Et les voilà repartis gaiement dans les rues de la ville. Elle n'avait absolument aucune idée de la destination finale vers laquelle ils se dirigeaient mais elle n'avait que faire. Elle n'avait de toute façon aucun couvre-feu, vivre seule avait ses avantages (comme ses inconvénients, mais ça, c'est une autre histoire) !

Alors qu'ils atteignaient Minami, ils croisèrent une bande de jeunes oisifs, bouteilles et cigarettes à la main et Yuki aurait mis sa main au feu que ce n'était peut-être pas que du tabac qu'il y avait dans les feuilles, vu la gueule de défoncés qu'ils tiraient tous. Et puisqu'il avait le don d'attirer les ennuis, le jeune homme fut rapidement hélé. Comme quoi, les cheveux bleus, ça plaisait pas à tout le monde.

« Hé toi, l'travelo ! T'as une jolie guitare dis moi, tu voudrais pas m'la donner ? »

Répondre, pas répondre ... Ne pas répondre à la provocation était la meilleure solution. Elle passa sa main sur la tête du loup, histoire de lui faire comprendre qu'ils continuaient et qu'elle ne relèverait pas ce manque de respect, elle avait connu pire. Et il était hors de question que l'on touche à SA guitare. JAMAIS.

« Hééééééé, tepu. On t'a jamais appris qu'il faut répondre quand on t'parle ? »
« Hé, connard. On t'a jamais appris qu'il faut pas insulter les gens que tu connais pas ? T'aurais p'tet dû arrêter les joints au lieu d'arrêter l'école, tu crois pas ? »

Oups, c'était sortit tout seul. Et merde. En deux temps trois mouvements, la bande de garçons étaient autour d'eux, grimace menaçante sur le visage et attitude légèrement agressive. ... Légèrement. Yuki leur adressa un sourire de circonstance, décontracté mais teinté d'une certaine inquiétude. Il murmura, tout doucement :

« Hé, le loup. J'espère que tu vas savoir te montrer aussi impressionnant que tout à l'heure. »

Maintenant, il fallait prier pour que les chiens aient une aussi bonne ouïe qu'on voulait bien leur prêter.

Ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait interpeler de la sorte mais elle avait toujours pris l'habitude d'ignorer les quolibets : elle était connue pour son âme d'artiste, non pour un quelconque côté guerrier qui ne lui allait pas du tout. Elle se moquait bien que les gens n'aiment pas son style, sa manière d'être et ses manies exagérées. Elle se fichait des insultes qui suivaient ses pas, cela ne l'atteignait pas. Cependant, elle ne pouvait décemment pas rester calme lorsque l'on s'approchait un peu trop d'elle et surtout, surtout, lorsque l'on avait l'audace de s'en prendre à sa guitare. SON instrument. SON bébé. SON trésor. Il était ABSOLUMENT hors de question qu'elle leur laisse, quitte à prendre des coups. Et si jamais ils gagnaient (ce dont elle doutait, le loup était avec elle après tout - peut-être lui faisait-elle un peu trop confiance), elle aurait au moins le maigre réconfort de se dire qu'elle s'était battue pour garder son bien.

Mais l'animal semblait l'avoir bien entendu et rapidement, il se mit à gronder férocement, montrant les crocs de la plus menaçante façon. Yuki se fit la remarque qu'il était bon d'avoir ce genre d'allié mais qu'il aurait été vraiment malheureux de se retrouver face à une telle bête ; malgré le nombre d'opposants, il faillit plaindre la racaille qui leur faisait face. Il n'avait aucun doute sur la raclée qu'ils allaient prendre et il n'avait de toute façon aucune intention de laisser son nouveau compagnon se débrouiller tout seul (quand bien même il n'était pas très doué pour user de ses poings - c'était un guitariste, pas un boxeur). Et si la chance était avec eux, les grandes gueules fuiraient rapidement en remarquant leur flagrante infériorité. Peut-être.

Toutefois, et à son plus grand dam, celui qui l'avait insultée sortit de sa poche une arme qui ne faisait pas rire. Du tout. Oh oh. Le loup avait beau être ... un loup, il restait de chair et de sang et rivaliser avec une arme blanche n'était sûrement pas dans ses capacités. Elle doutait que sa fourrure soit apte à bloquer une entaille qui pouvait être mortelle. Et elle n'avait pas du tout, mais alors vraiment pas du tout, envie d'être spectatrice d'une mise à mort atroce dont elle serait à moitié responsable. Après tout, si elle avait continué à marcher sans répondre à la provocation, ils auraient peut-être pu abandonner. ... Bon, ok. Même elle n'y croyait pas.

