Une chose qu'il est facile d'avoir en hiver, c'est du sang-froid.

Elliot devait avouer que le sujet de la guerre était épineux. Il n'en savait cependant pas grand chose: les guerres entre humains, ça ne concerne pas les ondins. Au contraire, ça les arrange même ! Puisque, pendant qu'ils se tapent dessus, ils oublient de nous chasser comme des animaux en voie de disparition, et les dieux savent à quel point les humains adorent chasser ce qui est rare, d'où le côté "en voie de disparition" du peuple d'Elliot. La contrepartie, c'est que les océans sont plus pollués que jamais, d'où sa maladie...

A vrai dire, il avait suivit tout ça de loin. Il avait entendu parler des conflits, des morts, des destructions, mais ça ne l'avait pas touché. Il avait trouvé ça bizarre aussi, que les anges détruisent tout, mais les anges ne font pas partis de sa religion. Pour lui, ce sont des créatures semblables aux ondins, avec plus d'ailes que d'écailles. Rien à voir avec les croyances.

- Ce qu'ont fait les anges avec les guerres ne m'a pas touché. Je n'ai pas été intégré dans les conflits, et je ne crois pas aux anges en tant que religion, mais comme des créatures vivantes. Donc... leurs raisons d'avoir fait autant de destructions, de s'être mêlés des conflits humains, ça ne me regarde pas. Je veux juste guérir... Et vu leur pouvoirs, je suppose que si ils peuvent détruire, ils peuvent aussi guérir, non ?

C'était probablement naïf comme façon de voir les choses, et égoïste aussi, mais Elliot était désespéré. Sa vie ne tenait plus qu'à un fil, il n'y avait que le destin qui savait quand il mourrait, et combien de temps il survivrait. L'ondin prit une gorgée de son chocolat, et grignota son gâteau. D'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, William semblait bien critique envers les anges...

- Vous n'avez pas l'air de beaucoup aimé les anges... Vous avez été victime de ces guerres ?

C'était de la grosse curiosité, et peut-être de l'impolitesse, mais il voulait comprendre...

William avait commencé à siroter son café mais, derrière son bandeau, ses yeux fermés se fronçaient légèrement et cela pouvait se voir aux plissures qui apparaissaient sur son front. Quelque chose ne collait pas dans ce qu'était en train de lui dire Elliot. Le blond était particulièrement bien placé pour savoir qu'aucun humain ne pouvait être complètement sorti indemne de cette guerre. Que ce soit directement ou indirectement par la perte de proches, chacun avait souffert. Pour vraiment échapper à ce carnage, il aurait fallu être le dernier chasseur-cueilleur de l'Afrique ou de l'Amazonie, ou bien s'être retiré sur les plus hautes montagnes du monde ou dans les entrailles de la Terre, là où la "main de l'homme mettait difficilement le pied" comme quelqu'un de spirituel s'était cru autorisé à le dire.
L'ange prit d'emblée une deuxième gorgée de café puis reposa sa tasse en relevant le visage pour regarder son interlocuteur. Son front n'était plus plissé et William avait retrouvé un léger sourire... mais ce sourire qui pouvait rester pour de la pure politesse cachait en réalité une sorte de moquerie. Le blond avait compris qu'Elliot au mieux ne lui disait pas tout et au pire lui mentait. Il ne venait pas d'Amérique. Impossible de venir de là et d'annoncer que la guerre ne vous avait pas concernée ni même touchée de près ou de loin dans votre famille.

Enfin, l'un et l'autre venaient tout juste de se rencontrer, alors comment lui en vouloir ? Sans doute était-il naturel de vouloir se protéger quelque peu face à ce qui restait un inconnu.

L'infirmier se promit de ne pas trop brusquer l'ondin. Après tout, son comportement et ses inflexions de voix indiquaient clairement qu'il n'était pas un mauvais bougre et qu'il était sincèrement venu ici rechercher de l'aide pour une maladie qui l'inquiétait et le tourmentait. Cependant, la curiosité de l'ange était maintenant enclenchée. Oh, ce n'était pas une curiosité malsaine, elle avait un bon but, mais déjà les réflexions du blond furent interrompues par le sujet des anges qu'Elliot continua d'aborder directement.

« Oh, j'ai été touché comme tout le monde. Tout le monde a des souvenirs de famille ou des souvenirs personnels à ce sujet, même si évidemment les générations passent. »

Voilà qui devait suffire, du moins William l'espérait-il, à évacuer le sujet. De toute manière, considérant pour le moment que la meilleure défense restait l'attaque, le blond choisit de ramener son interlocuteur sur le sujet de sa propre maladie et de son identité, en faisant d'une pierre deux coups.

