Qu'ils sont bruyants.
Le Chien Noir se tenait là, assis sur son derrière, trônant au milieu de la rue comme un prince, profitant de sa haute stature, le pelage luisant. Ses yeux de feu scrutaient la scène avec désespoir. L'atmosphère était pesante, et le ciel grondait sa colère. Il faisait chaud, trop chaud, et la voûte céleste se parsemait d'étincelles en attendant la pluie. Et l'autre, l'imbécile qui pleurait sa morte en agitant son revolver contre la poitrine de son ami. Une situation dramatique, tellement qu'elle devenait simplement ridicule. Double homicide. Les dommages collatéraux de l'amour, ce sentiment que Maxime affectionnait tant. La bête éternua, étouffée par l'ennui. Normalement, le Chien ne restait pas jusqu'à l'accomplissement du destin des futurs morts. Mais pour une fois, la curiosité malsaine des humains l'avaient corrompue et elle tenait à savoir si le bain de sang serait composé de deux ou trois victimes, sachant que le tueur était en proie à un excès de violence sale, et que le suicide n'était plus à écarter.

De plus, une quatrième personne ramenait son arrière-train.
Et il y avait quelque chose en plus.
Une cinquième ?

Et mon Dieu, cette odeur.
Cette odeur de vice, de sournoiserie. Cette senteur âcre et amère, comme la promesse d'une magouille encore plus sombre que la scène qui se déroulait. Ça faisait combien de temps, hein ? Une bonne paye, c'était clair et net. Le Chien tourna la tête, observant la silhouette douteuse qui semblait excitée, nerveuse voir même complètement euphorique. Intérieurement, celui-ci sourit. Il ne pensait pas qu'il y aurait encore ce genre d'entités malsaines et dégueulasses encore vivantes. Les anges avaient pourtant bloqués les portes de l'Enfer. Mais bon, Maxime n'en avait pas grand chose à faire. Ça ne l'intéressait pas. Tant qu'on ne l'embêtait pas et qu'elle pouvait rester avec ses livres pour mieux en caresser le cuir, embraser les pages avec les yeux et croquer l'histoire à pleines dents, ça lui suffisait.

Il ne se passa rien pendant un moment. Les humains continuaient de crier. Le Chien continuait d'observer le Possédé, alors qu'une seconde détonation retentit. L'amant tomba sur le sol avec grâce et délicatesse, son corps se disloquant dans la mort contre les pavés sales, tandis que la Bête tourna son regard de feu vers le dernier vivant, en proie au désespoir idiot qui le rongeait.

« Tu pues la mort, très cher ami, tu pues la mort. »

Tout être humain normal aurait dû fuir.
Mais je ne suis pas humaine.
Tout être humain normal aurait hurlé.
Je ne suis pas humaine.
Tout être normalement constitué aurait eu peur.
Je.

Non. C'était juste le vide intense. Maxime, ma chère Maxime, la mort t'aurait-elle bouffé l'esprit ? Tu restes ici, incapable de bouger ton arrière-train de là où tu es assise. Tu n'as pas peur, tu ne sais juste pas comment réagir à ce que tu viens de voir. Normalement tu ne vois pas les gens mourir. Et les empêcher de le faire est contre ta nature. Tu es un présage de mort, pas une héroïne. Tu préviens les gens qu'ils vont mourir. Et même amoureuse, même complètement folle des autres, tu restes définitivement immobile. Tu les regardes s’entre-tuer avec cet air blasé, sans réellement faire attention au pourquoi du comment.

Et tu retournes à ta boutique, sur tes quatre pattes, pour éviter de te trouver nue en pleine rue.

Maxime restait assise, à fixer le spectacle, sans broncher. Un air vide, les yeux éteints. Ses réflexions lui donnaient envie de mourir, d'un coup, comme ça. De disparaître. De s'étouffer avec tout ses mensonges, renaître, recommencer, et ainsi de suite. De souffrir, encore et encore.

Parce qu'aimer devenait une notion encore plus étrange et abstraite.

Pas un mouvement, rien. Rien que de l'immobilité. Comme une statue. Une gargouille. Aaron ? Le souffle lent, fort, assez fort pour résonner dans la ruelle, Maxime se tenait toujours là. Les yeux de feu du Chien scrutaient la créature qui s'avançait petit à petit. Un vent froid s'engouffra dans sa fourrure et le ciel gronda de nouveau.
Il pue la mort.
Le Chien leva le museau au ciel pour constater l'immensité du ciel qui s'éclaircissait par à coups, tandis que l'air devenait encore plus lourd, tellement plus lourd. Et chargé de pluie. Il n'y avait rien. Rien du tout. Juste cette lumière blanche qui apparaissait de temps en temps. Le Chien ne bougeait toujours pas. C'était comme si le temps s'était arrêté. Comme si il était victime de sa propre signification. Et l'insipide tragédie qui la rongeait ne faisait que l'enfoncer dans ses imbécillités. Elle n'avait rien à faire ici, et pourtant elle demeurait. Elle avait cette réaction typiquement humaine. Comme quand la voiture l'a renversée. Elle était restée plantée là, à se demander quoi faire. A se demander ce qu'il se passait.

