[CLOS] "Ses ailes de géant l'empêchent de marcher" [PV Belaam & Sundance]

Dernière édition par En-Zakel le 06.05.13 21:22, édité 1 fois

Certains jours, le Destin et la Malchance semblent s’allier de concert pour mener la vie dure à de pauvres infortunés qui, à leur plus grand désespoir, ne peuvent que subir sans rien y faire les caprices de ces deux entités plutôt farceuses et quelque peu cruelles. Il arrive aussi qu’elles jettent leur dévolu sur d’autres êtres qui, loin d’être innocents, supportent ainsi un juste retour des choses.
Pour En-Zakel, ce qui lui arriva cette nuit pourrait partiellement être une compensation pour cette haine intarissable des anges et les meurtres de ces créatures qu’elle avait commis depuis sa résurrection. Ce serait également un moyen pour elle de se rappeler dans la douleur.
Une intense et fort salissante douleur.

En rentrant de son travail ce soir, la Faucheuse s’était sentie ... étrange. Elle ne savait pas pourquoi, mais le monde lui semblait un peu différent. Elle avait l’impression d’avoir la tête dans du coton, et il lui semblait qu’une partie de son corps était pratiquement anesthésiée tant elle croyait flotter. Ce drôle d’état l’avait passablement inquiétée, et elle s’était isolée dans un parc sur le chemin du retour. Elle avait bien pris la peine de vérifier que personne ne se trouvait aux alentours avant de s’asseoir sur un banc quelconque. Là, elle avait attendu, nerveuse, que quelque chose se passe. Elle ne sut combien de temps exactement elle resta ainsi, immobile, respirant à peine, ses yeux blancs scrutant le paysage derrière ses lunettes aux verres teintés. Dans un silence que venaient troubler les bruits étouffés de la ville, elle se tenait prête, tous sens en alerte, comme si quelque chose, quelque part pas très loin d’elle, allait se produire.
Mais rien n’arriva. En soupirant, elle s’était relevée, pas le moins du monde débarrassée de ces sensations bizarres, et s’était éloignée vers la sortie du square, mains dans les poches. Son instinct lui soufflait cependant qu’elle n’était pas pour autant à l’abri d’une grosse surprise - bonne ou mauvaise, en cet instant elle aurait été bien incapable de le dire.
Arrivée devant la porte de son appartement, elle prit une grande inspiration et tâcha de garder un minimum de contenance. Après tout, elle n’allait pas se montrer dans un état lamentable devant Belaam encore une fois. Hors de question pour elle qu’il la retrouve aussi ridiculement faible et abattue comme la dernière fois, ou juste différente de d’ordinaire. Il fallait qu’elle garde à l’esprit qu’elle ne pouvait pas lui faire aussi confiance qu’elle l’aurait souhaité, et qu’elle devait conserver une certaine image d’elle – même si ladite image avait plus ou moins volé en éclats quelques mois plus tôt.
En soupirant, elle ouvrit la porte de son appartement et referma derrière elle. Comme d’ordinaire, elle retrouva le Démon en train d’errer comme une âme en peine d’une pièce à l’autre, comme s’il n’avait pas bougé des lieux de la journée. La jeune femme le trouvait parfois semblable à ces chiens de salon s’ennuyant profondément dans la demeure citadine de leurs maîtres qui, appelés par d’autres obligations, les laissaient seuls toute la journée et ne revenaient que tard le soir. La comparaison la fit doucement sourire tandis qu’elle répondait aux habituelles piques du junky possédé par un sarcasme qui, avec lui, était presque devenu un réflexe de survie.
Cependant, son état ne s’améliora pas. Au contraire : elle se sentait de plus en plus détachée, comme à la frontière du sommeil et de l’éveil. Et lorsque les montres affichèrent « 23 h 00 », elle ne sentait plus du tout son dos depuis une bonne demi-heure. Assise dans le canapé aux côtés de son colocataire, planté comme elle devant une absurdité à la télévision, elle finit par déclarer d’une voix qu’elle trouva étonnamment pâteuse et mécanique :

- Je vais me coucher ...

Elle se leva, fermant les yeux un bref instant et regrettant immédiatement tant il lui sembla qu’elle allait s’endormir sur place et s’écrouler sur le sol. Prenant sur elle, elle parvint jusqu’à sa chambre dont elle laissa la porte entrebâillée sans vraiment le réaliser.
Otant ses vêtements, elle se retrouva dans sa tenue de nuit – nuisette et jolis bas – et eut tout juste le temps de se glisser sous ses draps avant que le sommeil ne s’abatte sur elle, lourd et redoutable, la faisant sombrer dans le noir.
Les cauchemars la prirent une petite heure plus tard. Des images atroces s’imposèrent à son esprit, auxquelles venaient s’ajouter celles de sa mise à mort. D’autres scènes se mirent à défiler devant ses yeux, se superposant aux autres : elle se voyait, fauchant sans distinction, la lame incurvée de son arme tranchant les corps comme les âmes. Et, lorsque les visions semblèrent se calmer, un ultime sursaut de son inconscient lui renvoya une bien curieuse rêverie. Son ombre se découpait sur un antique mur de pierre. Mais la silhouette de la jeune femme n’était pas tout à fait pareille que d’habitude. A bien y regarder, quelque chose se découpait dans son dos. Quelque chose de très, très grand.
A cet instant précis, la douleur se déclencha. En-Zakel se réveilla en sursaut. Il lui sembla que tous les muscles de ses épaules jusqu’au bas de ses reins étaient tordus, broyés, lacérés, écrasés. Quelque chose la lançait dans son dos, comme si on avait pratiqué deux ouvertures à vif dans ses chairs.
Ce qui, à vrai dire, était le cas. Se retournant sur le ventre, elle ne put même pas gémir, le souffle coupé, tandis que son sang écarlate dégoulinait sur son lit, souillant ses draps, ses vêtements et ses cheveux blancs. Elle ne comprenait pas le moins du monde ce qui était en train d’arriver, pas plus qu’elle n’arrivait à percevoir quoi que ce soit de cohérent dans les murmures incessants bourdonnant à ses oreilles. Les ongles enfoncés dans son matelas, le souffle court, elle prit quelques inspirations difficiles et appela aussi fort qu’elle le put – soit d’une voix faible et rauque :

- Bel ... Belaam ...

Belaam cacha sa surprise derrière un masque d'indifférence lorsque la faucheuse lui annonça qu'elle allait dormir, et se contenta de regarder l'écran de télévision d'un air vide. En-Zakel avait été d'un ennui terrible toute la soirée, au plus grand désespoir du Démon qui s'était tourné les pouces pendant qu'elle travaillait. Depuis quelques temps, il n'y avait plus que les heures passées en compagnie de son hôtesse qui étaient digne d'un peu d'intérêt. Ne sortant plus, craignant d'attirer de nouveau l'attention des Anges sur sa misérable existence, Belaam regardait le temps passer sans rien trouver à faire, déambulant à la manière d'un somnambule à longueur de journée. La passivité d'En-Zakel l'avait donc particulièrement frustré, et il se demandait si elle ne s'était pas lassée de lui. Si ça se trouve, elle allait le foutre dehors parce qu'elle s'était rendue compte que sa générosité ne lui apporterait rien de concluant venant du Démon.
Il se torturait donc l'esprit pour chercher à savoir comment regagner la confiance de la Blanchette, lorsqu'il lui sembla percevoir une certaine tension dans l'air. Un peu comme si un sixième sens tentait de l'avertir d'un danger imminent. Il éteignit la télévision, et vint se placer au milieu du salon, guettant le moindre bruit, et c'est ainsi qu'il avait prit conscience de l'agitation qui régnait du côté de la chambre de la faucheuse. Sachant pertinemment que cette dernière n'appréciait pas que le squatteur y fourre son nez, Belaam resta sur le pas de la porte, et parce qu'elle était entrouverte, il l'observa se débattre mollement, probablement en proie à un cauchemar. Indifférent et rassuré maintenant qu'il savait d'où venait la tension ambiante, il s'éloigna d'un pas traînant. Jusqu'à ce qu'elle l'appelle faiblement.
Un sourire moqueur et satisfait se peignit sur le visage du junky. La simple idée qu'En-Zakel le réclame, probablement pour la réconforter après son terriiiible cauchemar, gonflait son égo et le rassurait quant au fait qu'elle voulait ou non le garder dans son appartement.

-Là, lààà, pauvre petite Blanchette a fait un vilain rêve ? Tu veux du jus de goyave peut être pour – Oh bordel qu'est-ce que c'est que ça ?!

Certes, Belaam avait déjà eu l'occasion de voir à quel point la faucheuse pouvait être mystérieuse, virulente, et étrange. Mais baigner dans son sang après avoir eu le dos lacéré, ça visiblement c'était pas de son cru. Le premier réflexe du Démon fut d'allumer la lumière pour être certain de ne pas se tromper sur ces tâches sombres dont étaient imbibés les draps et les vêtements d'En-Zakel. Et puis, pensant que quelqu'un venait de l'agresser dans sa propre chambre, il pénétra plus profondément dans la pièce pour chercher l'auteur de cette mutilation, mais rien. Il n'y avait que son petit cœur de junky qui battait, et la faucheuse à l'agonie. Un nouveau chapelet de jurons s'échappa des lèvres de Belaam, qui s'approcha de la pauvre créature ensanglantée sans trop savoir quoi faire. S'emparant d'un pan de drap encore relativement propre et sec, il fit pression sur la blessure pour stopper l'hémorragie.

-Blanchette ? Hé tu m'entends ?! Qu'est-ce qu'il se passe bon sang !

