Cela faisait tellement longtemps qu’il ne savait même plus à quand remontait la dernière fois qu’il l’avait vue. En fait, il le savait parfaitement. Douze jours, trois heures et… dix-sept minutes. Et elle lui manquait terriblement. Il en perdrait presque son amabilité coutumière – on ne se refait malheureusement pas aussi facilement. Pourquoi fallait-il que les organisations criminelles (ainsi que les criminels non-organisés) s’entendent pour surcharger la Crim’ de dossiers et d’heures supplémentaires ? Ils en étaient réduits à séparer les tandems pour pouvoir espérer être capables d’enquêter sur plusieurs fronts. Le résultat n’était pas aussi brillant que le capitaine (et Les Autres Pontes) l’auraient voulu. A la vérité, ça faisait plus tournoi toutes catégories de cernes que concours de remplissage de cellules. Sans parler du fait que ça l’angoissait toujours de ne pas pouvoir la couvrir.

Etouffant un soupir, Elijah replongea le nez dans son gobelet de thé – le café ne l’aimait vraiment pas. Il se consolait comme il le pouvait en se disant que si Himiko avait réellement été dans la mouise, elle l’aurait appelé. Du moins, il l’espérait. Il ne pouvait même pas jeter un coup d’œil, l’air de rien ; elle avait déjà failli y passer une fois à cause d’une couverture grillée, et il ne voulait surtout pas qu’elle se retrouve dans une telle situation, encore moins par sa faute. Bleeeeh. Elijah secoua la tête pour se remettre les idées en place. Il avait une enquête à mener, lui aussi. Himiko était prudente, après tout, elle saurait faire attention. Du moins, il l’espérait…

Cela faisait bien quinze minutes qu’il était dans sa voiture à se dire que tout irait bien pour elle quand son contact montra le bout de son nez. Ce n’était pas à proprement parler un contact. Plutôt une sorte de pigiste à mi-temps pour la police, un plongeur à ses heures. Les collègues de Bay Area l’avaient orienté vers lui, il n’avait de toute évidence pas son pareil pour repêcher les gens – ou les petits bouts de gens que certains polissons s’amusaient à balancer dans l’eau des docks.

Elijah vida son gobelet et alla à sa rencontre, remontant le col de son pardessus ; il lui avait toujours semblé qu’il faisait plus froid, les matins sur les quais. Au passage, il adressa un petit signe de la main au conducteur de l’ambulance qu’il avait demandée pour le seconder. On n’était jamais trop prudent. Un sourire amical flottait sur ses lèvres bien avant qu’il ne tende la main.

« Monsieur Submarine, on m’a beaucoup parlé de vous. Elijah Moore, de la 7ème brigade criminelle. L’inspecteur Nonaka m’a envoyé vers vous disant que vous étiez la personne la plus qualifiée pour ce genre de travail. Ca ne devrait pas être trop compliqué, il ne s’agit que d’une simple mission de reconnaissance, comme je vous l’ai déjà dit. »

Il l’avait mis au courant une heure plus tôt, dès que le dossier était arrivé sous ses yeux et que la brigade des docks était entrée en contact avec lui. Brigade qui était aussi surchargée que les autres et qui fermait donc les yeux pour cette fois sur les histoires de juridiction. Ah, fallait-il que les temps soient durs pour que les docks ne puissent même pas envoyer un gars et une ambulance vérifier les dépositions des ivrognes… Il indiqua la surface huilée de l’eau d’un vague geste du menton. Sourire de circonstance.

« Je suis sincèrement désolé de vous envoyer faire trempette là-dedans au saut du lit. J’ai l’impression que même les poissons ne se sentent pas chez eux, dans ce truc…»

Et puis, il faisait vraiment froid. Surtout pour ce qui ne serait sans doute qu’une fausse alerte… Il lui proposerait un café après ça.

Comme la plupart des soirs de semaine, Yellow était sorti faire un peu la bringue la veille, avait bu quelques bières, était revenu en chantant comme un forcené sous les fenêtres des pauvres gens avec un pote, et une fois rentré à son appart, était allé trouver une bassine d’eau et s’était endormi la tête la première dedans.
Puis, comme la plupart des matins, très tôt, le téléphone avait sonné. Cependant, à l’inverse de d’habitude, cette fois-ci le requin ronquait encore lamentablement, blublutant de façon ensommeillée dans son élément quand cela se produisit, le réveillant ainsi en sursaut et manquant de lui faire boire la tasse (ouai, pour un lycan aquatique, c’est la loose, nous sommes d’accord).

« Putain de bordel de m- ! Quel est le con qui appelle à cette heure ? » furent les premiers mots aboyés par l’homme-poisson tandis qu’il tentait vainement d’empêcher l’eau de la bassine de se répandre un peu partout, puis un « et fait chier. » suivit de près lorsqu’il eut réalisé qui était sans doute le dit « con ».
Se ruant alors vers le combiné, il réussit à décrocher in extremis et, surprise, la voix à l’autre bout du fil n’avait strictement rien à voir avec l’ordinaire ton railleur de l’inspecteur Nonaka. Pris au dépourvu, le consultant-plongeur bafouilla deux trois mots en réponse au rendez-vous auquel le conviait son interlocuteur, puis une fois la conversation terminée, se traîna jusqu’à la salle de bain. Histoire d’être un minimum présentable quoi…

Une espèce de vieux blouson en cuir rapé noir sur le dos, les mains enfoncées dans les poches de son baggy, Yellow illuminait ce matin morne de par sa grâce et sa distinction. Avec sa démarche de sale jeune vieux (ou de vieux sale jeune ?), il s’avança vers l’homme tout juste sorti de sa voiture. Et bordel, tant d’amabilité, ça lui fit un sacré choc.

« Yellow Submarine, enchanté. L’inspecteur Nonaka vous a pas menti, j’ai la gueule de l’emploi donc je devrais pouvoir vous être utile, dit-il en serrant la main tendue, se laissant même contaminé par le sourire sympathique du policier. Il s’approcha ensuite des eaux polluées et un frisson lui parcouru l’échine, comme à l’ordinaire. Non…en effet, il fait pas bon vivre là-dedans, je peux vous le dire d’expérience… Mais bon, quand faut y aller ! »

Mais oui, parce que tout le monde sait qu’après une bonne murge, il n’y a rien de tel que d’aller faire plongette au petit matin dans des flots puants, cradingues et malodorants ! C’était donc la motivation ultime qui animait dès à présent notre cher ami.
Rapidement, blouson et pantalon tombèrent au sol (*) et le lycanthrope s’assit sur le rebord pavé, laissant ses jambes s’habituer tranquillement à la température de l’eau.

« Bon…redites-moi une dernière fois ce que je dois chercher ? Un corps ? Un corps dans un sac ? Un Kinder Surprise ? »



(*) Mesdames – et messieurs ? - qui lisez ce rp, ne bavez pas trop, votre clavier risque d’en souffrir B)