Il pue vraiment la mort.

"Blam".

Maxime et les retours soudains à la réalité. Le Chien dressa les oreilles. Et pencha la tête sur le côté. Avait-il bien entendu ? Pardon ? Il jouait à quoi là, il le prenait pour quoi ? Un gentil toutou bien éduqué à qui on donne tout et n'importe quoi ? Non, MOI MONSIEUR, JE MANGE DE LA QUALITÉ. Pas un débris humain dégueulasse qui vient de se prendre une balle par son meilleur ami. C'est ce qu'elle semblait dire quand elle s'écarta, alors que la dépouille venait s'affaler à côté de sa personne. Le Chien est un être respectable, un être doux et le Chien n'a pas de sang sur les mains.

Non mais.

Par contre, je veux bien les vêtements de la fille.
Le Chien se rapprocha de la demoiselle qui s'était pris une balle dans la tête. Observant ce qu'elle portait, celui-ci tira peut-être un peu son haut avec les dents, indécis. Le fait de se retrouver nue, par paresse de rester à quatre pattes, ne la dérangeait pas, loin de là, c'est juste parce qu'avoir un Démon à côté en plus, ça n'était pas recommandé. Elle leva le museau, fixant le Démon.

Elle n'était pas satisfaite. Elle n'appréciait pas les vêtements vomitifs de la demoiselle, quoique changer de style ne l'eut pas dérangée. Là, pour le coup, c'était mort. Mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle préférait avoir mal à deux pattes plutôt que quatre. Et Maxime avait quand même bien marché. Et la parole, la vraie, lui manquait. Attrapant les vêtements dans sa gueule, elle s'écarta un peu, dans l'ombre, tournant le dos au démon. Et elle entonna sa charmante transformation, remuant un peu.

Et de Chien, elle passa à cette douce créature cornue qui lui servait d'apparence humaine.

L'atmosphère changea, et Maxime se sentait un peu bizarre. Comme si le fait de porter des vêtements de pétasse l'encourageait à se déhancher à n'importe quel moment. Elle enfila ce bas de fortune, grognant à cause de l'absence de sous-vêtements, et vint chercher le soutien-gorge de la demoiselle, le haut sur sa poitrine, n'ayant pas envie d'afficher ses mamelles plus qu'elles ne l'étaient déjà. Elle finit de s'habiller, faisant fi du regard du Démon, s'affairant ensuite à déchausser la pauvre victime. Et puis, elle lui prit ses bijoux, tant qu'à faire, continuant son petit manège jusqu'à lui piquer sans aucune gêne sa pince à cheveux.

Maxime se redressa, observant une nouvelle fois le Démon.

« Et maintenant ? Que faisons nous ? »
Dark-Toutou iz in da place.

Maxime gardait une certaine innocence, malgré le fait qu'elle soit habillée un peu n'importe comment. Ils appellent ça à la mode, en ce bas monde. Mais, honnêtement, elle trouvait ça moche. Quoi qu'un rapide coup d'oeil dans la vitre brisée à droite de sa personne la rassura sur son apparence. Elle n'appréciait pas les talons haut de la demoiselle. Vraiment pas. Mais c'était soit ça, soit elle s'écorchait à quatre-vingt-cinq pour cent les pieds sur les dalles, en plus de chopper une infection, au vu de toutes les horreurs qui traînaient. Et les hommes morts ne faisaient pas sa pointure. Alors que, bizarrement, c'était le cas pour la fille. Elle haussa les épaules, tournant la tête vers le Démon au son de sa voix, et lui tendit la main, reflèxe totalement humain qu'elle avait fini par s'approprier. Des règles de politesse, paraît-il.

« Maxime. Moi de même. Je vous suis, si vous comptez rester dehors. »

Tout allait peut-être un petit peu trop vite pour elle. Maxime trébucha presque à cause de ses talons, serrant la main de son interlocuteur par réflexe. Se redressant, elle lui emboita le pas, complètement insouciante, ne cherchant pas à savoir où ils allaient. Elle se contentait de regarder où elle mettait les pieds, oubliant l'heure, la lune, et le tonnerre. Peut-être la pluie. Et pendant qu'il défonçait cette maudite porte, la pluie s'engouffra dans ses vêtements, pendant une demie seconde. Elle se pressa à l'intérieur, observant le dénommé Belaam.

« Je ne tiens pas à me faire embarquer, et, mh... Votre épaule...
Et je prendrais ce qu'il y a. »

Ses vêtements la gênaient car ils n'étaient absolument pas pratiques. C'était juste terrible. Et le fait qu'on puisse voir ses seins et la forme de ses hanches n’arrangeait rien. Elle s'assit, s'accoudant, attendant que son nouvel ami la serve, redoutant le pire.

