Y a un moment, faut mettre le holà. Les rencontres improbables, ça va bien de temps à autre mais trop, c’est trop. Et là, c’avait été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je veux dire, Sundance avait parfaitement conscience de pas être le type le plus chanceux au monde et même bien au contraire, mais là fallait pas trop abuser non plus. Depuis son arrivée à Naniwa, le pauvre garçon avait enchaîné rencontre cheloue sur rencontre zarbi, emmerdes sur gros problèmes, et j’en passe et des meilleures.
C’était à croire qu’il avait dû casser un chat noir ou écraser un miroir parce que vraiment, y avait pas d’autres explications possibles autrement. Si d’aventure il croisait une échelle sur son chemin, soyez bien assuré qu’il s’abstiendrait bien de ne mettre ne serait-ce qu’un orteil en dessous.

Mais bref, dans l’immédiat, ce qui comptait le plus pour lui c’était de se remettre de ce qu’il venait de se passer. Un endroit calme. Tranquille. Sans personne. Ou avec des personnes normales, à la rigueur, ça il voulait bien. Rencontrer des gens normaux, bonheur absolu. Des gens qui te crachent pas des gerbes de feu à la gueule, des gens qui ne sautent pas sur des inconnus random sous tes yeux pour les vider de leur sang, des gens qui… bon enfin, vous avez compris. Même l’endroit qui lui faisait office de toit ne lui serait d’aucun réconfort, avec le tatoo boy qui partageait sa piaule.



Sundance ne savait pas trop comment il était arrivé là, mais ça avait l’air sympa. Il avait marché au hasard, affichant l’air un peu hagard de celui qui vient de trouver un fantôme en ouvrant sa penderie, choisissant les ruelles qui, à défaut d’être les plus dépeuplées, étaient celles qui affichaient le plus un air de ruelle normale. Il avait mis du temps à prendre conscience qu’il avait quitté Bay Area pour mettre les pieds à Tennoji mais était loin de s’en plaindre.
Il avait traversé un parc bourré de gosses piaillant à tue-tête et puis finalement, il avait jeté son dévolu sur le temple shintoïste dans le coin. Hein qu’on le ferait pas chier ici, hein ?
Il y avait un petit banc de pierre, juste devant, qui semblait être fait pour lui. Loin de toute nuisance. Il aurait bien fumé un coup pour se détendre un peu mais dans la mesure où la simple pensée de voir une flammèche à moins de cinquante centimètres de lui suffisait pour l'heure à lui donner des sueurs froides, sans doute valait-il mieux s’abstenir. A la place, il s’allongea sur le banc, chapeau sur la gueule pour se couper de la lumière et zou ! Déconexiooon.

Sérénité. Le coin était calme. Le coin était toujours calme. C'était l'avantage de Old Naniwa, l'endroit le plus reculé de Tennoji. Et encore heureux pour Sabriel. Faut savoir qu'on ne devient pas moine pour pouvoir faire la bringue tout les soirs. Si si. De toute façon, ce n'était pas vraiment son truc, à l'ange. Déjà qu'elle avait du mal à mettre les pieds hors du temple, il ne fallait pas trop lui en demander. Elle, son délire, c'était plutôt de profiter du silence de la nuit en restant sur la véranda à boire du thé et à faire des formes avec les volutes de fumée de sa kiseru. Chacun ses trips.

Elle venait d'ailleurs de réussir à faire un rond dans un autre rond lorsque son acolyte, le seul autre moine du temple à part elle, ouvrit la porte coulissante.
Le courant d'air dispersa la forme dont elle était si fière.
Ce qui la mit de mauvaise humeur.

Mais il passa outre. Il savait gérer le sale caractère récurrent dont pouvait faire preuve sa supérieure. Il ne lui laissa pas le temps d'ouvrir la bouche pour l'informer de la raison de sa venue si tardive. Un sombre inconnu pioncant sur un des bancs de l'allée menant au temple. Un soiffard ? Un sdf ? Un type s'étant fait jeter de chez lui par sa femme ? Quoiqu'il en soit, il fallait qu'elle y aille. S'il s'avérait inoffensif et dans le besoin, elle aurait l'obligation morale de lui offrir l'hospitalité pour la nuit. Dans le cas contraire, elle appellerait les autorités. Bien que ce dernier petit détail la faisait, avouons-le, ROYALEMENT chier.