« Idiot. La vraie fourrure, c'est tellement vulgaire. »

La faille qu'il laissa dans sa défense, alors qu'il se déconcentrait, menaçant vainement et vulgairement, permit au loup de bondir et d'attraper le bras tenant l'arme entre ses mâchoires puissantes. Yuki ne put s'empêcher, malgré la situation critique, d'admirer l'impressionnante détente des postérieurs et la force bestiale qui émanait de l'animal. Le loup était dangereux mais Beau. Dans son agressivité, il perçut la beauté de la sauvagerie. Un sentiment indescriptible le saisit, comme une vague instoppable qui engloutissait ses sens et il fut pris de l'envie soudaine de sortir sa guitare et de jouer. Il ne prêtait même presque plus d'attention à la bagarre qui se déroulait devant ses yeux, remarquant à peine le départ de l'un des pleutres et l'avancée déterminée des autres membres du groupe pour sauver leur chef. Il était obnubilé par le loup, par ses mouvements, par la puissance qu'il dégageait et la lueur qu'il percevait dans ses yeux.

Son âme entière était touchée.

Puis la sensation disparut. Brutalement. Violemment. Elle revint sur Terre, reprit conscience de la scène, cligna des yeux. Une fois. Deux fois. Merde. Le loup était en mauvaise posture, encerclé par les gars. Le couteau du leader avait été propulsé, sûrement par un coup de pied, à l'extérieur du cercle. Juste à côté du pied de la jeune femme. Elle se baissa, le ramassa et le fit tourner entre ses doigts. C'était une belle arme même si la lame n'était pas parfaitement aiguisée. Elle devait faire la fierté de son propriétaire.

Maintenant, il fallait agir.

Il avait perdu beaucoup trop de temps, perdu dans ses pensées. Il se rapprocha discrètement et les combattants, bien trop absorbés par le loup (tellement plus dangereux que la « pétasse » derrière eux, il fallait les comprendre), ne le remarquèrent même pas. Malgré sa silhouette mince, Yuki était un peu musclé et l'effet de surprise aidant, il réussit à attraper le bras de l'un des garçons afin de le tirer brusquement et violemment en arrière. Déséquilibré, celui qui venait de se faire avoir tomba lourdement sur le dos et avant qu'il n'ait pu esquisser un geste, la lame du couteau vint se poser sous sa jugulaire.

« Hé, vous là ! Encore un geste et j'égorge votre pote. »

Elle avait mis tellement de force et de détermination dans sa voix qu'ils s'arrêtèrent d'un coup pour la regarder, d'abord surpris, ensuite en colère. Elle ne se battait peut-être pas à la loyale mais à deux contre plus d'une dizaine, elle ne pouvait qu'utiliser les moyens du bord.

« Petite pute. Viens te battre en face, si t'es un homme. »
« Raté, je suis une dame et comme je n'ai rien à prouver, je me fiche de devoir user de ces méthodes pour vous convaincre de déguerpir. Et vite. Alors maintenant, vous allez prendre tout votre bordel et vous allez courir loin d'ici avant que j'appelle la police et que je leur donne une description détaillée de chacun de vous. »

Voyant qu'ils ne réagissaient pas, se demandant ce qu'ils devaient faire (leur fierté venait d'un prendre un coup), Yuki appuya un peu plus sur l'arme, entraînant un glapissement pathétique au prisonnier. Ce petit bruit les fit définitivement réagir et ils fuirent tous la queue entre les jambes, laissant leur « ami » aux mains des deux compagnons. Le musicien lui adressa un sourire goguenard.

« Vachement sympa tes potes, de te lâcher comme ça. Allez, bouge. J'veux plus voir ta sale face de rat illettré. » Puis, sans lui accorder plus d'attention, il se tourna vers le loup. « 'Tain ... quelle bande de mollusques décérébrés. Je déteste ça. Ça va toi ? »

Problème. Sans même savoir quoi exactement, Yuki sentait les ennuis arriver. Intuition féminine, sans doute. Mais que devait-elle faire alors qu'elle ne connaissait même pas la source du danger ? Elle observa attentivement le loup ; il tremblait, respirait fort et, peut-être n'était-ce qu'un impression, mais il semblait être plus grand. Plus costaud. Plus menaçant. Était-ce des réactions dues à la rixe qui les avait opposés à la racaille ? Elle en doutait. Il y avait autre chose, mais quoi ? Elle s'approcha de l'animal, doucement, mais il semblait trembler de plus belle alors elle s'immobilisa. Il avait peut-être montré une certaine intelligence et de la « gentillesse » quelques temps auparavant, il restait une bête et personne ne pouvait se targuer d'être capable de prédire le retour des instincts bestiaux. Et Yuki n'avait pas vraiment envie de finir avec un bras en moins.