Belaam se rendit bien vite compte que malgré ses efforts le sang continuait à couler. Pire, les deux entailles faites par on ne sait quel diable semblaient grandir un peu plus à chaque minute qui s'écoulait. À ce rythme la pauvre dame en blanc se viderait de son sang et lui crèverait entre les mains.
Il l'abandonna dans un sursaut d'intelligence et se rendit directement dans la cuisine. Là, ouvrant tous les tiroirs jusqu'à en répandre le contenu dans la pièce, il se mit en quête de fils et d'aiguilles pour recoudre les deux plaies béantes du dos d'En-Zakel. Ça serait probablement du travail de cochon, mais au moins ça empêcherait le sang de continuer à couler, du moins c'est ce qu'il croyait. Et si ça marchait pas, il lui cramerait le dos pour cautériser. Encore plus barbare et douloureux, mais il n'avait pas envie que sa faucheuse crève, et le réflexe d'appeler les urgences était loin loin loin dans son cerveau.
Pourtant, sans trop savoir comment ni pourquoi, il s'était retrouvé avec le téléphone entre les mains. Pendant ses recherches, il était tombé sur un bout de papier avec un numéro inscrit dessus. Comme il n'était pas particulièrement dissimulé, mais pas non plus rangé dans un endroit fait pour ça, le Démon un peu paniqué se dit que c'était probablement pour les cas d'urgence. Il composa avec soin chacun des chiffres, et appela en retournant auprès d'En-Zakel non sans avoir fait un détour par la salle de bain pour prendre quelques serviettes histoire d'éponger les dégâts et freiner ce sang qui continuait à couler.
Ne laissant pas le temps à son interlocuteur de placer un seul mot après avoir décroché, Belaam s'égosilla dans le combiné histoire de bien faire ressentir le côté urgent de la situation. Il ne savait même pas trop ce qu'il disait, sa phrase n'avait pas beaucoup de sens. Mais comme il y avait casé les mots « En-Zakel », « pisse le sang », « mourir » et « aidez-moi », il avait bon espoir que l'autre comprenne et rapplique fissa. Accroché au téléphone, haletant presque (dans quel état il se mettait à cause de cette fichue faucheuse), le Démon attendait qu'on lui donne la moindre instruction ou le plus petit espoir, parce que sous ses yeux rouges et écarquillés, la situation empirait.

Il faut pas croire, c’est pas parce qu’on n’éprouve pas nécessairement le besoin de dormir la nuit qu’on est frais et dispo et tout à fait prêt à supporter l’atroce sonnerie du téléphone à une heure complètement improbable.
Aussi était-il d’une humeur exécrable lorsque, sortant de sa léthargie abrutissante devant un programme télé des plus nuls à chier qui soient – il faut dire les choses comme elles sont, hein –, il s’était levé de mauvaise grâce pour aller rabattre son caquet à ce machin technologique braillard.
Bon, voir le nom d’En-Zakel s’afficher sur l’écran l’avait encouragé à se montrer un chouilla plus tolérant parce que tout de même, vu les mauvaises habitudes qu’il avait pris, lui, lorsqu’il squattait chez elle, il était mal placé pour lui reprocher ça. Néanmoins, se faire exploser les tympans la seconde d’après par un type qui n’était certainement pas En-Zakel avait un peu réduit à néant les efforts qu’il s’était promis de faire. Aussi s’apprêtait-il à lui répondre de la manière la plus exquise de bien vouloir aller se faire foutre, mais le temps lui en manqua et la tonalité l’informa que son correspondant venait tout bonnement de lui raccrocher à la gueule.
Sans compter le fait que certains mots ayant enfin réussi à se détacher de tout ce charabia inaudible pour se frayer un chemin jusqu’à son neurone, il se retrouvait à ne plus rien avoir à répondre, planté comme un con au beau milieu de la pièce, le téléphone à bonne portée de son oreille et en plein bug mental.

Et puis la lumière fut, le cow-boy s’anima soudain et n’eut que le temps d’enfiler ses godasses, d’attraper manteau et chapeau qu’il se retrouvait déjà dehors. La Faucheuse n’habitait pas tout à fait la porte à côté, mais n’était pas non plus au Diable et s’il se hâtait bien, il pourrait y être d’ici une bonne quinzaine de minutes.

Il ne prit pas la peine de frapper, parce qu’en général quand on te dit que quelqu’un est en train de crever de l’autre côté de la porte, t’attends pas vraiment bien sagement qu’on vienne te l’ouvrir, et s’engouffra dans l’appartement avec autant de délicatesse qu’un pachyderme lancé en pleine charge.
Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, une demi-seconde pour piger où se trouvait la petite fête et puis il en rejoignit les deux participants, non sans jeter au passage un vague regard étonné à l’inconnu qui se trouvait là, probablement celui qui avait tenté de le priver de son audition tout à l’heure.
Etonnement qui fut bien vite éclipsé par la stupeur de découvrir l’état dans lequel se trouvait En-Zakel, l’horreur aussi et puis, forcément, l’inquiétude et l’incompréhension totale. Il étrangla un juron et se précipita à son chevet, laissant échapper le nom de la Faucheuse dans une exclamation – mais était-elle seulement encore consciente ? –, avant de se tourner à nouveau vers l’inconnu.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Ce n’était tout de même pas lui qui était responsable de ça, pas vrai ? Il l’espérait très fort, se doutait d'ailleurs que ce n'était sûrement pas le cas, mais le regard qu’il lui porta trahissait tout de même une once de suspicion à son égard.

En-Zakel avait déjà du mal à rester consciente quand Belaam entra dans la pièce. Les sarcasmes du Démon laissèrent bien vite place à une exclamation surprise et déjà un peu paniquée. En temps normal, la Faucheuse aurait trouvé ça particulièrement jouissif d’entendre le brusque changement de ton de son colocataire. Mais à ce moment-là, son esprit était focalisé sur autre chose et n’avait pas le temps de s’encombrer de cette pensée-là.
La jeune femme s’accrochait désespérément à son lit, les ongles littéralement plantés dans le matelas. La douleur qui lui cisaillait le dos était atroce, et il lui sembla que les plaies qu’elle y sentait s’ouvraient un peu plus à chaque instant passé.
La lumière soudaine dans sa chambre lui arracha un léger gémissement tant cela lui fit mal. En fait, elle avait l’impression que tout lui faisait mal, sans comprendre pourquoi.
Elle sentait son sang chaud dégouliner encore et encore, souillant ses draps et rendant poisseux ses bras, ses hanches et ses cheveux. Quand Belaam appuya un pan de tissu sur ses blessures pour tenter de calmer l’hémorragie, elle cru bien tourner de l’œil tant elle eut l’impression qu’il frottait ses chairs à vif avec du papier de verre. Son geste partait d’une bonne intention, mais n’améliora pas franchement les choses.
La Faucheuse inspira et expira longuement, tentant de retrouver assez de souffle pour expliquer ce qui venait d’arriver.

- Je ... s-sais pas ... c-cauchemars ... m-mal ...

Elle l’entendit sortir en trombe de la chambre quelques secondes plus tard. Pour aller faire quoi, elle ne le savait pas. Elle se demanda même s’il n’était pas en train de l’abandonner à son sort, la laissant se vider de son sang sans qu’elle sache jamais pourquoi ni comment.
Finalement, le Démon revint peu après. Elle se sentit éminemment soulagée sans tout à fait s’en rendre compte. Elle n’aurait pas aimé subir ça toute seule, peu importe ce qu’elle était en train de subir. Elle était déjà bien assommée quand elle l’entendit s’égosiller dans le téléphone, parlant à elle ne savait qui. Elle se dit qu’il était peut-être tombé sur un numéro au hasard, ou bien qu’il avait fouillé dans son calepin et trouvé celui des urgences. Pas un instant elle pensa au post-it dans le tiroir de sa cuisine.
Elle se sentit très lourde tout à coup, et elle eut beau lutter, sa tête finit par retomber mollement sur son lit. Ses yeux se révulsèrent avant de se fermer au moment où elle sombra dans l’inconscience.

Ce fut de vagues éclats de voix qui la sortirent de sa torpeur. Elle sentait que quelqu’un la poussait un peu, et cela ne fit que rappeler la douleur à son bon souvenir. Son cerveau embrumé mit quelques instants avant de reconnaître la voix de la personne à ses côtés. Gémissant un peu, elle tourna la tête vers lui.

- ... Sund’ ... ?

Son regard blanc détaillait le cow-boy comme à travers un voile brumeux. Elle se sentit bizarrement soulagée qu’il soit là. Vraiment soulagée même.
Elle agrippa le pantalon de l’immortel et dit d’une voix rauque et faible :

- Sortez ... moi ... de là ... j’étouffe ...

Ce qui était vrai. Elle sentait une pression désagréable sur sa cage thoracique, comme si quelque chose d’invisible prenait un malin plaisir à comprimer ses os.
Alors qu’elle sentait qu’on la soulevait de son lit, quelque chose bougea dans son dos. Ca n’était pas une impression ni une hallucination, mais bel et bien une certitude : quelque chose avait bougé sous sa peau, remuant ses chairs lacérées et gondolant des omoplates.
En-Zakel écarquilla les yeux sous la surprise et la douleur, beaucoup plus forte tout à coup. Sans réfléchir, elle planta ses dents dans l’épaule de l’un de ses porteurs pour s’empêcher de hurler.
Les mouvements sous sa peau continuèrent, gagnant même en intensité de seconde en seconde, ouvrant davantage ses plaies béantes qui laissaient échapper de longues trainées de sang qui dégoulinaient maintenant le long de ses jambes.

Malgré l'horreur du moment et l'état d'incompréhension totale du Démon, ce dernier prit le temps de dévisager le nouvel arrivant en écarquillant les yeux. À la télé dans les séries américaines, c'est à ce moment là que le personnage dit :

-What the fuck ?