Sabriel ne prit pas la peine d'abandonner sa kiseru et continua de fumer avec tranqilité alors qu'elle traversait tout le temple. Elle essayait de refaire ses deux ronds. Mais. Rah. Crap. Encore loupé. Pas facile, en marchant.

Elle cessa son petit jeu lorsqu'elle aperçu leur petit squatteur inopiné. Et le moins qu'elle pouvait dire, c'est qu'il lui semblait reconnaitre ces vêtements complètement à la ramasse par rapport à l'époque actuelle. Le chapeau et les bottes, tout du moins. Un sourire s'afficha sur son visage. Elle avait un bon instinct ainsi qu'une mémoire des plus honorables. Cependant, un doute subsistait encore.
Elle se planta devant l'homme et à l'aide de la longue et fine pipe de bois, souleva le chapeau.

Chapeau, bottes, bandeau sur l'oeil, sale tronche. Quarté gagnant.

- Si ce n'est pas ce vieux Jack Longabaugh. A moins que tu n'ai encore changé de nom depuis la derniere fois ?

Lorsqu’il sentit le chapeau s’écarter de son visage, il décida dans un premier temps de faire comme si de rien n’était, gardant l’œil fermé tout en se persuadant qu’il était toujours le seul clampin ici à des mètres à la ronde et qu’il n’y avait définitivement personne qui venait de se planter juste à côté de lui.
Mais, dur d’ignorer l’apostrophe qui s’en suivit alors qu’elle lui était clairement destinée, et qu’elle contenait clairement un nom qu’il était bien obligé de reconnaître comme étant le sien. Ouimaissaufquenon. Depuis quand son nom était écrit sur sa gueule ? Et puis la suite de la tirade, on ne peut plus explicite, catégorisait d’emblée la personne qui venait de s’adresser à lui comme étant tout, sauf l’une de ses connaissance récentes.

— J’ai abandonnée l’idée du prénom. Ça devenait trop compliqué de se rappeler, à la longue.

Sundance fit durer encore un peu le plaisir de ne rien voir du paysage ni du physique de celle à qui appartenait la voix. Parce que quand il se déciderait à rouvrir son unique œil valide, il devrait faire face à la surprise/le choc/le bonheur/le déplaisir/etc. (entourez la mention choisie ou ajoutez-en une autre de votre convenance) de se retrouver face à une vieille connaissance et – olala mais quel hasard, toi ici après tout ce temps, c’est une sacrée coïncidence* tout de même si je m’attendais à ça ! … alors que, dans l’immédiat, il se serait volontiers passé de ce genre d’évènement.
D’autant plus que la voix ne lui rappelant personne de sa connaissance, il ne savait même pas à quoi s’attendre lorsque les souvenirs auxquels il aurait immanquablement droit dès lors qu’il verrait qui osait troubler son repos, lui sauteraient à la tronche.

Mais allez, un peu de cran, que diable ! Il se décida finalement à entrouvrir la paupière et put ainsi 1) apercevoir vaguement son interlocutrice, qui ne lui évoquait que dalle, 2) apercevoir bien plus nettement la kiseru et l’écarter aussi sec de son visage d’un mouvement précipité, 3) récupérer son chapeau qui, n’ayant plus rien pour le soutenir, en était revenu à sa position initiale, 4) se redresser sur son séant et fixer l’inconnue, 5) réaliser que l’inconnue… lui était définitivement inconnue.

Y succéda un long silence gêné durant lequel il se contenta de la fixer un peu stupidement, comme si toutes les réponses allaient soudainement tomber du ciel. Il se gratta l’arrière du crâne et dû finalement se faire une raison.

— Mais vous êtes qui vous au juste, en fait ?

On avait vu mieux, en guise d’entrée en la matière pour des retrouvailles.



* Coïncidence deuxième du nom soit dit en passant, si l’on prenait en compte l’épisode En-Zakel. A croire que plus le taux d’improbabilité qu’une certaine chose arrive était important, plus ladite certaine chose avait ses chances d’arriver, à Naniwa.

Jack était manifestement mal en point. Et pourtant, cela ne suffit pas à Sabriel pour lui faire retenir un rire franc devant la remarque de ce dernier. Ce rire surprit que tu essaye d'étouffer avant de le laisser éclater de bon cœur. Retenue ? Réserve ? Modération ? C'était quoi tout ça ? La fausse demoiselle connaissait fort bien la nature du pauvre type face à elle, alors elle n'allait pas le prendre en pitié devant son état, si ?

Elle joua un instant avec la kiseru qui avait manqué de se rétamer la trombine par terre devant le mouvement un peu trop brusque de Cowboy le Bourrin, et la porta à nouveau à ses lèvres, tirant quelques bouffées de fumée diffuses avant de répondre.

- C'est vrai que j'ai un peu changée depuis, j'ai tendance à oublier ce détail.

Histoire de bien souligner ses propos, elle s'examina tout en parlant. Elle zieuta ses bras plus fins, sa poitrine pas spécialement désirée, ses hanches moins épaisses qu'à l'époque, et le reste. Ouaip, elle avait pas mal changée, c'était le cas de le dire. Pas étonnant que l'autre mister ne soit pas foutu de la reconnaitre. Mais. Bah. Osef un peu, non ?

La moine s'accroupit devant cette vieille connaissance qui, à défaut d'avoir du gruyère en guise de mémoire, n'avait pas non plus l'air d'avoir les yeux en face des trous. Kiseru entre ses longs doigts, menton calé dans la paume de la main, elle-même appuyée sur sa cuisse, elle leva la tête pour pouvoir le voir tout en parlant.

- Pas grave. Disons que nous ne nous connaissons pas. On reprend à zéro : Qu'est-ce qui vous amène dans mon modeste temple, pauvre âme égarée ?

Bouche en cœur, tout sourire, il aurait été difficile d'interprèter le ton amusé de ses paroles comme de la méchanceté gratuite. A la limite, on pouvait y déceler un briiiiin de moquerie si on fouillait bien, mais mieux valait y aller à la pelleteuse pour le trouver.

Pas grave ? Pas grave ? Comment ça, « pas grave » ? Bien sûr que si que c’était grave ! C’était TRÈS grave, même, et de la plus haute importance qui soit. On ne plaisantait pas avec ces choses-là, madame. Aussi le Kid lui jeta-t-il un regard des plus suspicieux façon « mmouais, t’amuse pas à ça avec moi, j’vois clair dans ton petit manège », bien qu’il n’y voyait en réalité pas plus clair que s’il s’était trouvé enfermé dans un cachot sans la moindre once de lumière.

— La tranquillité. J’voulais du calme, la paix, ‘fin tout ce genre de truc quoi, se plaignit-il de bon cœur suite à la question que la personne supposée être une connaissance à lui venait de lui poser. Ça m'avait l'air plutôt correct ici, pour ça. Puis il se tut et la soumit à un examen visuel aussi attentif et précis que son état actuel le lui permettait. Qu’est-ce qu’elle entendait, quand elle disait avoir changé ? Elle était un mutant, un changeforme, un ‘borg, elle avait subi de la chirurgie esthétique en masse, rajeuni de vingt ans après avoir découvert la fontaine de jouvence ou vieilli de trente depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus ?

Notez qu’à aucun moment l’hypothèse de se trouver face à un ange ne lui avait traversé l’esprit. Non pas parce qu’ils se trouvaient devant un temple shintoïste dans lequel il semblait assez clair qu’elle y officiait ça, ça lui passait complètement au dessus. Simplement, il avait beau ne pas être tout à fait humain et avoir fréquenté beaucoup de créatures qui ne l’étaient pas non plus, sa logique aux abonnés absents l’empêchait tout bonnement de suivre le raisonnement le plus simple qui s’imposait dans cette situation.

Mais franchement, dites, ça la tuerait, de se montrer un chouïa plus explicite ?

— Bon allez, sérieusement, z’êtes qui ? J’ai répondu à votre question, ‘pouvez bien répondre à la mienne.

Parce que merde quoi, c’était tout de même vachement perturbant de savoir que la femme en face de lui savait son identité alors que la réciproque était fausse. Non mais c’est vrai quoi, mettez-vous donc à sa place un peu et vous verrez bien !
Qu’elle ait l’air elle, de s’en moquer, était une chose, mais lui dans l’immédiat ça le turlupinait un peu trop pour passer outre.