Dans le passé, il y a très, très longtemps...

« Mais voyons, jeune homme, regardez donc vos vêtements! » lui répondit la vieille femme.
« Et depuis quand n'avez-vous pas pris de bain? » renchérit l'amie de celle-ci, offusquée.

Ah... Il comprenait un peu mieux maintenant. Juste un peu. Aaron se leva du banc de l'église pour repartir par où il était venu. Tous les regards de la salle, ou presque, rivés sur lui. Ça l'avait surpris lorsqu'il était arrivé, tous ces murmures et ces petits regards en coin... Alors il avait posé la question à ces deux habituées.

Les dits vêtements.
Des frusques. Enfin, autrefois, ça avait ressemblé à quelque chose de présentable. Avec le temps, la pluie, le vent, les allées et venues de la gargouille... C'était vieux, défraichis, troués. Faut dire qu'Aaron n'y faisait pas trop attention, surtout lorsqu'il les empilait en haut du clocher pour retourner à son poste de statue. Et maintenant, il devait en changer. Direction la chambre du nouveau prêtre!

Le pas lourd.
Sa façon de marcher. Lente et pesante. Pas spécialement bruyante pour autant. C'est ainsi qu'il arriva à destination. En passant devant un miroir, il s'arrêta, soudainement inquiet. Vu la différence de taille entre le prêtre et lui-même, est-ce qu'il trouverait quelque chose d'adapté? Oh, remarquez, au pire il serait un peu plus à l'étroit. De toute façon, si ça ne tenait qu'à lui, il ne mettrait rien. Aaron retira sa chemise blanche... blanche? Ça l'avait été un jour. Eh... Humph. Peu importe. Il balança la chemise en lambeaux par terre. En train de déboutonner son pantalon, Aaron se dirigea vers sa source inépuisable de vêtements propres : le placard! Puis, à moitié vêtu, il ouvrit machinalement la porte.

There's something looking at me.
À peine eut-il le temps d'écarter une ou deux tenues qu'il les vit. Deux... énormes... yeux luisants fixé sur lui. BAM! Face à l'improbabilité de la chose, Aaron referma la porte d'un coup. Un peu plus et il y aurait laissé son bras. Y a un truc dans le placard. Sérieux? Franchement... Non. C'était juste impossible. Il le saurait s'il y avait un autre monstre dans le coin. Obligé. Forcément... Oui, donc c'était quoi le truc là-dedans...

Pensées à la pelle.
Intrigué, Aaron ne tarda pas à rouvrir le placard en grand. Avec son air habituel, celui dont ont peur les enfants, il jeta un coup d'œil à l'intérieur. Et là, il figea. Littéralement. Après la statue de pierre, voici la statue de chair. Appuyé sur ses mains, mains sur la porte et le chambranle, Aaron resta planté là. Si son expression ne changea pas, ses lèvres elles, étaient légèrement entrouvertes face à sa découverte. Il ne saurait dire dans quel ordre ses pensées déboulèrent dans son esprit.

Y a une gamine dans le placard.
Y a une ange dans le placard.
Le prêtre a ça dans son placard.

Banzaiiii!
Hein? Que? Attends. Hein? Le cri de guerre de la petite fut, si ce n'est trop strident, franchement surprenant. Certes, ça l'était un peu moins que de la découvrir dans le placard mais... Hey! Qui a éteint la lumière? La gargouille recula en essayant de virer les vêtements de son visage. Mais... pourquoi? Il n'avait rien fait de mal. Ses pieds s'emmêlèrent dans quelques bouts de tissu.

Bam. Crack! Boum.
Les trois sons carrément en même temps. Si Aaron avait toujours évité de transformer la chambre du prêtre en zone de guerre, cette fois, à cause de la gamine et de sa réaction en chaîne, ce fut peine perdue. Se faire mettre K.O. par une enfant... vraiment... Il est beau le monstre.

Fais chier.
Aaron était étendu par terre... avec ces éclats de miroir brisé tout éparpillé autour de lui. Sisi vous savez, ce vieux miroir plein pied que le prêtre avait reçu en cadeau par l'ancien occupant. Le tout lui était tombé dessus. Bordel. Ces humains sont chiant. Ouais, elle était humaine. Il avait cru un instant qu'elle était un ange mais aucun ange n'irait lui faire un sale coup comme ça, n'est-ce pas? Logique. Tiens, en parlant d'elle justement...

T'es qui toi?
Je... Non. Il ne la toucherait pas. Il se contenterait de lui jeter un regard bien méchant, qui ne changeait pas vraiment de son air habituel soit-dit en passant. Aaron écarta tout de même le panneau qui recouvrait son dos. Une fois bien assis, il sut parfaitement que l'irritation qu'il ressentait venait des petits morceaux plantés dans sa peau.

« Non mais t'es sérieuse? Saleté. T'es quoi? »

Salut, la politesse je connais pas.
Il aurait toujours du mal avec ce concept, même plus tard, lorsque le prêtre tenterait de lui inculquer quelques bonnes manières. Et puis, maintenant que la gamine était de retour, il avait eu de nouveau cette fugace impression qu'elle n'était pas banale. Alors, qu'est-ce qu'elle était? C'était largement plus important que de savoir qui il était. Surtout que, voilà... il était censé répondre quoi à ce genre de question? Non, sincèrement, il devait dire quoi?

« Je veux juste changer de vêtements. »

Et après il partirait. Il disparaitrait de nouveau. Il n'en demandait pas beaucoup...

Il a cassé le miroir...
Mais, une minute, comment ça c'était sa faute?  Et puis quoi encore... C'était elle qui l'avait attaqué en premier!  Aaron ouvrit la bouche dans le but, très clair, de rectifier les choses mais la gamine reprit la parole.  Elle s'était arrêté pour respirer, c'est ça? Un soupir.

Accusations...
... contre lui.  Et pendant que la petite était occupée à lui expliquer les choses de la vie,  il se soucia de son dos.  Ça le picotait franchement.  Se manger un miroir, sans tissu pour amortir le choc, c'était douloureux.  Blessant.  Superficiel certes mais il saignait quand même.  Du coup, la gargouille se retourna, bougea les bras et se tortilla pour essayer d'enlever les morceaux encore accrochés.

Blabla plus gros qu'un cookie.
Hein? De quoi? Qu'est-ce qu'elle lui a dit là?  Les sourcils froncés, il tourna de nouveau la tête vers elle pour la regarder.  Incertain pendant quelques secondes, Aaron demanda simplement : « Répète ce que tu viens de dire. »  Oui, mot à mot.  Il n'avait pas tout saisi et elle lui donnait l'impression d'avoir dit un truc important.

« ... C'est quoi un "cookie"? » demanda t-il avec le plus grand sérieux du monde. Il n'avait absolument aucune idée de ce que cette chose pouvait être.  Le seul truc qu'il avait compris, c'est qu'un bœuf était bien plus gros.  Aaron leva la main comme s'il voulait l'interrompre.

« Et alors? Tu veux quoi, que je me balade dans l'église complètement nu? T'es débile? Les pleurnichards vont tous gueuler comme si c'était la fin du monde. »  Pas pudique.  On lui avait expliqué, quarante ans plus tôt, l'importance de s'habiller. Sinon pas de squattage du banc dans l'église.  Parait que ça ne se faisait pas. « En plus t'es quoi, une sorte de chien de garde du prêtre? » Il était désagréable, probablement méchant et insultant du point de vue de la gamine mais il ne voyait pas du tout où était le mal.  C'était qu'une chemise et un pantalon qu'il voulait, pas de quoi lui faire un sermon.

Un soupir...
Qu'est-ce qu'il était en train de faire à débattre du bien et du mal avec une gamine?  Ce n'est pas comme si elle pouvait l'empêcher de faire ce qu'il voulait.  Sur ce, Aaron attrapa le premier bout de tissu à portée de main et s'en servi pour écarter les morceaux par terre.  Ce serait con de se blesser en se relevant.

« Et je vois pas comment tu pourrais m'empêcher de prendre ce dont j'ai besoin pour défendre Capucine. »