Oh ! Mathilde rigolait de concert avec les enfants en voyant faire le cracheur de feu. Son rire aiguë se confondait sans mal avec celui de petites filles tandis que les parents se rapprochaient enfin un peu plus près du drôle de couple. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il réagisse ainsi alors que ce n'était pas la première fois qu'il entrait dans son jeu. Toutes dents dehors, elle dût les ranger vite fait en voyant cet homme foncé vers elle, tel un fou furieux armé d'un crayon d'un vert bouteille. Elle sentait la pointe qui était rêche et un peu dure sur sa peau mais il ne devait pas avoir l'habitude de maquiller une femme. Quand il s'écarta d'elle, les enfants comme les parents s'étaient mis à rire en la regardant. Cette dernière posa ses mains sur ses joues en se dandinant sur place, un sourire aux lèvres.

La revanche allait être de taille ! Elle replia sa jambe pour récupérer son dark à lèvres caché dans le pompon de sa cheville avant d'attraper le farceur par le menton en douceur avec le pouce et l'index pour lui appliquer le maquillage noir sur les lèvres. Elle était rapide et précise, à force de faire ça tous les jours. Mais elle n'en resta pas là. Elle avait volontairement débordé à la commissure des lèvres pour « allonger son sourire », pareil de l'autre côté. Elle avait fait des côtés inégaux, des traits plus longs d'un côté, plus court de l'autre. Elle se mit sur le côté en rigolant frénétiquement, ce même rire qui avait tendance à taper sur le système des gens de la troupe. Tendant légèrement les lèvres, elle se remit une couche également, ne sachant pas si le baiser de tout à l'heure avait affecté son maquillage ou pas mais on n'était pas trop prudent. Le lipstick avait une odeur sucrée qui n'était pas la sienne mais celle des bonbons dont elle pouvait passer une nuit entière à se gaver telle une oie. Avant qu'elle n'eut le temps de rajouter une couche à sa pitrerie, des parents étaient venus à sa rencontre, la petite fille qu'elle avait dans ses bras tantôt, à leur main.

Quelle question… Pourtant, l’Auguste agrandit son sourire, se tartinant toujours les lèvres. Elle pensait à toute vitesse, pour au final, sortir en sans vraiment réfléchir.

Faux, faux et faux… Elle pointa ledit époux avec son lipstick, qui montrait Lucian.

Encore faux. La caissière était trop occupée à compter les billets et surtout trop loin pour entendre. Elle rangea son dark à lèvres au même endroit que d'habitude avant s'accroupir devant la petite fille pour lui faire un signe de la main puis se redressait. Les parents commençaient à partir. Oui il était tard pour certains, tôt pour elle. Les bambins étaient contents des sucreries que le cracheur de feu leur avait offert. Les parents sourirent à leur tour avant que la plupart ne prennent leurs enfants dans les bras pour sortir. La petite fille à qui elle avait offert un sucre d'orge lui fit au revoir de la main, sa tête contre l'épaule de son père. Mathilde lui répondit également avec un de ses beaux sourires en carton. Au fur et à mesure que la fille disparaissait, son sourire faux toutes dents dehors se muta en un sourire plus simple, sans blancheur, emplit de tristesse. *ça vaut mieux...* Elle se retourna vers le cracheur de feu.

Ce n’était pas tous les jours qu’elle était généreuse, et même, jamais ! Sans plus attendre, elle était partie prendre un sachet marron pour le remplir. Des bleus, des verts, des roses, des blancs, des oranges, des violets. Des gros, des petits, de ceux qui ont l’air appétissant, de ceux qui ont l’air ragoutant (ce sont pourtant les meilleurs en vrai) Tout passé dans son sac. Ses sacs au fur et à mesure. Elle se retrouvait avec deux sachets contre la poitrine et un autre dans sa main libre lorsqu’elle revint vers Lucian.