« Hé, le loup. Ils sont partis hein ! Calme ! Gentil toutou ! Je suis ton amie, hein, me bouffe pas s't'eu plait ! »

Que faire ? Que faire ? Le musicien n'était pas habilité à gérer les crises d'animaux en détresse ! Il fallait s'en aller d'ici. L’échauffourée avait attiré l'attention et devoir traiter avec les policiers n'était pas dans ses projets premiers. Surtout qu'il allait avoir du mal à justifier la présence du loup et à prouver sa gentillesse avec la tête de ce dernier ! Le jeune homme avait l'impression que son compagnon à poils était sur le point de défaillir. Ou de lui sauter dessus, au choix.

« Bon, allez. On bouge d'ici. Pas envie de finir en cellule ce soir, mon père me tuerait. »

Sitôt dit, sitôt fait. Elle tourna les talons, vérifiant tout de même que le loup la suivait. Elle n'avait pas l'intention de l'abandonner au milieu de la route ; peut-être que marcher lui ferait du bien ? Elle n'était pas sûre de pouvoir lui tourner le dos en toute prudence mais elle n'avait pas trop le choix : il fallait avancer. Ne pas rester ici. La bande de vermines qu'ils avaient rencontrée était capable de revenir plus nombreuse pour leur faire payer l'humiliation qu'elle venait de se prendre. Et la chanteuse n'était pas sûre d'en ressortir indemne, si cela devait se produire.

Il les fit marcher un long moment, puis une fois sûr d'être hors de portée de n'importe quel garnement se prenant pour Dieu lui-même, il s'engagea dans une petite ruelle adjacente et surtout, déserte. Il s'accroupit en face du chien et le regarda droit dans les yeux, le plus férocement possible.

« Bon, le chien. Tu vas mieux ? Tu vas pas me sauter dessus, hein ? Fais oui de la tête si t'as pigé. Si non ... j'peux aller chercher un véto ? Ouais nan, il va avoir peur. ... »

Pas de doute. Elle était encore tombée sur un sacré phénomène.

Spoiler:

Yuki aimait bien les animaux. Vraiment. Mais il se fit la remarque que, parfois, il n'était pas forcément bon de vouloir les protéger des méchants proviseurs. Enfin, maintenant qu'il était entraîné dans la galère ... autant continuer jusqu'au bout, non ? Ce n'était peut-être pas très sensé de s'approcher aussi près, de limite coller son nez contre le museau du loup, mais il lui semblait que cela marchait plutôt bien, comme technique. Et peu à peu, le loup sembla se calmer, se couchant, la tête entre les pattes. Vu comme ça, il semblait parfaitement inoffensif.

Caressant distraitement la tête de l'animal, elle se replongea dans les événements précédents. Elle revit les sales gueules des adolescents qui l'avaient agressée, leurs gestes menaçants et leurs regards avides. Elle entendit de nouveau leurs paroles pleines d'antipathie, les insultes gratuites remplies d'intolérance. Dans quel monde vivait-elle ? La méchanceté existait sûrement depuis la nuit des temps, la discrimination aussi ... mais n'était-ce pas stupide de juger sur les apparences ? N'était-ce pas grotesque ?

Il détestait ça. Et, à sa manière, le canidé était un peu comme lui, non ? Jugé dangereux parce qu'il ressemblait plus à un loup qu'à un chien, classé immédiatement dans la case des animaux à éviter, sans même avoir eu le temps de prouver le contraire. Certes, la démonstration de force qu'il avait exécuté un peu plus tôt l'aurait plus desservi qu'autre chose mais il avait fait ça dans une situation de légitime défense ! S'il n'avait pas réagi, Yuki serait sûrement étalé en sang sur le sol, désespéré et volé. Non, vraiment. Le jeune homme n'acceptait pas que l'on puisse avoir tant de préjugés sur les gens, mais le monde fonctionnait comme cela et ce n'était sûrement pas lui qui allait changer ça !

Soudain, alors qu'elle soupirait de lassitude, un énorme coup de langue atterrit sur son visage, baveux à souhait. Surprise, elle tomba à la renverse, les yeux écarquillés. Elle ne s'y attendait pas, ça c'était certain ! Puis elle éclata de rire en s'essuyant la figure tant bien que mal.

« Pfff, le loup ! T'es nul ! C'est carrément dégueulasse ! »

Mais le sourire qui traversait ses lèvres le rendait bien peu crédible.