« Et vous savez, je ne suis pas sûr que les choses soient aussi simples que vous ne semblez le croire avec les anges. Après tout, ne sont-ils pas venus la dernière fois dans le but affiché de détruire toute vie humaine ? Qu'est-ce qui vous ferait croire qu'ils voudraient vous aider ? Peut-être feriez-vous mieux de vous en tenir éloigné... Ou de faire confiance aux médecins d'ici... »

William ne savait pas exactement ce qu'il recherchait dans la part cachée d'Elliot. Il le soupçonnait simplement de garder quelque secret, sans savoir exactement sur quoi portait ce secret. De ces jours où la Terre était arpentée par bien plus que la race humaine, le blond n'aurait guère été étonné de se retrouver face à une quelconque espèce qu'il n'avait peut-être pas encore rencontré, quoi qu'en tant qu'ange, il avait quand même vu bien du pays et des créatures.
C'était bien pour cela qu'il rappelait la haine de Dieu et de ses anges pour les humains, comme si cela pouvait provoquer une réaction chez le jeune homme. Toutefois, l'ange choisit de continuer à discrètement attaquer sa cible :

« D'ailleurs, puisque l'on parle des médecins, est-ce que vous êtes venu avec un historique de votre état de santé ? Vous savez, pour établir un bon diagnostic, il est bon que le médecin en sache le plus sur vous, sans quoi, il peut établir le mauvais diagnostic et conclure à une maladie aux symptômes vaguement similaires mais au traitement évidemment différent. »

A la réponse de William sur sa relation avec les anges, Elliot comprit qu'il avait fait une gaffe. Apparemment, le conflit entre humains et anges avait été bien plus destructeur qu'il ne le croyait, puisque apparemment, tout le monde sans exception avait été touché. Donc, affirmé comme il l'avait fait qu'il n'avait pas été touché par les horreurs de la guerre avait grillé le fait qu'il n'était pas humain. En s'en rendant compte, l'ondin cacha une grimace dans son verre. Comment la conversation allait-elle tourné ? Il espérait juste que, même si il finissait par apprendre sa vraie nature, William resterait aussi gentil...

De plus, il soulevait à nouveau le point que les anges avaient jusqu'à maintenant été plus destructeurs que guérisseurs, pourquoi le guériraient-ils lui ? Elliot haussa les épaules.

- Je ne sais pas... C'est vrai qu'ils n'ont aucune raison de me soigner, mais qui sait, peut-être que j'en trouverais un gentil, qui a gardé le désir d'aider son prochain...

C'était utopique, mais que voulez-vous, dans sa situation le petit ondin n'avait pas d'autre choix que de garder espoir. Personne ne le ferait à sa place, et si il perdait espoir, autant en finir tout de suite et s'épargner des mois de souffrances... L'aveugle le rappela à ses côtés en lui demandant des précisions sur son historique de diagnostics. Il était vraiment très curieux... Elliot se sentait un peu pris au piège devant tant de pression, et jonglé entre vérité et mensonge devenait de plus en plus compliqué.

-J'ai emmené avec moi l'historique complet des traitements déjà testés, des différents diagnostics, des différents tests que j'ai subis, et les noms de tout les médecins que j'ai vu. Il y a plus de documents que de vêtements dans l'appartement que je loue.

Il se permit un petit rire, espérant détendre l'atmopshère qui lui paraissait pesante avec ce petit trait d'humour.

- J'ai déjà le diagnostic, je sais quel mal me ronge, mais je n'ai pas de traitements, et pour l'instant, aucun huma...médecin n'a pu trouver de solution. C'est pourquoi je me tourne aujourd'hui vers les anges...

Rendu nerveux par ce mini-interrogatoire, l'ondin avait presque du mal à manger sa part de gâteau, et préférait la regarder plutôt que de fixer le visage sans regard de William.

- Vous connaissez un bon médecin ? Quelqu'un qui pourrait m'aider ?

La voix de l'ondin était presque suppliante. Il était fatigué de toute ces recherches en vain, il voulait simplement le début d'un espoir, c'est tout ce qu'il demandait...

"Aider son prochain"... Cette phrase avait eu un effet particulier sur William. N'était-ce pas justement le rôle des anges ? La raison pour laquelle ils avaient été créés ? Ce vers quoi devait tendre tout leur être ? Le blond le croyait sincèrement et il continuait de diriger sa vie dans cet unique but mais il craignait bien d'être à présent le seul dans ce cas. Le seul parmi les anges blancs du moins. Et encore, pendant combien de temps resterait-il un ange blanc en vivant sur cette terre, loin de Dieu et de ses adorateurs ? C'était déjà un miracle qu'il restât ainsi pour le moment.
L'expérience de William concernant les anges étaient bien simple : les anges blancs, ce que l'on pouvait donc considérer comme purs, n'aidaient guère les humains dont ils avaient cherché à détruire toute trace sur Son ordre. Ceux à qui l'on pouvait, peut-être, se fier, étaient les anges gris. Et encore. Quant aux anges noirs, la catégorie était dangereuse, mais elle pouvait révéler quelques surprises.

En résumé, et du point de vue de William, seul le désespoir pouvait pousser quelqu'un à se jeter dans les bras d'un ange.

Et puis, être gentil, qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Eliott voyait-il donc les anges comme des êtres munis de super-pouvoirs capable de régénérer des mortels en un clin d'œil, de guérir des cancers en phase terminale ou encore de rendre la vue aux aveugles ? Il était bien loin du compte. Seul Dieu détenait ces pouvoirs et pouvait éventuellement les déléguer temporairement à une personne précise. Oh, les anges étaient des êtres d'exception qui se démarquaient des humains évidemment. Déjà, avoir des ailes devaient compter pour beaucoup. Mais ils n'étaient pas Jésus non plus.
Le blond tâcha d'imaginer le jeune homme en face de lui en train de découvrir sa véritable nature. Mieux valait que cela n'arrivât pas, ou du moins, que tout espoir trop grand fût déjà détruit. Eliott semblait avoir une telle confiance dans les anges qu'il serait inévitablement excessivement déçu en apprenant que William ne pouvait rien de particulier pour sa maladie. C'était comme subitement avoir sous le nez sa rédemption pour que celle-ci disparût aussitôt.

« Si je peux me permettre un conseil, commença William sur un ton plus froid, n'attendez pas trop de la part des anges. À supposer que vous en trouviez un qui ne cherche pas à détruire les humains, il n'est pas dit qu'il pourrait vous aider simplement du fait qu'il est un ange... »

Le blond avait envie d'aider le jeune homme, mais il ne pouvait pas non plus le nourrir de faux-espoirs. Mieux valait se concentrer sur l'hôpital, sans pour autant là-aussi créer de trop fortes attentes. Aussi, quand Eliott lui demanda s'il connaissait un bon médecin, l'ange ne fit pas attendre sa réponse.

« Non. »

Comme pour laisser bien le temps à Eliott d'assimiler cela, William prit une nouvelle gorgée de café. Encore une fois, sa voix s'était montrée plus dure, plus ferme... pour le bien de l'ondin. Du moins c'était ce que pensait le blond. Cependant, il ne tarda pas à redevenir plus doux :

« Je connais des bons médecins. L'hôpital où je vais vous emmener et où je travaille est un très bon hôpital. Son personnel est extrêmement bien qualifié et si un docteur peut vous aider dans cette ville, je ne doute pas qu'il se trouve dans cet hôpital. Simplement, je ne sais pas s'ils seront meilleurs que les médecins que vous avez déjà vus. Je veux que vous en soyez conscient, Eliott. »

L'ange avait bien noté d'ailleurs la légère hésitation que son interlocuteur avait eu un moment en parlant des anciens médecins qu'il avait déjà rencontrés. Il avait buté sur le mot ''humain'' et cela n'était pas passé inaperçu. William se rendait bien compte qu'il était en train de pousser le jeune homme dans certaines extrémités et qu'il le rendait nerveux par son interrogatoire. Aussi choisit-il de lui donner une petite porte de sortie et de parler d'autre chose. Le jeune homme avait évoqué son logement mais l'ange avait cru comprendre qu'Eliott était plutôt désargenté. Sans vouloir aborder les choses trop directement, il se demandait néanmoins où pouvait bien vivre le jeune homme :

« Enfin... Il sera toujours temps de voir tout cela tout à l'heure, n'est-ce pas ? À propos, puisque vous avez bien vos historiques, où se trouvent-ils ? Vous avez réussi à vous loger en arrivant dans cette ville ? »

Les réponses froides et dures de William étaient comme des coups de poings pour l'ondin malade. Apparemment, tout l'espoir qu'il avait placé dans les anges étaient vains. Si il en croyait son nouvel ami, les anges n'avaient plus envie d'aider les autres, et restaient plutôt focalisés sur la destruction. Au fond de lui, ça l'attristait. Il avait tant de fois entendu son père et son grand-père parler des miracles des anges. C'était vraiment son dernier espoir... Même d'apprendre que l'hôpital avait certainement de très bon médecins ne le réconfortait pas. L'ondin avait effacé l'idée qu'un humain pourrait le soigner. Sa maladie n'était pas un cancer, pas une malade auto-immune, c'était encore autre chose. Il souffrait de la pollution, de la destruction de la nature, d'une maladie que seul un ondin pouvait attraper. Comment un simple humain pourrait-il le soigner ?

Soupirant, désespéré, il but un peu de son chocolat chaud. Que pouvait-il faire maintenant...? Il releva la tête quand William lui demanda où il logeait.

- J'ai trouvé un petit studio, pas très grand mais suffisant pour moi tout seul, dans le quartier étudiant.

Elliot n'avait certes, aucune source de revenu, mais les pierres précieuses qu'il avait ramené du fond des océans l'avait aidé à mettre assez de côté pour louer ce petit logement. Les humains étaient si cupides... Un peu d'or oublié dans une épave au fond de l'eau, et ils vous accueillaient comme un prince, alors qu'une minute plus tôt, vous étiez à peine considéré comme un SDF. En parlant de logement, c'était grâce à A.M.E qu'il l'avait trouvé. Il se demandait comment allait la petite peluche parlante...

Peu après, il finit son chocolat et son gâteau. Il ne savait pas si ils allaient partir à l'hôpital ou pas...

(Suite ici)