Elle ne savait pas pourquoi. Non vraiment pas. La vie avait été avec elle assez bizarre pour qu'elle apprenne à ne penser qu'à elle. À qui d'autre de toute façon... Chouette n'était pas bien difficile. Alors pourquoi elle se retrouvait à être généreuse avec ce parfait inconnu aux allures étranges. Elle soupira. Elle était très mal placée pour dire ça à vrai dire... Mais... Peut-être... Que ça lui avait fait chaud au cœur de voir quelqu'un qui réponde favorablement à sa pitrerie. Il fallait dire que ça n'arrivait jamais hormis les enfants. Ces adorables petits bouts de choux... Qu'elle n'aura jamais. Personne ne l'a supporté de toute façon hors, même si elle ne connaissait pas grand-chose aux contacts physiques, elle savait malgré tout qu'il fallait être deux pour en avoir. S'arrêtant devant la caissière, elle lui fit un autre sourire en papier mâché. *Ma vieille, tu devrais être habituée depuis le temps...*

Posant un sac par terre sans douceur, elle secoua son bras sous le nez de la demoiselle qui la regardait avec des grands yeux étonnés. Qu'elle ne fut pas le petit choc quand elle vit que quelques cartes en sortaient. Mais d'où elle sort tout ça !? La magie mêlée à la technique du Wonderland Circus aidée grandement à faire toujours plus grandiose et toujours plus époustouflant les illusions optiques en effet, mais Mathilde avait appris avec l'ancien grand Manitou décès. Elle n'avait fait que se perfectionner un peu plus. Elle n'avait pas la prétention d'une vieille personne mais en près de soixante dix ans, elle en avait vu des choses. Qui sait, peut-être qu'elle en verra d'autres... Si jamais elle n'a le courage de quitter le cirque un jour...

« N'hésitez pas à en distribuer à vos clients, c'est de la pub gratuite !  Dit-elle en fixant la belle somme qu'elle avait versée »

Sans attendre la réponse, elle reprit sa précieuse avant de sortir et partir en compagnie du saltimbanque. Le petit animal était revenue près d'elle. Elle lui tendit le sac et le rapace se servit une petite friandise avant de repartir on ne savait où. Posant le sac sur sa tête dans un équilibre parfait, elle ne put s'empêcher de piocher une grosse poignée de bonbons avant de le fourrer en bouche de manière très peu gracieuse pour une femme de son âge physique. Sans même avoir fini ce qu'elle avait en bouche, elle reprit son élan pour recommencer avant de s'arrêter net, la bouche ouverte sur une vision ignoble de couleurs et de textures mélangés. Le cracheur de feu lui sortit une question qui lui raviva sa peine alors qu'elle avait réussi à la dissiper à coup de friandises. Alors, il avait vu ça. Dire qu'elle était persuadée de son jeu de dissimulation... Avalant difficilement le boucher par finit d'être mâché, elle se remit à lui sourire, comme ces femmes à la télé pour une publicité de dentifrice blancheur à longue durée.

« Je ne vois pas de quoi vous pouvez bien parler ! »

Après tout, pourquoi lui parler lui plus qu'à un ou une autre. Il ne fera partie qu'une de ces innombrables personnes qu'elle aura rencontrées dans sa vie. Mais contrairement à celle-ci, elle allait se souvenir de lui encore longtemps. Et ça n'était pas arrivé depuis l'ancien directeur. Oui, il lui faisait penser à lui en quelque sorte. Et elle se mit à rire bruyamment sans aucune raison apparente, mais l'image de Lucian, plus vieux avec la même bedaine qu'avait son tuteur lui arracha un éclat de rire aigu qui aurait pu faire sensation dans une maison hantée. Elle essuya la larme inexistante au coin de l'oeil avant de s'arrêter pour se retourner vers lui.

« En fait si... Je vois. Mais pourquoi cela vous intéresse-t-il après tout, je ne suis que de passage... »

La foule se dissipait peu à peu, demain, le travail ainsi que l'école. Elle allait passer le reste de la soirée à regarder la télé la tête en bas alors que son sang inondé de sucre lui monterait à la tête. C'est ce qu'elle faisait depuis près de soixante après tout, non . Et elle était certainement condamnée à cela jusqu'à la fin de sa petite vie monotone qu'elle essayait d'égayer à coup de délire à l'hélium ou de bonbons sans modération. À quoi bon avoir une bonne santé... Elle savait bien qu'elle avait parfois des douleurs, des vertiges, et malgré ça, aucun intérêt d'aller voir un médecin pour ça. Il était un parmi tant d'autres dont elle ignore... Et qui la raccompagne sur la route du cirque....