« Au fait, le loup ! C'est quoi ton nom ? T'en as forcément un, non ? Puis, vu comme tu comprends tout ce que je dis, j'suis limite sûr que t'es capable d'écrire ! Enfin ... ça m'étonnerait pas quoi. »

Elle était en train de parler à un chien comme elle le ferait avec un être humain. Et cela ne la choquait même pas. A peine se demandait-elle comment un animal pouvait être dôtée d'une telle intelligence. Elle s'en moquait bien, elle acceptait les choses surnaturelles comme elles se présentaient. Après tout, d'aucuns disaient que les anges existaient, n'est-ce pas ?

Pourquoi pas les loups intelligents comme les humains ?
Le réel n'a de limites que celles que l'imagination lui donne.

L'idée était bonne, évidemment. Elle ne venait pas de l'esprit d'un loup normal mais d'une bête à l'intelligence autrement plus développée ! Yuki ne savait pas trop s'il devait trouver ça étrange ; il y avait tellement de choses dans le monde encore inconnues, un cerveau humain normal ne pourrait jamais toutes les assimiler. Il avait déjà entendu parler de gorilles ayant appris le langage des signes, il existait sûrement d'autres exploits du genre. Cela le révoltait toujours, que l'on croit que les animaux n'ont pas de conscience. Celle-ci ne vient-elle pas avec l'intelligence ? Et le loup en avait assurément une.

« Un carton ? Non ? Euh. Une boite ? Je pense pas que ton nom soit boîte. Box ? Pizza ? Kebab ? Non plus ... Une lettre ? AH ! D ! ... I. ... C. ... K. ... J'espère pour toi que tu vas pas t'arrêter là. O. ... N. ... Dickon ! Kebab c'était pas mal aussi, non ? »

Un grand sourire étira ses lèvres, elle avait presque l'impression qu'il semblait offusqué. Sûrement l'était-il, d'ailleurs. Elle lui tapota gentiment la tête, faussement condescendante.

« Dickon, c'est un peu banal. Puis je peux pas trop raccourcir quoi ... Je vais t'appeler Kebab ! ♥ Comme ça, Keb', c'est cool, tu trouves pas ? » Il ne lui laissa pas le temps de répondre. « Je le savais ! C'est adopté ! » Puis. « Dis moi, Kebab ? T'as un chez-toi ? Parce que sinon, tu sais, tu peux venir habiter à la maison ! Enfin ... maison. L'appart quoi. »

Grand sourire.
Un peu de compagnie ne lui ferait sûrement pas de mal.

« Et puis on pourra danser et chanter ensemble ! »

Argument de choc.

Kebab était offusqué. Scandalisé. Outré. Et peut-être même un peu contrarié. Et cela faisait beaucoup rire Yuki, qui assistait à son manège, un grand sourire aux lèvres. Le loup n'avait peut-être pas d'expressions humaines mais chacune de ses pensées passait à travers ses gestes, ses jappements, ses mouvements de tête. Et quand bien même il grognait un peu, le musicien était certain qu'au fond, il adorait ce surnom. Après tout, qui n'avait jamais rêvé de s'appeler Kebab ? Personne, évidemment. Ahem.

« Allez, arrête de faire la tête, t'adores ce nom ! »

Et en effet, Kebab sembla se résigner. Yuki lui frotta vigoureusement le dessus de la tête, comme une sorte de félicitations. Elle se doutait qu'il n'apprécierait pas mais au point où elle en était, elle avait décidé de l'embêter un maximum. Amicalement, bien sûr. Elle avait compris qu'il n'était pas forcément bon de mettre l'animal en colère et vu sa démonstration de force un peu avant, elle n'était pas prête à pousser le bouchon aussi loin. Elle tenait encore un minimum à sa vie.

Après sa proposition de venir habiter chez lui, Kebab sembla réfléchir intensément. Ce qui se traduisait par une expression pensive sur la gueule du loup. Oui, c'était très flagrant. Vraiment. Yuki attendit sagement la réponse, presque certain qu'elle serait positive. Il s'interrogea également sur les réactions de son père mais finalement ... cela n'avait pas beaucoup d'importance. Pour ce que l'inspecteur Falks faisait attention à lui, il n'allait quand même pas lui interdire d'avoir un animal. L'étudiant refusait que son paternel ose tenter de gouverner sa vie alors que cela faisait des années qu'il ne s'en était pas occupé. Ce serait bien trop hypocrite de sa part.

L'aboiement qui la tira de ses pensées sembla empreint d'enthousiasme et elle prit cela comme une réponse positivie. Comme elle s'en doutait ! Elle sourit, toute contente, trépignant presque sur place.

« Paaarfait ! Allez viens, je vais te montrer où j'habite ! C'est pas très grand mais c'est confortable ! Tu vas adorer ! »

Il sauta sur ses pieds et à moitié sautillant, prit le chemin du retour.
Il était temps de se reposer, ils avaient tous les deux eu leur dose de péripéties pour la journée.

Spoiler: