« Nan sérieux là, Johnny, mec, t'as vraiment fait de la merde. »

L'Iscariote se trouvait au fin fond du trou du cul des égouts de la ville, quelque part à 300 ou 400 mètres sous terre. Des galeries désaffectés, du gomi comme on appelait ça. Autrefois ça avait été la surface, puis les siècles allant, la ville avait tout recouvert, comme un mille-feuille. Ce coin n'avait plus vu la lumière du jour depuis un moment, mais niveau lampes au sodium, ça carburait plutôt. À coté de lui, John, dit Red Alert, parce que quand vous aviez besoin de gros calibre, c'est lui qu'il fallait aller voir. Un ancien qui se trainait dans la zone depuis un bon quart de siècles, depuis la fin de la guerre en Espagne. Il avait des contacts. Et ce soir, il avait pas été malin.

« Ah bah tu m'as dit : « du lourd ». Je t'ai prit du lourd. Soit plus précis la prochaine fois ! »

« C'est ça, prend moi pour un con en plus du reste. Franchement, qu'est-ce que tu veux que je foute d'un merdier pareil ? »

Devant eux... un char d'assaut. Mais pas un petit blindé, non, le Main Battle Tank. Avec les deux mitrailleuses, le canon de 150, les lanceurs de grenades, la totale. Posé là entre une conduite aussi grosse que lui et une rivière artificielle.

« Au passage, comment t'as réussi à rentrer un machin pareil, et à l'amener jusqu'ici ? »

« En pièce détachée, qu'est-ce que tu crois ? Il est arrivé de Russie ya deux semaines, par porte-container, pour une filiale dissidente du Yak. Guerre des gangs je pense. Jme suis posé dans le coin, j'ai piqué le chargement, balancé la loca des types à l'oyabun, et c'était plié. Ensuite j'ai tout fait descendre sur une péniche jusqu'à la sortie Est, et j'ai tout remonté ici. »

« Très malins... surtout que tu vas de voir faire pareil pour le ressortir. Bon, tfaçon ça rentrerait pas chez moi. Qu'est-ce que t'as d'autre ? »

Le fixer passa dans une alcôve, Judas le suivit. L'odeur était saisissante, mais pas vraiment désagréable. Plutôt chimique. Ils devaient être en amont de la centrale d'épuration, une bonne planque pour y foutre un paquet d'arme. D'ailleurs ils arrivaient. Après un couloir, un grand terrain vague, et au fond des caisses de pin. John en ouvrit une et sortit un fusil d'assaut. Un Seburo MN-23 des Specials Ops japonaises.

« Ça, ça me plaît déjà plus. Fait voir ce que ça vaut ? »

L'autre épaula, et visa une cible à 200m dans l'ombre. Deux tirs, l'arme hurla, les panneaux de bois explosèrent. Des trous parfaits, en plein cœur.

« Chargeurs de 30, calibre 5,56. Caseless, mais jpeux te l'avoir en OTAN si besoin. Fiable à 400m, et le système de compensateurs de recul est une petite merveille. Tu la sens même pas partir que l'autre en face est déjà pliée. Niveau munitions, j'ai pas mal de trucs : perce-blindages, explo, incendiaire, expansive, traçante... tu te fais un cocktail quoi. »

« Combien ? »

« 4000 pour l'arme et les accessoires : étuis, torche, laser, aimpoint, IR si tu veux. Pour la sauce, ça varie, mais jpeux te faire un forfait de gros. »

Judas hésita quelques secondes, vu le trou que ça faisait dans son budget. Mais il n'oubliait pas la recrudescence d'activité surnaturelle ces deux dernières années. Activité à laquelle il participait, bien entendu. Et vu que la rumeur courrait de plus en plus vite à mesure que la tension montait... Fallait protéger le business.

« Okay, met m'en un. Rajoute deux boites de perfo, une de traçantes, trois d'explo et deux standards. Je ferais ma tambouille une fois à la maison. Quand à ton merdier dehors, fout le sous une bâche. Tu vas attirer la rouille et les curieux sinon. »

10 minutes plus tard, il déambulait vers la sortie, les cartouches dans son sac à dos, le fusil en bandoulière. Ici ça puait. Pour rejoindre la sortie Nord, fallait passer par le secteur des échangeurs, où toute la crasse se déversait. Un embranchement, et une passerelle au-dessus d'une cascade boueuse. Quelques milliers de tonnes de déchets ménagers se déversaient ici quotidiennement, dans un noir quasi total, excepté la torche de Judas. L'air était saturé de méthane. Le métal sous ses pieds vibrait du fracas des eaux grondantes. Il avança, nonchalant, sur quelques mètres, et rejoint un autre couloir où le bruit s'assourdit. Encore une bonne heure de marche.

Un son.

Celui de l'acier contre l'acier. Une bille de métal tombant dans un escalier, un outil qui se pète la gueule au sol. Venant de derrière lui. Il lâcha son fardeau et dégaina, à l'ancienne, comme sur la frontière russe. Plus un mot, plus un pas, l'optique qui balaye tout le secteur, dos au mur. En attente.

Plus tôt dans la soirée, la Courtière des Ombres avait reçu sa secrétaire particulière pour parler des affaires courantes, tout en sirotant un chianti mélangé à du sang tout aussi italien. La nuit était belle, parfaite pour travailler un peu.

- "Alors voyons voir où nous en sommes, Amélie ma chère..."

Ladite Amélie était vêtue comme une employée de bureau modèle dans un charmant petit tailleur noir.
Qu'il était regrettable que son contrat fusse si clair sur ses attributions professionnelles et excluait d'emblée toute obligation d'écart avec ses employeurs. Dommage pour cette jolie petite brune mais la qualité était à ce prix de nos jours. Il était déjà dur de trouver un personnel convenable. Il ne fallait pas attendre d'eux qu'ils soient dévoués à autre chose que leurs tâches habituelles. Décidément les temps changeaient trop au goût de Shygrine.

- "Nos chiffres sont en hausse mademoiselle ! Nous dépasserons les objectifs trimestriels dans deux jours." affirma fièrement Amélie.

La maîtresse des lieux partit d'un petit rire de gorge, légèrement moqueur, avant d'afficher une avide expression sadique et terrifiante.

- "Ce n'est pas assez : Je veux que nous les ayons dépassé avant midi demain..."

Amélie avait l'habitude de ce genre de requête, elle n'était pas secrétaire de la Courtière des Ombres depuis deux ans pour rien.

- "Bien mademoiselle. Et j'ai également une requête du FSB pour la livraison de l'un de nos intermédiaire, un certain "Red Alert" qui trafiquerait des armes en Europe de l'Est ; ils proposent une jolie somme. Je vous ouvre les canaux d'information."

Amélie se dirigea vers l'un des murs et toucha quelques commandes étranges qui semblait emprunter tant aux connaissances des anges que des créatures terrestres.
Un écran géant s'alluma dans le fond de la pièce.


***Connection au Réseau***
Compte : Shygrine Damanthès.
Niveau d'accès : Prime.
Relevé de situation globale
Localisation : N78.
...
...
Eventuelles informations notables :
Le compte-client n°548-N78, appartenant à monsieur 'Red Alert' est déficitaire de 749 057 crédits.
Personnel disponible pour traiter le problème : 0.
...
***Déconnection de l'utilisateur***

- "Acceptez l'offre, nous ferons passer les dettes de ce partenaire en frais annexes, ils doivent s'y attendre... Amène moi une dague, je sors ce soir, c'est une belle nuit pour pratiquer une OPA..." lâcha ironiquement Shygrine.

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Le mur sembla se mouvoir soudainement, comme si il était devenu une étendue d'eau à la verticale sans rien perdre de ses motifs et de sa couleur. Si on regardait de plus prêt, on pouvait se rendre compte que ce n'était pas le mur mais l'ombre projetée dessus qui était touché d'un mal étrange. Une lueur puis une lumière sortie de nulle part déchira cette étendue d'ombre aqueuse pour céder la place à ce qui semblait être le crâne d'un démon. Puis le crâne de cauchemars fut suivit d'un joli corps qui semblait être celui d'une jeune femme. La créature porta la main à son visage et sembla vouloir se l'arracher, ce qu'elle fit d'ailleurs une seconde plus tard, dévoilant du même coup les traits de Shygrine à la place de ceux du démon.

Ce n'est qu'après la disparition de cette tête démoniaque qu'elle sembla remarquer Judas et son arme braquée sur elle. Elle fit une moue de déception.

- "Profil incohérent, j'ai perdu la piste..."

Le fait de se faire pointer une arme dessus ne semblait pas affecter l'apparition qui se mit à regarder autour d'elle comme si elle cherchait quelque chose, ignorant totalement l'autre alcoolique de Judas.

Ctai une fille, une professionnelle. Qu'à sortait du mur façon passe-muraille, mais Judas avait déjà vu plus flippant. Il baissa son flingue, pour deux raisons : d'une part, elle ne semblait pas être armée, du moins le scan sur magnétomètre ne décelait qu'un couteau, et sa façon de marcher excluait un polymère quelconque. D'autre part, décharger une rafale dans ce secteur était risqué. Compte tenu de l'odeur, l'atmosphère devait être saturée de gaz inflammable. Une étincelle et boum ! Plus personne. Enfin... il pouvait en réchapper. En morceaux, mais vivant. Perspective peu réjouissante, s'il en est.

Ya pas, fallait qu'il investisse dans un fusil électro-thermal, pour ce genre d'affaire.

- "Profil incohérent, j'ai perdu la piste..."

Il rangea le Heckler & Koch son holster et dévisagea la femme. Pas moche. Mais les cornes enroulées autour du crâne faisaient forte impression. Ça puait l'hybride à cent mètres ça, ya pas d'erreur. Une fille de vampire et d'ange déchu. Et ce foutu masque, ça lui disait quelque chose.

- "Ya un problème, jeune fille ? On s'est paumé dans les tunnels ?"

Ouais, le masque... La rumeur qui tournait en causait. Une femme, une gradée dans l'échelle sociologique des bas-fond. Elle passait au travers des parois les plus solides, de quelle manière, peu le savait. Et aucun n'avait intérêt à le révéler. Bonne combattante de corps à corps, de ce qu'on en disait. Pas jouasse, mais réglo, de ce qu'on pensait. Par précaution, il retira le cache de son couteau de combat en céramite. Si cette nana voulait se la jouer à la lame, elle aurait un adversaire correct. Judas se défendait à ce niveau, de manière honorable, sans plus. La nécessité de survie et basta !

- "Jcrois que jte connais, gamine. La courtière des Ombres, hmm ? Tu t'es fait une petite réputation dans le milieu"

Il attrapa dans la poche de sa veste un paquet de cigarette. Des Pall Mall. Les japonais ne comprenaient rien au tabac, pas plus qu'au café d'ailleurs, l'import valait mieux, même si ça casquait dur quand il s'agissait de boire du bon. Laisser à chaque civilisation la mainmise des productions locales, parce que la mondialisation avait ses limites. Les variétés transgènes en hors-sol avaient un goût de merde, des efforts restaient à accomplir.

Le briquet, un zippo en acier un peu crasseux, brilla d'une lueur bleutée un instant. Sans rien faire sauter. Bonne nouvelle.

- "Qu'est-ce qui t'amène dans le monde d'en bas ? Tu cherche quelque chose ?"