Et Belaam depuis quelques temps aimait bien essayer de nouvelles expressions étrangères, avec un accent tout à fait approximatif mais il était persuadé que ça lui donnait un peu plus de classe.
Le fait est que, voilà, En-Zakel a son dos qui pète un câble sans raison apparente, et le seul éventuel espoir auquel Belaam s'était accroché s'avère être un clochard à la dégaine plus que douteuse. Oui bon, il devrait savoir, le petit bout de Démon coincé dans le corps de junky, que Naniwa est bourrée de choses étranges. Mais bon. Il avait l'air directement sorti d'un film ce type. Et il avait pas vraiment la gueule d'un médecin ou de celui qui peut résoudre les problèmes avec calme et efficacité. Le seul point positif c'était qu'il avait l'air d'être pote avec Blanchette. Non mais parce qu'en le voyant arriver Belaam s'était demandé pendant un instant si c'était pas le criminel qui revenait jeter un œil à son boulot.

-Il s'est passé qu'à un moment elle se roulait dans ses draps en plein délire cauchemardesque, bien qu'à mon avis ça ne soit pas si terrible que ça elle devait exagérer, les cauchemars ça me connait et ça n'avait pas l'air d'être si cauchemardesque, en fait. Et puis après avoir jeté un œil j'ai fait demi-tour, pour pas qu'elle croit que je la mate, et puis je suis revenu et elle pissait le sang là comme ça.

Oui la concision n'était pas vraiment le meilleur atout du Démon. Surtout qu'en l'occurrence il se doutait bien, en fait, que le cauchemar avait probablement quelque chose à voir dans l'histoire, faute d'individu à accuser. Alors autant donner tous les détails à Clint Eastwood (le seul bonhomme jouant dans des western dont puisse se rappeler Belaam. Le fait qu'il soit dans presque TOUS les westerns américains passant à la télévision, ça devait aider un peu la mémoire aussi).
Le regard dédaigneux du squatteur se posa sur le pseudo cowboy, qui avait la chance d'obtenir quelques bribes d'explication de la part d'En-Zakel. Bonne nouvelle, ça prouvait qu'elle était pas totalement dingue ni morte. En revanche Belaam se sentait bien con maintenant a tenir sa serviette de bain gorgée de sang qui ne servait plus à rien. Du tout. Et puis, saisissant le sens de la dernière phrase de Blanchette, qui n'était plus vraiment blanche actuellement (faudrait-il penser à la renommer ?), son locataire sauta sur l'occasion pour prouver qu'il n'était pas qu'un junky habité par une sorte d'entité actuellement dépassée par les évènements.

-On peut pas la foutre dehors on va s'attirer des emmerdes, y'a des grandes vitres dans le salon on a qu'à tout ouvrir.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Belaam laissa Clint avec sa dulcinée qui s'était tellement accrochée à son jean sale qu'elle avait fait naître une pointe de jalousie chez le Démon, et sans se soucier de comment il allait transporter la dame sans trop de dégâts, s'empressa d'ouvrir le plus de fenêtres possible dans le salon. Bien vite, l'air frais de la nuit s'engouffra dans l'appartement, ébouriffant les cheveux déjà dépeignés de Belaam. Il n'y connaissait pas grand chose côté faucheuses, mais quelque chose lui disait que cet incident – catastrophe, carnage même – devait avoir un rapport avec sa nature profonde. Tellement profonde que ça lui remuait entre les épaules même. À moins que Belaam n'ait halluciné, trop perturbé par ce qui se passait.
Aussi vite qu'il était venu, le résidu démoniaque disparut dans la cuisine pour aller chercher un peu d'eau, histoire de rincer le dos ensanglanté d'En-Zakel dans l'espoir d'y voir quelque chose, et de situer le problème. Oui vous pouvez le dire c'est plutôt pas con comme idée. Mais que voulez-vous, maintenant qu'il y avait quelqu'un pour s'occuper d'elle avec lui, il avait un peu moins les boules et reprenait le contrôle de son cerveau.

Okay, Sundance avait franchement l’impression de nager en plein délire, là. Entre les explications bancales de l’inconnu et le spectacle qu’il avait sous le nez, il pigeait tellement rien qu’il n’aurait presque pas mal pris le fait que tout cela n’ait été rien d’autre qu’une blague de mauvais goût.
Et puis merde, il était censé faire quoi au juste ? Non parce qu’il fallait pas se leurrer, il avait beau être « content » d’avoir été mis au courant – En’ étant ce qui se rapprochait le plus d’une amie pour lui, il préférait savoir quand il se passait ce genre de trucs plutôt qu'être laissé dans l'ignorance –, il n’avait pas la moindre idée de ce qui était en train d’avoir lieu, encore moins de comment éviter qu’elle se vide de tout son sang juste devant leurs yeux.
Bon, au moins, il savait déjà ce qu’il ne fallait pas faire : ne pas la sortir, merci à l’autre gars de lui avoir fait part de sa déduction dès fois qu’il soit suffisamment con pour songer que l’inverse aurait pu être une bonne chose ; ne pas appeler les urgences ni n’importe quel autre organisme public et légal, tout aussi logique au vu de la nature particulière de l’agonisante… ce qui était plutôt dommage puisque si ça se trouve, eux auraient été à même de faire quelque chose ; et puis last but not least, ne pas la laisser mourir… you don’t say, ouais, mais n’empêche que dans l’immédiat ils étaient tout de même assez mal barrés, là.

Avec toute la précaution et la délicatesse du monde – enfin toutes celles dont il était capable de faire preuve en tout cas –, Sundance tenta de soulever En-Zakel pour l’emmener dans le salon. Une entreprise pour le moins délicate, vu qu’il pouvait oublier l’idée de lui passer un bras derrière les omoplates pour la soutenir. Néanmoins, il réussit tout de même à tirer son épingle du jeu, non sans avoir sérieusement pensé à un moment perdre un bon morceau lorsqu’elle lui avait mordu l’épaule avec une force qu’il ne lui soupçonnait pas.
Puis vint le moment fastidieux où il lui fallut déposer son butin sur le canapé du salon, tout en nourrissant l’espoir de ne pas se faire bouffer une seconde fois l’épaule – il était pas sûr qu’elle y survive deux fois d’affilée, la pauvre – et, dans l’idéal, en évitant de se faire trop brusque dans ses mouvements. Des vagues notions de logique lui dictèrent de la positionner ni sur le dos, ni sur le ventre, mais le pseudo cow-boy n’ayant jamais passé son brevet de secourisme pour faucheuse en danger, il était bien en peine de faire mieux que ça.

— Ça va aller, d’accord ? On va s’occuper de toi.

Maigre réconfort pour elle, il n’en doutait pas, m’enfin c’était mieux que rien. Non ? … bon.

Sortant un couteau papillon de ses poches, il déchira la nuisette et en débarrassa sa propriétaire, sans aucune pensée déplacée derrière son geste – de toute façon, l’habit ne masquait quasiment rien déjà et, tout imbibé par le sang comme il l’était, en devenait plus handicapant qu’autre chose. Puis Sund’ se redressa et s’écarta pour laisser la place à l’autre type et à l’eau qu’il avait eu la bonne idée d’aller chercher.

En-Zakel se laissait totalement faire – après tout, de quoi était-elle capable à ce moment précis à part se vider de son sang et tenter de rester un minimum consciente ? Elle réalisa à peine qu’elle avait planté ses dents dans l’épaule de Sundance, et serra les mâchoires lorsqu’il la déposa sur son canapé, l’allongeant sur le côté plutôt que sur le dos ou le ventre. Une initiative bienvenue et qui aurait son utilité. Elle hocha vaguement la tête lorsqu’il la rassura comme il put. Ca n’aidait peut-être pas ses blessures à se refermer, mais au moins, cela avait le mérite d’être assez efficace pour que la Faucheuse ne sombre pas et lutte pour rester à flots.
Elle entendit vaguement Belaam revenir, et sentit quelque chose de glacé couler dans son dos. Le contact de l’eau fraîche sur ses plaies lui arracha un frisson et un faible soupir de soulagement. Une vague de froid plus qu’agréable irradia de ses omoplates jusque dans le reste de son corps que la douleur avait rendu brûlant de fièvre.
La jeune femme commença à se détendre petit à petit, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment décontractée pour se rendre compte du goût métallique qui imprégnait ses lèvres. Elle cru un instant qu’il s’agissait de son sang, mais en levant les yeux vers Sundance, elle remarqua la tâche rougeâtre qui s’étalait sur sa chemise, bien différente des traces laissées lorsqu’il l’avait portée jusqu’au canapé. Elle racla légèrement sa gorge sèche avant d’articuler d’une voix rauque :

- Désolée ...

Elle adressa au cow-boy un petit sourire navré, à défaut de pouvoir faire autre chose. Les plaies dans son dos la lançaient toujours et le sang recommençait à couler, dégoulinant sur le canapé et maculant le tapis.

Décidément, je fais beaucoup de frais d’ameublement depuis quelques temps ...

La Faucheuse en était là de ses réflexions, essayant de se détendre et se calmer avec les moyens du bord, lorsqu’une fois encore elle sentit quelque chose s’agiter sous sa peau, semblant fouailler ses chairs.
Elle en eut le souffle coupé. Les yeux écarquillé, elle attrapa le premier coussin à sa portée et y planta ongles et dents pour ne pas crier. Elle n’avait aucune idée de ce qui était en train de se passer, pas plus qu’elle ne savait ce qu’était ce corps étranger dans son organisme – cela pouvait-il être autre chose qu’un parasite quelconque, elle en doutait fortement.
Crispée, tendue au possible, elle laissa finalement échapper un hurlement de douleur étouffé lorsqu’elle sentit la chose dans son dos jaillir avec force, manquant l’entraîner avec elle. Lorsque ladite chose heurta violemment le mur à l’autre bout de la pièce, il sembla à En-Zakel qu’une décharge électrique la foudroya sur place. Frissonnant et tremblant de tous ses membres, elle tourna la tête comme elle le put, cherchant à voir ce qui venait de se passer.
Il fallut un instant à son esprit embrumé par la douleur pour assimiler ce qu’elle voyait. Son cœur dû rater un battement ou deux aussi.
Dans son dos, sorties de son dos, se trouvaient deux ailes absolument gigantesques. Des ailes de peau et d’os, d’une blancheur immaculée si l’on exceptait les traînées sanglantes qui les barbouillaient ça et là.

- Qu’est-ce que ... c’est ... que ça ... ? murmura la Faucheuse, complètement incrédule.

Elle ne sut pas si Belaam ou Sundance apportèrent une réponse à cette question posée plus par principe qu’autre chose : ses yeux roulèrent dans leurs orbites et sa tête retomba mollement contre le canapé tandis qu’elle sombrait dans une inconscience providentielle.

Combien de temps était-elle restée évanouie, elle n’en avait aucune idée. Toujours est-il que quand elle ouvrit les yeux, En-Zakel mit un moment à faire le point. Elle mit quelques secondes à comprendre qu’elle avait glissé du canapé et se trouvait maintenant face contre terre. Les poids qu’elle sentait dans son dos l’informèrent également qu’elle n’avait pas rêvé ou halluciné sous le coup de la douleur. La bouche pâteuse, grognant légèrement, elle articula :

- Je vais bien ... enfin, « bien » ...

A dire vrai, elle ne savait pas vraiment comment elle se sentait. Trop dans le coton pour avoir une idée précise sur le sujet, sans doute.
La jeune femme essaya de se redresser. Prenant appui sur ses coudes, elle décolla son torse nu du sol – et réalisa seulement maintenant qu’on lui avait enlevé sa nuisette, ce qui n’avait pas été idiot du tout comme idée – et tenta de s’asseoir. Peine perdue, les ailes déployées de part et d’autre de la pièce l’entraînaient systématiquement vers le sol. En soupirant, elle secoua la tête avant de la redresser vers le démon et l’immortel.

- Est-ce que vous pourriez m’aider à les replier ? Pitié, faites doucement ...

Dans la bassine, l'eau était sombre et teintée d'un rouge profond. Belaam s'était résigné à arrêter d'essayer de rincer le linge qu'il avait utilisé pour nettoyer le dos d'En-Zakel, et s'apprêtait à l'empoigner pour le vider dans un lavabo. Le regain d'agitation de la faucheuse l'arrêta pourtant net, et il adressa un bref regard en coin à son camarade d'infortune non loin de là. L'air de dire, « on fait quoi », le tout avec une touche de provocation qui généralement laissait le soin aux autres de prendre les initiatives, pensant qu'ils avaient quelque chose à prouver. Mais là, vraiment, tout alla très vite d'un coup. Un peu comme une vache prise de colique et qui pète un bon coup. C'est moyennement agréable sur le moment mais au moins on sait que le pire est passé.
On aurait dit que le dos d'En-Zakel avait littéralement explosé, compte tenu de la taille des trucs qui en étaient sortis pour aller chatouiller les meubles de la pièce. Une putain de paire d'ailes dignes d'un foutu Démon s'était déployée en envoyant gicler une dernière dose de sang à travers l'appartement. C'était presque artistique, ces fresques rouge vif dans cet ameublement si propre, et une fois passée la surprise de ce qui venait de se passer (allez, disons cinq bonnes minutes passées à contempler les appendices nouvellement nés de la faucheuse), Belaam hocha la tête d'un air profondément blasé.

-Pas mal. Pas mal du tout, je m'y attendais pas à celle là.

Du revers de la main, le junky possédé essuya une goute de sang qui était venue s'écraser sur sa joue gauche, portant le tout à ses lèvres dans une curiosité macabre de goûter le sang d'une créature aussi bizarre que Blanchette.

-Pas mal pas mal...

Sa lèvre inférieure se tordit en une moue presque appréciative alors qu'il hochait la tête, sincèrement impressionné dans le fond par ce qui venait de se passer.

-Tu savais toi que ça avait des ailes une faucheuse ? Ah... non, c'est parce qu'elle est blanche. Elle est mal finie elle ça doit être un croisement avec un angelot.

Et il hochait toujours la tête, très sûr de ce qu'il disait le Démon, sans doute parce qu'à cet instant il n'y avait plus grand chose d'autre à faire. Pas pour En-Zakel en tout cas. Le reste... l'appartement allait bientôt puer la mort si on laissait autant de fluide vital étalé partout, ça aurait été bien de nettoyer un peu, mais Belaam ne se sentait pas du tout l'âme d'une femme de ménage alors cette idée fut vite abandonnée.
En revanche, avisant l'épaule meurtrie de Clint, la vile créature, qui n'avait pas l'intention de laisser passer cette occasion de se moquer un peu de lui, se faufila jusqu'au coin pharmacie de l'appart' où étaient rangés les pansements, et revint en brandissant un sparadrap beige à pois roses.

-Tiens, faudrait pas que ça s'infecte, je vais avoir encore besoin de toi je crois compte tenu de... l'ampleur, de la situation.

Du menton il désigna la faucheuse, avant d'aller se poster à une fenêtre sans trop savoir quoi faire de sa peau, pour changer. Après tout, comme toujours, dès qu'En-Zakel était indisponible le Démon se faisait fortement chier.

-Merci d'être venu d'ailleurs, murmura-t-il enfin avant de se taire définitivement, les yeux rivés sur la rue en contrebas.

Belaam resta ainsi, autant silencieux que sourd, plongé dans des réflexions toutes personnelles et des souvenirs pas forcément nostalgiques, malgré ce que pouvait laisser croire son regard rouge et irrité par la fatigue continuelle de l'enveloppe humaine qu'il habitait. Le bruit d'En-Zakel tombant au sol ne le fit même pas sourciller, et il ne se détourna de la vitre que pour constater qu'elle était réveiller. Et d'après son visage, son regard plein d'attention, elle venait de dire quelque chose et attendait un genre de réponse.

Pendant un moment, pendant un très long moment, Sundance se demanda à quel moment de la journée-soirée-nuit il avait ingurgité par inadvertance une substance dont il aurait mieux valu s’abstenir.
Ensuite, il fut bien obligé d’admettre que ce qu'il voyait était définitivement, réellement... réel. Et les commentaires désabusés du gus, tout comme son comportement, ne l’aidaient pas beaucoup dans cette histoire. Forcément, le cowboy à la manque ne put que se demander qui ou quoi pouvait-il bien être, pour ne pas paraître plus surpris que ça. Puis toute son attention revint se focaliser sur la Faucheuse, qui elle au moins avait eu l’amabilité de paraître au moins aussi esplantée que lui avant de tourner de l’œil.
Pour ce qui advint ensuite, il se contenta d’un regard noir à l’inconnu et à son sparadrap avant de se décider à l’ignorer, dressant seulement l’oreille à l’entente d’un « merci » de sa part. Aucune réponse ne franchit ses lèvres cependant, il ne se sentait pas particulièrement l’envie de tenir la causette et c’était sans doute au moins une chose qu’il partageait avec l’autre. Il se contenta donc de rester au chevet d’En-Zakel, le bout des fesses posé contre le rebord du canapé et son seul œil valide ne la quittant quasiment pas. Il ne réagit qu’à peine lorsqu’elle se cassa la figure, ou du moins laissa-t-il faire les choses sans chercher à intervenir, n’osant pas la bouger tant qu’elle ne serait pas à nouveau réveillée et consciente – et espérons que ça ne serait pas d’ici trop longtemps.

Une éternité sembla passer avant que la voix de la Faucheuse se fasse entendre, qu’elle ne recommence à remuer un peu et échoue à se relever. Sundance, aussitôt, s’empressa de s’accroupir à ses côtés. La secourir, ça n’était pas un problème, il ne demandait que ça. Mais comment, au juste ? Il éprouvait une certaine répugnance à toucher ces drôles d’ailes encore toutes baveuses du sang de leur propriétaire.

— Tu pourrais peut-être, éventuellement, envisager de venir filer un coup de pouce ? lança-t-il au brun qui entre temps avait fini par se détourner de sa contemplation du paysage nocturne.

Et, attendant qu’il revienne s’intéresser de plus près à ce qui se passait ici, l’immortel entreprit d’aider En-Zakel à se redresser au moins en position assise – plus n’était de toute façon pas préconisé dans l’immédiat –, en la maintenant par les épaules. Leurs regards se croisèrent et il lui adressa un pauvre sourire vaguement compatissant.

— J’sais pas trop c’que tu nous fous là, En’, mais j’espère vraiment que tu nous réserves pas d’autres surprises dans le genre.

En-Zakel se laissa faire par Sundance, serrant les mâchoires pour ne pas laisser échapper le moindre son. Ses épaules la lançaient, son dos n’était pas encore redevenu tout à fait sensible, et elle devait maintenant faire avec les deux énormes appendices qui avaient décidé de jaillir de son dos en repeignant les murs de son appartement avec son sang.

Joie et bonheur ... pensa la Faucheuse, plutôt agacée maintenant que la panique s’était estompée.

Son regard croisa celui de l’Immortel et elle lui adressa un petit sourire tout penaud, la tête rentrée dans les épaules.

- Désolée ... Je n’avais aucune idée que ça allait arriver – tu sais, moi et ma mémoire. J’aurais été bien incapable de me souvenir de ça.

En soupirant, elle posa son regard blanc sur les grandes ailes encore visqueuses d’hémoglobine ça et là. Du bout des doigts, elle effleura la surface de cuir de l’une d’entre elle, découvrant avec curiosité et incrédulité ces deux nouveaux membres désormais greffés à sa chair. La matière n’était pas rugueuse, au contraire, elle s’avéra étonnamment douce. En-Zakel se demanda bien comment ces choses avaient pu résister à leur retour alors qu’elles semblaient plus fragiles que lourdes – et pourtant, la tension qu’elle sentait dans ses omoplates et sa colonne vertébrale témoignait du poids des grandes ailes. En soupirant, la jeune femme resta donc en position assise, n’osant pas encore faire bouger ses nouveaux membres de peur de déclencher une nouvelle catastrophe.
Ce fut le vent frais sur sa peau qui lui rappela qu’elle n’était plus vêtue que de sa culotte en dentelle – fort jolie au demeurant, mais qui ne l’habillait pas spécialement plus que ça. Elle croisa un bras devant sa poitrine, trop loin du canapé pour atteindre un coussin – de toute façon, ses ailes l’empêchaient de bouger.
Tout en réfléchissant à toute vitesse, il lui sembla se rappeler quelque chose. Une phrase entendue alors qu’elle était en train de sombrer dans l’inconscience. Fronçant les sourcils, elle s’adressa à Belaam debout dans son dos.

- Mais tu m’as traitée d’angelot, espèce de sale petit –

Ses ailes frémirent sous la colère, envoyant un étrange frisson courir le long de son dos, lui hérissant l’échine. En soupirant, elle secoua la tête et entreprit de faire bouger ses épaules. Les membres gigantesques se replièrent alors doucement, les articulations trop raides de n’avoir pas servit depuis longtemps craquant sous l’effort. La jeune femme cligna des yeux et faillit tomber à la renverse, déséquilibrée par ce nouveau poids.

- ... Bon, au moins le problème de place est réglé pour l’instant ...

S’appuyant sur le sol, puis sur Sundance et enfin sur le canapé, elle parvint enfin à se remettre debout, tentant de rester assurée sur ses appuis. Un bras toujours en travers de ses seins, elle promena son regard blanc sur le bazar insondable qu’elle avait laissé. L’odeur du sang lui agressait les narines.

- Il va falloir nettoyer avant que ça ne se sente dans les appartements attenants – en espérant que ça ne soit pas déjà le cas et que personne ne vienne sonner à la porte dans les dix prochaines minutes.

Elle se tourna vers le cow-boy.

- Désolée de t’avoir embarqué là-dedans, tu avais sûrement une autre soirée de prévue. Merci d’être venu.

Elle lui adressa un sourire sincère, avant de sentir ses jambes se mettre à trembler, et se rassit sur le sol, courbée en deux pour laisser de la place à ses ailes.
Elle se demanda si elle était vraiment si heureuse que ça de les avoir récupérées. Après tout, c’était assez encombrant et plutôt difficile à cacher.

Belaam faisait la gueule. Oui, il faisait la gueule, et il était persuadé qu'il avait toutes les raisons du monde pour ça. Il faut bien avouer que la situation n'avait rien d'avantageux.
D'abord, il y avait cette paire d'ailes étranges sortie de nulle part (du dos d'En-Zakel, techniquement, mais la raison de leur présence restait obscure à notre petit être démoniaque préféré) qui n'annonçait rien de bon. Ça puait les ennuis à plein nez, et une telle manifestation surnaturelle avait toutes les chances d'attirer des emmerdeurs à l'odorat un peu trop fin. Sans compter les dégâts matériel, Belaam s'était habitué à cet intérieur lumineux et clair, à présent gorgé de sang. Ça n'a l'air de rien comme ça, mais les habitudes c'est important pour quelqu'un qui est encore fraîchement débarqué dans le monde d'aujourd'hui, et en tant que dernier Démon sur terre (enfin, rien n'était encore prouvé, avec un peu de chance...) Belaam tenait à garder un minimum de repères. Or, patatras, toutes les certitudes qu'il avait acquises sur En-Zakel la faucheuse blanche venaient de partir en miettes. On ne le répètera pas assez, cette paire d'ailes n'était pas normale, et tout le monde s'en serait bien passé. Sauf peut être le pseudo Clint Eastwood qui s'évertuait à faire preuve de mille et unes attentions envers sa copine blanchâtre. Ce qu'il avait l'air con avec son regard de chien battu, « oh ma pauvre chérie tu as bobo ? ». Belaam le trouvait excessivement pathétique. Preuve qu'en réalité il était agacé de cette intrusion dans son petit quotidien avec la faucheuse. Il avait l'air de vraiment bien la connaître et de vraiment bien s'entendre avec elle et pour un petit Démon en sursit qui essaye de créer un genre de relation avec ladite faucheuse dans l'espoir d'en tirer profit... et bien c'est vraiment frustrant.

De son côté de la pièce le junky possédé ne broncha point. Malgré le fourmillement d'idées qui agitait son petit cerveau, et malgré les incitations du cowboy à venir l'aider, il s'était décidé à rester simple spectateur vu que finalement ils s'en sortaient très bien tous les deux. Et à vrai dire, En-Zakel semblait se porter mieux, plus besoin de faire de la lèche à présent. Enfin si, peut être en l'aidant à nettoyer. Plus tôt ce sera fait et plus tôt il pourra récupérer sa place dans le canapé pour regarder la connerie humaine en direct de la télé.
Ignorant tout à fait volontairement le petit couple qu'il qualifiait de niais (entre autres qualificatifs, mais celui-là est l'un des moins pires disons), Belaam fit ce qu'il savait faire le mieux : il récupéra un seau pour le remplir d'eau à moitié et y mélangea des produits lavant, avec une pointe de javel (d'après l'étiquette c'était rudement efficace alors pourquoi ne pas tenter ça sur le canapé, en espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard pour le récupérer) pour rendre le blanc plus blanc que blanc.
En bon petit esclave, pour rester malgré tout dans les bonnes faveurs de celle qui avait daigné l'héberger jusque là, Belaam s'attacha donc à tenter de nettoyer les traces de sang. Pour illustrer à quel point il était détendu du slip, il aurait bien été jusqu'à siffler d'un air distrait. Mais sachant que ça risquait de faire un peu trop... gros, il se contenta de trifouiller et de bidouiller en silence pour donner l'impression qu'il se donnait à fond dans quelque chose. Au moins ça aurait le mérite de faire passer le temps et avec un peu de chance Clint finirait enfin par se barrer.
Ce que le Démon-junky ignorait, c'est que cela ne risquait probablement pas d'arriver de si tôt, compte tenu qu'une des pièces de l'appartement l'avait justement hébergé pendant un certain temps avant l'arrivée de Belaam. Ça faisait partie des détails qu'il aurait bien aimé connaître mais qu'En-Zakel avait tut, pour des raisons qui ne regardaient qu'elles.

[J'fais pas trop avancer l'bouzin avec ça, pardon, j'ai rien trouvé de plus constructif ._.]

Elle était mignonne tiens, En-Zakel. C’est vrai après tout qu’il était de notoriété publique que Sundance était un homme surbooké qui passait sa vie à sortir et à être très occupé à droite à gauche. C’est sûr que ça le dérangeait vraiment, mais alors VRAIMENT beaucoup de se déplacer immédiatement quand on lui annonçait qu’une de ses rares amies avait un problème. Et, bien entendu, elle avait effectivement toutes les raisons du monde pour être désolée à propos d’un truc dont elle n’était pas la moins du monde responsable. Oui, oui, bien sûr.

— Laisse tomber ça, En’.

Pour ce qui était du reste, nettoyer ne semblait effectivement pas une mauvaise idée.
Sundance promena son regard dans la pièce, constatant avec une moue vaguement écœurée l’étendue sanglante des dégâts. Charmante manière de refaire la déco. Si l’on exceptait l’odeur qui prenait à la gorge : pour ce qui le concernait, il n’en était pas particulièrement fan.
L’autre type avait d’ailleurs commencé à se mettre à la tâche – littéralement, haha (non j’ai pas honte) – avec zèle, en s’attaquant au canapé… avec de la javel.
Certes.
Enfin, le Kid n’allait certainement pas dicter sa conduite à l’inconnu, ça n’était pas ses affaires, pas son chez-soi également. Du moins ça ne l’était plus depuis quelques années, en tout cas.
En revanche, il pouvait éventuellement songer à lui filer un coup de main. Pas que faire l’homme de ménage le ravisse mais la Faucheuse avait raison, mieux valait éviter d’alerter le voisinage avec ça. Ils seraient pas bien dans la merde après, si quelqu’un appelait les flics et qu’ils se faisaient surprendre dans ces circonstances.

Par contre, maintenant qu’En-Zakel semblait aller mieux, il avait sa fidèle amie Curiosité à rassasier un peu. Fallait bien avouer qu’il l’intriguait vaguement, l’autre gars, et maintenant que la propriétaire des lieux ne cherchait plus à perdre les litres de sang qu’il lui restait encore, il estimait pouvoir la questionner (presque) sans donner l’air de balancer une couille dans le potage.

— Alors, tu transformes ton appart en hôtel ? Ou je te manquais juste tellement qu’il a fallu que tu me remplaces ?

Humour. Humour everywhere.
Bah, ça valait toujours un peu mieux qu’un « c’est qui c’gars-là ? » très délicat façon pachyderme dans un magasin de porcelaine.

En-Zakel regarda Belaam se mettre au travail d’un œil surpris et, il fallait le dire, quelque peu suspicieux. Bien qu’il lui rendait un grand service en commençant à nettoyer les litres et les litres de sang dont elle avait joyeusement badigeonné les murs et le planché de son appartement, elle se demanda le pourquoi de cette attention pour laquelle elle n’avait pas eu besoin d’insister. Pas de pique moqueuse, pas de remarque, rien : le Démon s’était juste mis au travail sans un bruit. D’ailleurs, cela faisait quelques minutes qu’il n’avait plus rien dit, chose étonnante s’il en était. Depuis qu’elle l’avait rencontré, la Faucheuse avait plus ou moins renoncé au silence. Quelque part, cela ne la dérangeait pas, mais à d’autres moment, cela pouvait s’avérer particulièrement agaçant ; or, cette fois, pas un mot ne s’était échapper d’entre ses lèvres alors que l’inverse lui serait apparu beaucoup plus logique. La jeune femme s’inquiéta de ce qui pouvait traverser l’esprit du junky possédé en cet instant. S’il décidait de mettre les voiles parce qu’elle venait de se révéler un peu trop imprévisible à son goût, elle aurait perdu son plus précieux atout dans sa quête de vengeance et de réouverture des portes de l’Enfer. Et aussi, chose qu’elle ne révèlerait à personne, elle s’était habituée à la présence de son drôle de colocataire. Le laisser partir dans la nature revenait à être de nouveau toute seule une fois encore, et elle ne savait pas si cela la dérangeait ou non.

Ce fut la voix de Sundance qui la fit redescendre sur terre. Tournant la tête vers lui, elle l’écouta parler et ne put réprimer un léger rire. Haussant un sourcil, elle répondit tout naturellement :

- Parce que tu croyais vraiment que j’allais rester tranquillement sans peluche après que tu sois parti ?

Elle sourit au cow-boy et secoua la tête, laissant échapper un discret soupir.

- C’est ... une longue histoire, que je n’ai pas encore eu le temps de te raconter. D’autant que je ne sais pas du tout comment tu vas le prendre ...

Elle tourna la tête vers Belaam, se demandant s’il fallait vraiment tout raconter à l’Immortel. Elle se rappela bien assez vite que Sundance était sans doute le seul véritable ami qui lui restait, peut-être le seul qu’elle ait jamais eu, et l’unique personne à qui elle faisait suffisamment confiance pour lui confier tout et n’importe quoi en sachant que ses secrets seraient bien gardés. Ses ailes frémirent dans son dos alors qu’elle bougeait les épaules pour détendre ses muscles endoloris, et les grands pans de cuir blanc semblèrent se détendre et se replier un peu, libérant de l’espace dans le salon de l’appartement. En-Zakel regarda Sundance et se décida à parler.

- Belaam ici présent et moi-même nous sommes rencontrés il y a quelques mois, dans le vieux cimetière aux limites de la ville.

Se rendant bien compte qu’elle mettait son sort et celui de Belaam entre les mains du Kid, qui serait l’unique personne en dehors du duo à être au courant de leur petit arrangement, elle poursuivit.

- Tu te souviens de ce que je t’avais raconté ? Ce qui m’est arrivé, pourquoi j’ai disparu si longtemps ... Logiquement, si tu te rappelles de ça, tu te rappelles de Rampa aussi, et de qui il est ainsi de ce qui lui est arrivé, à lui et aux troupes de Lucifer qui ont pu s’échapper à temps – du moins, j’espère qu’il a pu s’échapper à temps ...

Elle désigna son colocataire d’un mouvement de tête.

- Belaam est un Démon – pas la peine de me regarder avec des yeux pareils, ça m’a tout autant surpris que toi. C’est le dernier des siens encore sur Terre – normalement – et il est sous ma protection en attendant qu’il ait récupéré suffisamment de forces pour se débrouiller seul si jamais il devait tomber sur un ange.

La jeune femme ne prit pas la peine de le tenir au courant du marché qu’elle avait passé avec le Démon susnommé. Elle planta son regard blanc dans celui de Sundance.

- Maintenant, écoute-moi bien : tu ne dois en parler à personne. Je te fais suffisamment confiance pour te raconter ça, mais si ça venait à se savoir, surtout parmi les anges, c’est comme si on était déjà morts.

Elle se tourna vers Belaam.

- Quant à toi, pas la peine de me regarder comme ça. Je ne révèlerai pas ça au premier venu, et je connais Sundance depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il ne dira rien à qui que ce soit.

Se remettant debout, la Faucheuse blanche fit jouer ses épaules. Dans un craquement sec, ses ailes se replièrent doucement dans son dos. Soupirant d’aise, contente de retrouver un minimum d’équilibre, elle les regarda tous les deux avant de se diriger vers sa chambre.

- Je me mets quelque chose sur le dos, on s’occupe de nettoyer tout ce sang, et ensuite on avise. Soyez gentils, ne vous étripez pas pendant les deux minutes où je ne serai pas là.

Refermant la porte derrière elle, elle appuya son épaule contre le mur et poussa un long soupir. Son regard blanc se posa sur le lit tellement imprégné de sang qu’elle n’osa pas se poser dessus de peur de s’y enfoncer jusqu’au cou. En secouant la tête, elle alla fouiller dans sa commode, cherchant une jupe ainsi qu’un haut qu’elle pourrait passer sans que ses ailes ne la gênent.

Belaam n'était clairement pas encore au top de sa forme démoniaque. Contraint d'habiter le même junky depuis trop longtemps, incapable de se nourrir suffisamment pour restaurer sa grandeur passée, il n'était alors qu'un dixième de ce qu'il avait pu être. En soit, ce n'était pas vraiment un danger pour grand monde, du moins pas plus qu'un psychopathe ordinaire comme on pouvait en trouver dans les rues. Le fait qu'En-Zakel la faucheuse au corps rebelle précise que le Démon était sous sa « protection » n'aidait pas vraiment ce dernier à redorer son image.
Cependant, tout résidu démoniaque qu'il était, Belaam savait encore jeter des regards assassins avec pas mal de succès. Pas d'effets spéciaux, pas d'insultes plus étranges les unes que les autres non, son énervement actuel, cette colère qui montait et se doublait d'un sentiment frustrant d'impuissance, tout transparaissait simplement dans le regard envenimé qu'il adressa à En-Zakel, et à celui encore plus furax qu'il posa sur le cowboy. On pouvait presque voir des flammes infernales danser dans ses yeux injectés de sang par une conjonctivite qui s'éternisait. Et lorsque le moindre rayon de lumière venait percuter ses iris, ceux-ci se teintaient d'un bel écarlate qui témoignait de la présence démoniaque dans ce corps. Belaam ne prenait pas la peine de le cacher, maintenant que tout avait été dit. Et c'était bien la raison de sa colère.
En-Zakel ne lui avait même pas demandé son avis. Elle avait balancé l'info comme si la décision n'était que la sienne. « Belaam est un Démon ». Rien que ça. Et est-ce qu'elle aurait prit la peine d'expliquer QUI était ce foutu cowboy avec qui elle flirtait depuis qu'il avait pointé le bout de son nez ? Non. Bien sûr que non. Alors le junky resta silencieux, prenant son mal en patience tandis que la faucheuse blanche et ses nouvelles copines greffées dans son dos s'en allaient, l'invétéré squatteur resta de marbre, le visage figé en direction de Clint. Et ce ne fut que lorsqu'En-Zakel fut vraiment partie que Belaam prit enfin la parole, la voix grave et sifflante à la fois, signe qu'il peinait à se contenir. Bientôt, on pourrait voir quelques volutes ternes et lugubres flotter autour de la tête de son hôte.

-Tu n'aurais jamais du entendre ça.

C'était affligeant comment il était sérieux à cet instant. Mortellement sérieux même. Mais ce qui venait de se passer était une erreur, la situation lui avait légèrement échappé. Il s'était trop relâché, peut-être préoccupé par ce qui arrivait à En-Zakel. Mais l'inverse était également valable. « Ne vous étripez pas », avait-elle dit. Soit. Il se plierait à sa demande, c'était indispensable de rester dans ses bonnes faveurs. Mais laisser un autre témoins de son existence serait d'une stupidité sans nom. Alors ce serait la jugulaire qu'il arracherait. Ça lui couperait le sifflet, à Clint, par la même occasion. Dommage, il n'avait pas l'air d'être un mauvais bougre dans le fond.
L'action fut rapide, le Démon bénéficiant quand même de capacité un peu supérieures à celle d'un humain lambda, tout en se voyant entravé par les capacités de ce corps. Trop petit, trop frêle, trop fatigué. Quoi qu'il en soit Ninja Belaam s'élança et jeta sa main droite en direction de la gorge du petit cowboy de pacotille avec la ferme intention d'arracher tout sur son passage. Le sourire satisfait qui s'afficha sur sa tronche de dément en disait long sur le contentement que lui procurait la sensation de la chair déchirée sous ses doigts...

Force était à Sundance d’admettre que Belaam avait parfaitement raison : il n’aurait jamais dû entendre ça. D’abord parce qu’il était très heureux quand il était encore certain que les démons avaient été éradiqués de la surface de la Terre – mais En-Zakel étant une des rares personnes qu’il aurait cru si elle lui avait dit qu’un éléphant rose bavard se baladait en ville, il était bin obligé de la croire pour ça aussi – et ensuite… parce que la tête que tirait ce fameux Belaam, là-maintenant-tout-de-suite n’augurait rien, mais alors vraiment rien, de bon pour lui. Et encore, c’était peu dire.
Aussi le cowboy eut beau se tenir sur ses gardes, il ne vit pas du tout le coup venir. Peut-être, se dirait-il plus tard, parce qu’il était encore trop occupé à digérer l’énormité qu’on venait de lui annoncer et le choc que ça avait engendré dans sa tête. Mais la vérité était surtout que le démon s’était montré bien trop rapide pour son pauvre œil de presqu’humain.

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le Kid se retrouva aux prises avec une furie meurtrière. Sa gorge, plus précisément, subit un assaut dont l’intention était claire comme de l’eau de roche. Et ça fit mal.
Beaucoup.

Fort heureusement pour le bonhomme, la surprise de l’attaque soudaine ne fut pas suffisante pour le clouer au sol pendant qu’on s’amusait à lui déchiqueter la gorge. On ne vit pas plusieurs millénaires sans avoir un instinct de de survie profondément ancré dans chaque parcelle de son corps, hé.
Sa main droite réagit quasi instantanément et se porta à la rencontre de celle via laquelle son attaquant espérait bien lui lacérer la trachée. Sa main droite ; celle dont la majeure partie avait été arrachée lors de l’explosion du laboratoire où il avait trouvé le tatoo-boy, deux ans plus tôt. Celle qui avait nécessité de gros sacrifices de sa part avant qu’il puisse enfin se la faire remplacer par une prothèse de bonne qualité et semblable en tous points à une véritable main humaine.
Les doigts mécaniques, donc, se resserrèrent autour de l’articulation du poignet avec la force que leur conféraient leur artificialité, cherchant à ôter ces doigts agressifs qui attentaient à sa vie, à les écarter de cette zone fragile. Et s’il échouait dans l’affaire, il espérait bien être capable de broyer l’os jusqu’à ce que le reste de la main soit dans l’incapacité de se mouvoir.
Dans le même temps, Sundance se débattait comme un beau diable – feel the irony –, tentant comme il pouvait de se débarrasser de la prise. Il y parvint d’ailleurs sans trop savoir comment et, perdant l’équilibre après toute cette gesticulation, se cassa la gueule en renversant au passage un petit meuble qui avait le malheur de passer par là. Toussant, crachant, luttant pour reprendre son souffle tout en portant les deux mains à sa blessure, il se remit tant bien que mal sur ses genoux et se recroquevilla sur lui-même dans l’éventualité d’une seconde attaque, ne se formalisant que très peu de l’aspect pitoyable qu’il présentait sûrement.

Le vacarme qui retentit dans la pièce attenante fit se figer En-Zakel en plein milieux de ses recherches actives d’un morceau de tissu ou deux qui pourraient bien couvrir sa quasi nudité. La jeune femme ferma les yeux et inspira longuement tout en passant lentement l’une de ses mains tâchée de sang séché sur son visage.

Mais c’est pas vrai ... pensa-t-elle, à la fois prodigieusement agacée et assez inquiète de ce que les deux énergumènes dans son salon pouvaient se faire l’un à l’autre. Elle avait beau savoir Sundance solide, c’était quand même un démon qui venait de lui sauter dessus – le cas de figure inverse paraissait quelque peu improbable à la Faucheuse. D’un autre côté, Belaam n’était pas forcément en grande forme ces derniers temps, et un mauvais coup de trop aurait pu avoir des conséquences quelque peu dramatiques.

Plongeant le bras dans son tiroir, elle attrapa la première chose qui lui passa sous la main, à savoir sa robe de Faucheuse, l’enfila à la va-vite et sortit en trombe de sa chambre.
Elle put alors voir Sundance à genoux, de grosses traces rouges et sanguinolentes autour du coup, faire face à un junky possédé très énervé.

Bon, j’ai peut-être fait une très, très grosse bêtise, se dit-elle.

Elle ne se formalisa pas davantage sur la question et rejoignit le duo en deux grandes enjambées ; juste à temps, à vrai dire, pour attraper Belaam par le col au moment où il se jetait une fois encore sur l’Immortel. La Faucheuse coupa le Démon dans son élan et l’envoya atterrir à l’autre bout de la pièce.
Debout entre les deux hommes, elle les fixait à tour de rôle de ses yeux blancs comme neige, pas forcément d’excellente humeur. La soirée avait été légèrement éprouvante pour ses nerfs déjà fragiles en temps normal, et le fait que son « protégé » essaye de faire la peau à son meilleur ami ne l’aidait en rien à rester d’un calme olympien. Prenant sur elle, inspirant longuement, elle se tourna vers Belaam.

- Qu’est-ce que j’ai dit déjà ? Ah ou : « on ne s’étripe pas », ce qui, quand on a deux sous de jugeote, implique également de ne pas mettre à mort l’autre personne avec qui on est laissé dans la pièce. Rappelle-moi, qui de toi ou le pauvre type que tu possèdes est censé avoir le cerveau complètement pourri, déjà ? acheva-t-elle dans un fin sourire tout sauf amusé.

Sourire qui disparu bien vite alors qu’elle se redressait un peu, fixant toujours le démon dans les yeux.

- Je n’ai jamais révélé ta nature à personne, Belaam, jamais, et si tu me crois assez stupide pour le dire au premier venu, c’est bien triste. S’il y a bien une personne sur cette fichue planète à qui je fasse aveuglément confiance, c’est lui, et je sais que si je lui dis de garder le secret, il le fera. Alors maintenant, tout le monde se calme.

Elle allait ajouter autre chose lorsqu’un bruit la fit se taire sur-le-champ et se retourner d’un bloc vers sa porte d’entrée. C’étaient des coups répétés sur le battant de bois, pas spécialement forts mais plutôt insistants.
La jeune femme cligna des yeux et laissa échapper dans un murmure un peu perplexe et inquiet :

- Oho ...

Cette façon qu'avait En-Zakel de protéger jalousement son petit copain cow-boy énervait prodigieusement Belaam. Un type sortait de nulle part (bon pas totalement de nulle part c'était lui-même qui l'avait appelé) et sous prétexte que c'était un ancien camarade auquel elle était particulièrement attachée, le Démon se devait de dire Amen et la laisser faire.
C'était si mal le connaître. Belaam peut être patient. Belaam peut être conciliant. Belaam peut être un minimum compréhensif aussi, quand il faut. Mais obéir aveuglément alors que son instinct lui crie le contraire de ce qu'on lui demande de faire, bizarrement, ça ressemblait plus à une réaction d'angelot qu'à celle d'un Démon de sa trempe.
Cela dit il ne faisait pas le poids. Pire, il était prodigieusement impressionné de la capacité du cow-boy à lui résister, c'était donc un fait avéré : il n'était pas un humain ordinaire, et peut être pas humain du tout. Et ça ne voulait pas forcément dire que c'était une bonne nouvelle d'ailleurs. À cette époque troublée on pouvait trouver toutes sortes d'engeances peut recommandables. Si l'on ajoutait à cela une faucheuse certes pas au top de sa forme mais toujours aussi coriace, alors là on arrivait à une épreuve difficilement surmontable pour le Démon incarné en junky pathétique.

Aucun mot ne s'échappa de ses lèvres donc. Belaam resta dans le coin où l'avait envoyer bouler En-Zakel, massant péniblement sa main meurtrie en léchant le sang de Clint Eastwood avec exagération, un peu comme un chat de mauvais poil qui veut montrer qu'il en a rien à foutre des coups de pieds au cul qu'on peut lui donner. Pour l'instant, il prendrait son mal en patience. Mais si Blanchette espérait que son poto pourrait faire sa vie tranquillement, elle se fourrait le doigt dans l'oeil. Jusqu'au coude.
Et puis il se redressa, l'oeil vif et le sourire narquois. Il y avait quelqu'un derrière la porte, quelqu'un qui frappait avec insistance sans doute pour protester du bruit provenant de l'appartement. Il y avait de bonnes chances pour que ça soit un humain. Et l'humain avait de bonnes chances de nourrir le Démon frustré, énervé et vorace de vice qu'était Belaam.
Voyant l'évidente appréhension d'En-Zakel face à cette arrivée inopinée, la créature démoniaque ne lui laissa pas vraiment le temps de se demander s'il fallait ouvrir ou l'ignorer. Après tout un repas gratuit à domicile, ça ne se refuse pas, question de principe. Belaam misait sur le gros misanthrope qui vivait à l'étage d'en dessous, seul en dehors des visites de sa mère le weekend, devenu relativement riche avant même de savoir ce que cela voulait dire et qui passait des heures à mater du porno la nuit au point d'en déconcentrer les méditations du Démon du dessus. Pas ce qu'on faisait de plus vicié en ce monde déchu, mais c'était tout de même assez alléchant pour que d'un mouvement brusque et impatient Belaam ouvre la porte en grand, sourire aux lèvres, avant bras ensanglanté et regard dément.

-Bien le bonsoir !

On ne pouvait faire meilleur accueil.

Sundance en était encore à tenter de retrouver son souffle lorsqu’En-Zakel était revenue en trombe dans la pièce pour s’interposer entre eux. A la voir comme ça, l’on n’aurait jamais pensé qu’elle se trouvait encore à moitié agonisante et pissant de sang encore quelques minutes plus tôt et le cowboy n’aurait pas manqué d’en faire la réflexion à haute fois s’il n’avait rien au d’autre à faire. Son intervention était néanmoins la bienvenue, mais il n’écouta que d’une oreille distraite les remontrances qu’elle adressait au démon, bien plus préoccupé par l’état de son cou que le reste.
Bien heureusement pour lui, les lésions n’étaient pas si grave que ça – disons que Belaam n’avait touché aucun point vital, et puis il n’aurait sûrement pas été là pour le constater si d’aventure la furie avait réussi à lui ouvrir la carotide. En attendant, les lambeaux de chair déchirée étaient comme un collier de feu passé autour de son cou et le haut de sa chemise commençait déjà à s’imbiber de sang. Comme s’il avait besoin de ça, tiens.
Se relevant précautionneusement tandis que la Faucheuse était encore occupée à déverser son flot de paroles sur son locataire, il se dirigea vers la salle de bain tant bien que mal ; plutôt que de déranger la propriétaire des lieux en lui demandant où il pourrait trouver de quoi panser la vilaine blessure, il entreprit de fouiller tous les placards à la recherche de quelque chose susceptible de lui servir de bandage de fortune. Vu l’état de l’appartement, on ne lui en voudrait pas trop d’avoir dégueulassé la pièce d’eau avec ses mains rougies de sang, hein ?