Maxime sourit. Chaleureusement. Du mieux qu'elle put. Elle acquiesça sans faire de commentaires à propos de l'endroit. Tout ce qui l'importait, c'était ce regard. Elle n'aimait pas ce regard. Elle détestait ce regard. Elle glissa un bras sur sa poitrine, la "cachant", avant d'attraper son verre, et de boire un peu.

« C'est. La première fois que je parle de ma conditions, tiens.
Je suis un Chien Noir. Un présage de mort.
Je viens d'Europe, haha.
Et vous, vous êtes un démon, n'est-ce pas ? »

Elle reposa le verre, se redressant un peu, croisant les jambes. Non, décidément, ces vêtements ne lui convenaient absolument pas. Elle resta un instant sans rien faire, avant de se décider une nouvelle fois à boire, affichant une expression radieuse. Il avait l'air content. Alors elle l'était aussi. Puis, au pire, elle aurait peut-être l'occasion de s'amuser vraiment et de se lâcher vraiment.

Elle rit.

« Merci pour le compliment.
Elle en frôla une, réprimant un frisson de contentement.
Et le fixa de nouveau.
Haha, non.
Sinon c'est pas drôle, tu comprends. »

Son sourire parfaitement innocent s'agrandit encore. L'alcool lui montait rapidement à la tête, en fait, mais, même avec ce fardeau, elle aperçu cette lueur un peu folle qu'elle ne put s'empêcher d'apprécier malgré le risque. Elle glissa ses doigts contre le verre, caressant celui-ci, avant de se l'enfiler tout en entier, et plutôt rapidement. Les gens appellent ça un cul-sec, non ? Haussement d'épaules un peu hasardeux, elle fixait son verre, les sourcils légèrement froncés, en pleine réflexion.

« Je suis juste là quand ils rendent l'âme. »

Elle tourna de nouveau la tête vers lui, observant ses traits, les détaillant même.

« Je suppose que vous ne parlez pas à cause des êtres à plumes ? »

« Je vois.
C'est plutôt triste. »

En fait, elle n'en pensait... rien. Elle s'en fichait presque. Max remonta son t-shirt qui s'évertuer à l'enquiquiner, décroisant les jambes pour mieux les recroiser, mais de l'autre côté. Elle repoussa son verre, grognant après la chaleur qui l'envahissait petit à petit. Elle se sentait bizarre. Vraiment bizarre. En temps normaux, elle était salement niaise, et pourtant, elle n'avait juste. Plus envie de se comporter comme avant. Elle croisa les bras sur sa poitrine, restant légèrement accoudée au bar, poussant un énième grognement. Oui, elle avait envie d'agir en humaine. Et d'embêter son monde. Et faire des conneries, foutre le feu, boire jusqu'à être ivre morte.

« Y'a pas de la musique, ici ? »

« Ah, merde. »

Maxime se resservit, presque par instinct. Ou seulement par ennui. Parce que quand on boit, c'est qu'on s'ennuie, forcément. La brûlure de l'alcool ne lui était pas désagréable, et plus ça allait, plus elle avait chaud. De toute sa longue, longue vie, elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de se saouler. Mais l'idée ne lui déplaisait pas dans l'instant présent. Elle enleva ses chaussures, trop inconfortables, grognant un peu. Ses gestes étaient plus maladroits qu'à l'accoutumée, faute à l'eau de vie. Elle se redressa, titubant presque, remuant les omoplates, tout en s'appuyant contre le bar.

« Belaaaaaaaaaaam ?
Qu'est-ce que tu fouuuus ? »

« Nooon, touche pas mes cornes.
Grah.
Et non, j'ai pas l'habitude de boire.
Mais j'suis pas bourrée ! »

Si, elle était bourrée.

Maxime se mordit la lèvre inférieure, lui donnant un léger coup de hanche en riant. Elle attrapa le CD entre ses doigts, observant la couverture. Et éclata de rire encore une fois. C'était vieux, ce truc, mais vieux, mais vieeeuuux. La demoiselle sortir le CD de sa pochette, jetant celle-ci sans faire attention, se dirigeant dans l'arrière-salle pour bidouiller la radio. Elle ne s'y connaissait pas vraiment, mais elle savait comment ça marchait. Elle avait eu l'occasion d'obtenir un machin comme ça il n'y a pas si longtemps, et la musique qu'ils passaient à la radio n'était pas désagréable.

Mais le French Cancan, ça faisait vraiment une paye qu'elle n'avait pas pu y toucher. Elle monta le son, observant autour d'elle en même temps. Une malle traînait, insouciante. Curieuse, elle y jeta un coup d'oeil, l'ouvrant.

Des robes, DES ROBES EVERYWHERE.

« Belaaaam, ramène ton arrière-train ! »