Lorsque le Kid revint dans le salon, à peine deux-trois minutes plus tard, il marqua un temps de bug et dévisagea, stupéfait, la scène qu’il avait sous les yeux. Et dire qu’il pensait avoir eu son lot de surprises pour la soirée ! Mais non, il semblait que le délire n’avait pas encore l’envie de se terminer et, sur le seuil de la porte d’entrée, le type affichait une expression qui aurait été à mourir de rire si la situation n’avait pas été si problématique. La personne qui lui avait ouvert, il ne se faisait aucune illusion quant à son identité. Mais quel con celui-là alors !
Quelques enjambées rapides le portèrent à la hauteur du démon et, tandis qu’il se glissait à ses côté, il décocha un grand sourire parfaitement faux au type qui semblait à deux doigts de tourner de l’œil.

— Désolé, on fait un tournage amateur et on a oublié de prévenir pour le bruit. Au revoir.

La porte claqua si fort en se refermant que tout l’immeuble dut l’entendre. Avec un peu de chance, l’autre n’en reviendrait tellement pas de ce qu’il venait de voir qu’il serait prêt à gober ce qu’on venait de lui dire… non ?
Okay, honnêtement, même Sundance n’y croyait pas, mais l’espoir fait vivre et puis ça leur donnerait encore quelques instants de répit. Qu’il mit à profit pour se retourner vers le démon – mais en reculant de quelques pas d’abord, prudence est mère de sureté – et lui exploser à la figure.

— Putain mais t’es complètement givré, tu crois pas qu’on a déjà assez de problèmes, là ?

En-Zakel n’eut même pas le temps de comprendre ce qui arrivait que déjà Belaam se précipitait vers la porte d’entrée. Encore engourdie par son hémorragie toute récente et l’apparition quelque peu inattendue et fâcheuse des grands appendices dans son dos, elle n’avait pas réagit aussi efficacement et rapidement qu’elle l’aurait dû. Et pourtant, les dieux seuls savaient à quel point elle aurait dû faire quelque chose, comme clouer le démon au sol tant qu’il en était encore temps.
Mais là, il était bien trop tard pour faire quoi que ce soit de bien utile. Elle ne put qu’être témoin de la scène qui suivit, et une violente envie de trancher la tête à son colocataire de fortune lui vint soudain. Le junkie possédé, bras sanguinolent et une expression un peu folle sur le visage, se fit un plaisir d’accueillir l’infortuné voisin qui venait frapper à la porte de la Faucheuse, sans aucun doute alerté par les bruits qui s’étaient échappés de l’appartement. Il fallait dire aussi que ni elle, ni Belaam ni Sundance n’avaient été particulièrement discrets – cependant, la situation ne s’y était pas vraiment prêtée, et la jeune femme savait bien qu’elle avait jeté de l’huile sur le feu en révélant la nature du démon à son meilleur ami.
Aussi, appréciant grandement la pirouette avec laquelle il congédia l’importun voisin – qu’elle ne pouvait pas voir totalement de là où elle se tenait – elle foudroya Belaam du regard. En quelques grandes enjambées, elle rejoignit le junkie et l’attrapa par le col, l’air mauvaise, ses ailes frémissant sous la colère.

- Et qu’est-ce que tu croyais faire, hein !? Tu croyais vraiment que ça allait se passer comme ça, Belaam ?

La jeune femme n’était pas du tout de bonne humeur, et les élancements de douleur dans son dos n’aidaient pas à améliorer son état. Elle sentait son sang pulser à ses tempes tandis que ses yeux blancs brillaient d’un agacement tout justifié. Ils avaient déjà suffisamment de problèmes comme ça, pas la peine de s’encombrer d’un cadavre en plus de ça.

A deux doigts d’envoyer son poing s’écraser dans la mâchoire du démon, il se passa alors quelque chose que personne dans la pièce n’aurait pu prévoir.

La porte d’entrée s’ouvrit, avec fracas cette fois. Elle venait d’être défoncée d’un coup de pied par le même homme qui était venu y frapper quelques instants auparavant. En-Zakel le dévisagea, incrédule, ne comprenant pas du tout la raison de sa présence ici, dans son appartement. La seule chose qui était sûre, c’était qu’il allait falloir le dégager très vite, avant que la situation ne dégénère.
C’est alors que ses yeux se posèrent sur l’énorme pistolet qu’il tenait à la main. Un bijou de technologie, une arme de poing de très gros calibre – peut-être le plus gros actuellement sur le marché. Elle vit l’homme lever le bras et mettre Sundance en joue.
Le temps qu’elle comprenne ce qu’il se passait, c’était déjà trop tard. La détonation retentit, violente et bruyante, éclatant comme un coup de canon dans l’espace confiné de l’appartement. Le crâne de Sundance explosa ; la moitié de son visage, du haut de la tête jusqu’à la mâchoire supérieure, éclata en une bouillie écœurante et malodorante de sang, de chair carbonisée et de cervelle, se répandant sur le sol lorsque le corps du cow-boy chuta lourdement en arrière après avoir vacillé un temps.

Le cœur de la Faucheuse rata plusieurs battements. Ses yeux blancs, écarquillés, fixaient la masse tombée à terre. Dans son esprit, quelque chose lui sembla se craqueler avant de se briser petit à petit. Une évidence qu’elle se refusa d’admettre, qu’elle rejeta de toutes ses forces. Rien autour d’elle n’existait plus. Seul comptait Sundance étalé à leurs pieds.
Dans sa tête, elle décida de compter jusqu’à trois.

Allez Sundance ... pensa-t-elle. Allez, debout.

Un.

Ca suffit maintenant, c’est pas drôle. C’est pas drôle du tout ...

Deux.

Pourquoi est-ce que tu restes là ? Pourquoi est-ce que tu t’es pas déjà redressé ? Pourquoi ta régénération ne commence pas ? Pourquoi ? Pour...

Trois.

Il sembla à la dame blanche que le monde s’écroulait sous ses pieds. Sundance ne se relèverait pas. Il ne se relèverait jamais.
Il était mort. Bel et bien mort. Pas de tour de passe-passe, pas de pirouette, rien.
Le choc associé à l’anémie de la Faucheuse manqua la faire défaillir. Elle avait lâché Belaam sans s’en rendre compte, trop sonnée pour être en colère, trop engourdie pour se jeter à la gorge de l’assassin de l’immortel. Une douleur atroce la saisit à la poitrine, comme si une main de fer lui comprimait le cœur.

Pitié seigneur, c’est un cauchemar ...

Belaam ne comprit pas tout, mais une chose était sure, il fallait que tout ce merdier s'arrête, si ce n'était pas déjà trop tard. A ce rythme les angelots allaient finir par entendre parler de lui. Alors lorsque le cowboy tomba au sol, le Démon ne prit pas la peine de réfléchir et se rua sur l'intrus.
De toutes évidences, ce n'était pas le voisin du dessous comme il l'avait présumé. Plutôt quelqu'un payé pour faire le sale boulot d'un enfoiré riche et ambitieux. L'arme tomba au sol dans un bruit sourd alors que Belaam plaquait l'homme contre le mur. Il lui cracha quelques questions à la figure, le visage déformé par la haine de cette sous-race qu'étaient les humains. Entre deux hoquets, l'assassin réussit à avouer qu'il n'était là que pour Sundance. C'était suffisant pour le squatteur démoniaque qui, sans être interrompu cette fois, s'attacha à dévorer l'âme du pêcheur sans lui laisser le moindre espoir de s'en sortir. Ses crimes et ses vices le rendirent particulièrement savoureux, et ce repas sur le pouce combla l'appétit du Démon, lui permettant de mettre un peu plus au clair ses idées.

-On se barre d'ici, En-Zakel, pas question qu'on reste une minute de plus dans cet endroit.

Visiblement en état de choc, la faucheuse blanche-plus-très-blanche fixait le cadavre de ce qui avait été un de ses amis, peut être le seul d'ailleurs. Si Belaam se réjouissait de voir ce problème là résolu, par quelqu'un d'autre que lui qui plus est, il savait également que Blanchette ne le voyait pas de cet œil là. Elle était trop émotionnelle, un défaut récurant quelle que soit l'époque visiblement.
Le Démon la laissa sur place et se contenta d'aller chercher un grand sac pour y fourrer le plus d'affaires possibles. Après tout ce temps passé avec En-Zakel il savait ce qui serait le plus important à emmener, le reste elle pourrait le racheter, l'assurance, ces conneries là. Ils font plein de pubs pour ça à la télé.
De retour sur la scène du crime, Belaam tira le corps du mercenaire jusqu'à celui de Clint Eastwood, veillant à laisser l'arme près des cadavres. Avec un peu de chance on croira à un règlement de comptes.

-Allez on y va. Allez allez !

Le Démon poussa sa faucheuse jusque dans le couloir de l'immeuble, et planta son regard dans le sien tout en lui mettant un blouson de force.

-Ecoute moi bien, je m'occupe de tout, toi tu m'attend là.

Belaam retourna à l'intérieur, le regard concentré de celui qui sait ce qu'il fait. Le feu était le meilleur moyen d'effacer les traces de ce qui s'était réellement passé dans l'appartement d'En-Zakel. Quand le Démon rejoignit cette dernière sur le pallier, une épaisse fumée emplissait déjà la plupart des pièces. Bien sûr, il avait du tout allumer manuellement, les joies d'être un faible petit Démon de merde.

-C'est bon, on y va.

Il passa un bras autour des épaules de la faucheuse pour essayer de cacher du mieux possible ses ailes. Ils étaient encore loin d'être sortis d'affaire. Maintenant, il faudra courir, et se faire discret. Heureusement Belaam commençait à bien connaître la ville et savait exactement où trouver un petit hôtel miteux où personne ne poserait de questions.

HRP: