Le temps que mis son rival à se remettre de la douleur qui devait irradier son épaule fut relativement court. Du moins, ça l’était si l’on considérait qu’une personne, à peu près normale, se serait sans doute évanouie et aurait alors mis bien plus du double de temps que lui à se rétablir.
Pour Lorelei en revanche, ce délai paru long. Très long. Trop long même. Elle ne se lassait certes pas d’observer en coin l’homme dont les jambes tremblaient presque imperceptiblement, et se délectait de sa faiblesse clairement apparente du moment, mais le vent et la pluie, qui continuait de mordre sa peau déjà gelée, venaient facilement gâcher tout ce petit plaisir.
En plus, comme dit plus haut, lui ne s’était pas évanoui comme tout être l’aurait fait. Il avait une nouvelle fois résisté et tenu face à elle et cela commençait vraiment à devenir frustrant à la longue pour la lycanthrope. Elle aurait dû l’achever avec un geste ou un coup quelconque, mais elle s’était abstenue. A présent, elle regrettait et se sentait l’âme d’une imbécile d’avoir laisser passer une chance pareille. Trop bonne, trop conne comme on dit.

« Muselle ton impatience ma grande, ou rentre par tes propres moyens. »

Et même après son petit service, monsieur continuait d’être désagréable… Remarque, en y réfléchissant bien, il pouvait se le permettre puisqu’il se trouvait être plus avantagé qu’elle dans la situation, maintenant que son épaule avait retrouvé sa place habituelle. Rien ne l’obligeait en effet à respecter les termes du marché à présent que Lorelei avait fait sa part. D’ailleurs, si cela venait finalement à arriver, ça ne l’étonnerait sans doute même pas, vu le personnage que le brun semblait être. Entendez par-là : quelqu’un de désagréable et retord.
La rouquine pesta légèrement, n’ayant pas grand-chose à répondre à la phrase bien sentie que son vis-à-vis venait de lâcher. Impuissante donc, elle le regarda se faire un bandage de fortune pour la blessure qui saignait toujours à son flan, grâce à sa chemise. Elle grognait contre cette perte de temps, piaffant d’impatience et commençant sérieusement à désespérer qu’un brin de chance revienne avant la fin de la matinée.
Ce dernier sentiment ne fit d’ailleurs que s’accentuer lorsque, une fois sa plaie pansée, son adversaire prit les barres de nutriments qui jonchaient dans le coffre de la voiture et alla confortablement d’installer à l’intérieur de cette dernière pour se remplir paisiblement l’estomac. Autant vous dire que celui de la jeune femme ne put qu’émettre une nouvelle protestation face à cela.

Dépitée, elle resta un bref instant encore, adossée contre le rebord du coffre jusqu’à ce que le vent vienne souffler avec violence une fois encore sur son corps trempé. Les membres engourdis et claquant maintenant des dents, la rouquine reprit sa canne et s’en alla rejoindre son compagnon.
Elle ouvrit non sans peine la porte côté passager, faisant fi de la nourriture que l’autre engloutissait, et y découvrit avec joie un manteau. Le poussant dans un premier temps pour pouvoir s’assoir sur le siège, elle lorgna dessus pendant quelques secondes avant de finalement se décider à l’enfiler avec empressement, sans se soucier de la réaction et de l’avis de son confrère.

« A défaut de piquer un peu de bouffe, je prends le manteau, tu m’en voudras pas. »

Notons que ce n’était là pas une question mais une affirmation. De toute façon, l’habit était déjà enfilé et Lorelei n’était pas prête de le retirer. Elle venait de trouver quelque chose qui, non content de la réchauffer, couvrait et dissimulait aussi son corps aux prunelles vertes de son voisin. Finalement, il y avait peut-être encore une lueur d’espoir que tout ça s’améliore encore un peu.

Nikita se rendait compte de sa faim au fur et à mesure qu’il avalait cette espèce de pitance purement chimique, extrêmement nourrissante malgré son gabarit réduit et son aspect compact, peu engageant à première vue. De plus, ça lui procurait un regain d’énergie non négligeable et qui serait le bienvenu pour le trajet qui s’annonçait. Enfin, ça n’empêchait pas le lycan de songer au fait qu’il aurait tout de même apprécié marquer une pause bien plus conséquente que celle-ci avant de repartir en direction de la ville, s’il l’avait pu. Dormir, au moins somnoler une petite heure lui aurait permis de récupérer un peu avant de prendre le volant, évitant ainsi que sa vigilance ne soit complètement inopérante.
Une chose qui, vous en conviendrez, s’avérait généralement assez utile sur la route.
Mais d’un autre côté, plus vite il partirait, plus vite il pourrait rentrer chez lui et surtout… plus vite il serait débarrassé de son encombrante compagne.
Laquelle venait d’ailleurs de s’inviter sur le siège passager tandis qu’il terminait ce que l’on pourrait plus ou moins qualifier – au sens large, voire très large du terme – de repas, virant au passage son manteau pour finalement décider de.. s’en vêtir ? Nikita s’arrêta de mastiquer sa bouchée insipide un instant, posant sur elle un regard assez mécontent du fait qu’elle s’octroie ses propres affaires sans même daigner le lui demander.

« A défaut de piquer un peu de bouffe, je prends le manteau, tu m’en voudras pas. »

Non, non, bien sûr qu’il ne lui en voudrait pas, pourquoi serait-ce le cas d’ailleurs, il n’avait strictement aucune raison de lui en vouloir après tout. En revanche, s’il subsistait en elle ne serait-ce que le moindre espoir qu’il lui donne de quoi apaiser sa faim, elle pouvait définitivement faire une croix là-dessus.

L’homme émit un claquement de langue agacé en guise de réponse, considérant qu’il n’avait de toute façon rien d’autre à lui passer pour qu’elle se couvre et qu’il ne pouvait décemment pas la ramener à Naniwa en tenue d’Ève, en pleine journée et alors que les rues devaient regorger de monde. Non pas qu’il l’ait prise en pitié, mais il n’avait simplement pas envie d’avoir de problème, lesquels ne manqueraient cependant pas d’arriver le cas échéant.

La prochaine fois qu’il changerait de voiture, il prendrait des vitres teintées en option.

« Bien, je suppose que dans ce cas, tu ne m’en voudras pas davantage si je récupère mes affaires ? »

Un sourire mi-figue mi-raisin collé aux lèvres, il se pencha vers elle sans attendre de réponse et glissa sa main droite dans l’une des grandes poches de son long manteau… ce qui revenait à peu de chose près à ce qu’il lui pose carrément la main sur la cuisse. Bah, ce n’était pas comme s’il l’avait fait exprès cette fois, après tout il n’avait pas volontairement laissé ses propriétés dans cette poche-là avec pour seul but d’en arriver à ça.
Il chercha un instant avant de finalement dénicher son briquet, tout au fond, ainsi que le paquet de cigarettes qui allait avec, son portable devant quant à lui être dans l’autre poche. Il en sortit une de son paquet, l’alluma et tira dessus, sentant déjà son humeur s’alléger un peu. On pouvait bien dire ce qu’on voulait sur le tabac, ça avait quand même ses bons côtés. Les moins bons, pour l’heure, étaient entièrement réservés à la rouquine : Nikita avait laissé la portière ouverte de son côté quand il était venu s’asseoir là tout à l’heure et, le vent s’invitant donc gaiement dans la voiture, toute la fumée de sa cigarette revenait en plein sur sa compagne.

Tout de même, regrettait-il en se renfonçant dans son siège, il était assez déçu qu’elle ait agi de sa propre initiative en enfilant le manteau : elle lui de ce fait ôté toute possibilité de refus, ce qu’il n’aurait pas manqué de faire quand bien même il savait au final ne pas avoir le choix et devoir accepter. Mais la route était encore longue avant qu’ils ne se séparent, il avait encore tout le temps pour trouver autre chose susceptible de l’énerver un tant soit peu afin de passer le temps.

Lorelei se retint de rire lorsqu’elle remarqua le regard mécontent de son congénère posé sur elle et surtout lorsqu’elle constata le fait qu’il s’était arrêté en pleine mastication de sa barre énergétique. Il sembla être sur pause pendant ces quelques fractions de secondes et, croyez le ou non, il y avait vraiment de quoi se payer sa tête vu la tronche qu’il tirait. La jeune femme regretta même de ne pas avoir d’appareil photo sur elle pour immortaliser cet instant et se contenta donc d’afficher un grand sourire amusé qui en disait assez long sur ses pensées.

La rouquine reprenait confiance en elle, bien qu’elle se savait toujours dans une situation très précaire. Les yeux verts de son voisin, qu’ils soient assassins ou bien intéressés, glissaient à présent sur elle presque comme si de rien n’était. Ce manteau était une vraie bénédiction. Long, juste légèrement trop grand pour elle, il cachait parfaitement son corps nu. De plus, il était confortable et chaud. La chair de poule de la lycanthrope disparaissait petit à petit, en même temps que ses lèvres reprenaient une couleur à peu près normale, et elle se sentait ainsi tout de suite plus à l’aise, même si la faim qui lui tordait le ventre et la présence de l’homme ne lui permettaient pas d’être parfaitement relaxée.

Le claquement de langue que fit d’ailleurs retentir ce-dernier, lui passa par-dessus la tête, n’ayant aucunement l’intention de prendre en considération ce que désirait ou non le grand brun. En revanche, la phrase qui s'ensuivit - ou plutôt le geste qui l'accompagna - eut son petit effet.
En entendant que l’autre souhaitait récupérer ses biens, Lorelei avait commencé à diriger ses mains vers les poches pour lui donner de mauvaise grâce, mais elle fut couper dans son élan quand elle vit que l’autre se penchait pour les prendre soi-même. La main de son adversaire, séparée uniquement par une couche de tissu de sa cuisse, la fit se raidir instantanément sur le siège. Elle dut se faire violence pour éviter de lui balancer son coude au visage mais y parvint tout de même et expira longuement lorsque le petit manège fut terminé.
Tout ça pour une cigarette en plus ? Juste pour s’empoisonner les poumons ? Enfin, si ça pouvait le calmer un peu et faire qu’il soit moins désagréable pendant le reste du trajet, pourquoi pas ma foi…Dans tous les cas de figures cependant, Lorelei se dit qu’il aurait pu avoir la politesse de recracher la fumée à l’extérieur du véhicule lorsqu’elle se la prit joyeusement au visage. Peu habituée à cela, elle plissa le nez en grognant alors que ses yeux commencèrent à lui piquer. Il ne lui en fallut pas plus pour décider d’agir contre cette nouvelle nuisance. Ainsi, aussi vive que le permettait son corps endolori, elle arracha la cigarette coincée entre les lèvres de son rival et l’écrasa plus fort que nécessaire dans le cendrier de la voiture, ses prunelles fauve fixant son vis-à-vis d’un air rempli de défi et d’irritation.

« Tu crois pas que tu me fais déjà pas assez chier comme ça sans avoir besoin d’en rajouter une couche ? En route, bordel ! »

Sur ces mots, toujours prononcés avec l’ultime délicatesse dont elle savait faire preuve, elle posa le portable, qui se trouvait dans la seconde poche du manteau, dans un espace du tableau de bord qui semblait dédié aux babioles en tout genre. Pas question qu’il recommence son petit jeu une deuxième fois et qu’ils continuent de perdre du temps.

Est-ce que. Est-ce qu’elle venait juste de lui arracher la cigarette des lèvres là, à l’instant ? Lui-même s’apprêtait à l’en ôter le temps d’une expiration, mais ses doigts n’avaient rencontré que du vide alors qu’elle était en train d’écraser rageusement sa cible dans le cendrier placé entre les deux sièges.
Alors qu’il s’apprêtait à démarrer la voiture pour repartir vers la ville une fois qu’il aurait terminé de la fumer.
Alors qu’il ne lui avait rien fait en plus… pour une fois. Ou presque rien. Disons qu’il ne pensait pas que la fumée susciterait une telle réaction chez sa consœur, qu'il avait simplement cherché à l'agacer un peu.

Autant vous dire qu’il n’appréciait pas. Voire pas du tout. Et que la petite réplique qu’elle s’était permis de lui balancer histoire de bien marquer le coup était clairement de trop. Elle se prenait pour qui au juste, en se permettant de lui parler comme à son chien ? Il y avait tout de même une limite à l’irrespect, surtout quand on se retrouvait dans une situation instable comme celle de la jeune femme à l’heure actuelle. Ce n’était pas parce qu’il avait accepté de la ramener à condition qu’elle remette son épaule en place, qu’elle récupérait tous les droits sur lui et pouvait se comporter de la sorte. Si elle cherchait un moyen de se faire jeter, elle s’engageait sur la bonne voie avec ce genre d’agissement. Après tout, rien n’empêchait l’avocat de se retirer de leur engagement maintenant qu’il avait eu sa part, et surtout si elle lui donnait d’aussi belles excuses pour qu’il le fasse.

Dans un premier temps, Nikita ne bougea pas, comme figé dans une immobilité parfaite. Seule une petite crispation apparente au niveau de sa mâchoire permettait de déterminer la tension qui l’habitait actuellement. Le regard fixe devant lui, une de ses mains s’était égarée sur le volant comme s’il s’apprêtait à obéir docilement à ce qu’elle venait de dire.

« Des ordres maintenant, hmm ? »

Les mots tombèrent d’une voix glaciale, très calme… un peu trop même. La violence, les railleries, c’était une chose. Qu’elle lui adresse la parole sur ce ton en était une autre. Disons qu’avec toutes ces frictions accumulées tout au long de la matinée, ceci avait été la goutte de trop, celle qui faisait déborder le vase. S’il avait été plus violent, plus du genre à laisser ses pulsions primaires prendre le dessus, il lui en aurait retourné une à l’instant même où elle avait cessé de parlé.

Il se tourna vers elle après avoir marqué une courte pause, le visage toujours aussi impassible mais ses yeux brillant d’une colère froide contenue.

« Tu ferais bien de surveiller ton langage. Je décide de quand nous partirons, et tu vas devoir t’en contenter parce que tu n'as de toute façon pas le choix. Tu n’as en aucun cas le droit d’exiger quoi que ce soit de moi. »

Ayant terminé, il récupéra une seconde cigarette, la porta à ses lèvres et l’alluma sans plus se préoccuper d’elle. Ou du mois, en donnant l’impression qu’il estimait le sujet clos et qu’il passait à autre chose. Mais il connaissait suffisamment la rouquine pour savoir qu’elle ne se résignerait pas aussi facilement et restait attentif à la moindre réaction émanant d’elle, prêt à riposter si cela s’avérait nécessaire.

Pendant un instant, Lorelei crut vraiment que son confrère allait sagement démarrer la voiture et prendre la route de Naniwa comme s’il ne s’était rien passé. Il semblait bloqué, en arrêt sur image, fixant le paysage à travers le pare-brise droit devant eux, une main s’étant glissée sur le volant. Elle restait méfiante cependant et l’observait, un sourcil légèrement relevé en attendant que monsieur se remette en marche.
Grand bien lui en fasse de ne s’être tout de même pas trop leurrée et voilée la face. Comme si cet homme pouvait être docile…si cela avait été le cas, elle l’aurait remarqué depuis belle lurette et ils n’en seraient sans doute pas là aujourd’hui. Aussi, même si ça n’avait pas duré bien longtemps, elle fut elle-même affligée par la stupidité et crédulité dont elle venait de faire preuve.

Elle le fixait toujours de ses yeux ambrés lorsque le brun se tourna enfin vers elle. Il affichait un visage en apparence neutre mais dont la mâchoire légèrement crispée trahissait son profond agacement dirigé contre sa personne. Ses yeux d’un vert toujours aussi profond, eux, exprimaient avec ardeur, et sans désir de le cacher, la colère qui bouillonnait à l’intérieur de leur propriétaire. Par réflexe devant tant d’hostilité, la rouquine releva légèrement un coin de sa lèvre supérieure, dévoilant une nouvelle fois ses canines acérées.
La voix de son interlocuteur tomba ensuite sur elle comme un seau d’eau glacée sur la tête. Brutale et désagréable à souhait.
Comment ça, elle n’avait rien à exiger de lui ? Et puis quoi encore ? Elle avait tenu sa part du marché, elle était à présent en droit de réclamer que le brun réalise son devoir dans les plus brefs délais ! Et là, les dits délais étaient loin d’être courts. A l’inverse, ils trainaient en longueur et son congénère semblait même prendre un malin plaisir à faire durer le temps.

Un long frisson de rage parcouru l’échine de la jeune femme et de sa gorge sortit un sourd grognement, animal, comme pour déconseiller fortement son adversaire à rallumer la seconde cigarette qu’il venait de prendre après sa petite tirade.
Cela sembla lui passer à bien quinze kilomètres au-dessus de la tête. Une broutille sans importance. Comme s’il n’avait aucune raison de la craindre et de se tenir sur ses gardes. Et la flammèche du briquet alluma innocemment l’extrémité du bâtonnet, qui brilla d’an rouge incandescent lorsque que l’homme tira une nouvelle première bouffée de tabac.
La seconde d’après, Lorelei, furieuse, se jetait à moitié sur le brun afin de réitérer son geste précédent et d’offrir ainsi une compagne à la pauvre cigarette qui se trouvait seule dans le cendrier.
S’attaquer directement au paquet complet en premier lieu, aurait été une solution que la jeune femme aurait bien aimé mettre en application, mais celui-ci se trouvait hors de sa portée, le petit chaton ayant apparemment bien pris garde à ce qu’elle ne puisse l’atteindre dans l’immédiat. Au, à défaut de cela, la détermination brillait dans ses prunelles : elle lui arracherait toute les clopes du bec s’il le fallait et ce jusqu’à ce que le paquet soit vide.

Les ongles plantés dans la cuisse droite de son vis-à-vis et le bras droit aussi tendu que le lui permettait son épaule blessée pour tenter d'attraper la cigarette, la rouquine fixa l’homme, une lueur de folie brillant dans le fond de ses yeux, avant de déclarer dans leur langue natale commune.

« Qu’est-ce que tu crois ? Que je vais sagement m’écraser alors que j’ai réalisé ma part du contrat et que toi tu traînes pour faire la tienne ? Je suis parfaitement en droit de demander une exécution rapide des termes de notre échange ! Et si tu continues à faire traîner, ton épaule pourrait étrangement revenir à son état précédent… »

Elle avait eu exactement le même réflexe que la première fois, quoiqu’avec un peu plus d’emphase cette fois-ci. Prévisible à souhait. Il se doutait qu’elle aurait une réaction similaire, aussi fut-il en mesure de l’empêcher de faire ce qu’elle voulait en mettant la cigarette hors de sa portée d’un ample mouvement du bras. Son épaule protesta vivement et il encaissa le choc en grinçant des dents, songeant qu’il n’avait pas trop intérêt à refaire un tel geste aussi brusquement s’il ne voulait pas se la déboîter lui-même sans l’aide de personne. Elle ne réitérerait pas sa bonne action une seconde fois, ses paroles étaient d’ailleurs plutôt explicites à ce sujet au vu de la menace sur laquelle elle les avait achevées.
Enfin, l’heure n’était pas à de telles considérations et il n’avait plus qu’à espérer que son épaule tiendrait le coup le temps qu’il puisse faire ce qu’il voulait.

« Essaie, lui siffla-t-il d’une voix toujours aussi froide et dure, la suivant dans l’allemand avant de reprendre en japonais, switchant aisément entre les deux langues. Essaie simplement. »

Et tu t’en mordras les doigts.

La jeune femme n’avait pas pris le temps de fermer le manteau quand elle l’avait mis tout à l’heure, et c’était là une erreur. Dans le feu de l’action, les pans seulement rabattus l’un sur l’autre s’étaient légèrement rouvert, dévoilant le haut de son corps et laissant ainsi au lycan le libre accès à cette zone vulnérable.
Il avait à peine terminé de parler que, sans prévenir, il appuya le bout incandescent de sa cigarette juste au dessus de la clavicule gauche de la jeune femme, écrasant sans ménagement le petit rouleau de tabac contre sa peau sensible. Au moins celle-ci aurait connu une fin plus utile que la précédente, à défaut d’avoir pu servir à ce pour quoi elle était normalement destinée.
L’homme profita alors de ce moment pour agripper le col de la rouquine de sa main droite, l’attirant d’un coup sec vers lui jusqu’à ce que leurs visages soient presque collés.

« Ne me dicte pas mes actes. Tu n’es pas en position de me demander quoi que ce soit. »

Les yeux étrécis par la colère, il avait lâché les mots un à un avant de la repousser brutalement en arrière, contre le volant qui devait normalement se trouver à peu près au niveau du bas de son dos.

« Ici et maintenant, nous jouons avec mes règles. J’ai dit que je te ramènerais. Mais je t’en prie, continue de me donner une raison pour ne pas le faire ! Rien ne m’engage à respecter ma part après tout. »

Rien sinon le fait qu’il ne se voyait pas traîner hors de sa voiture une furie qui n’aurait de cesse de se venger une fois qu’il aurait rendu leur contrat caduc. Même si sa cheville fracturée la rendait moins efficace, il doutait fortement arriver à s’en débarrasser aussi facilement que ça, d’autant plus qu’il avait tout intérêt à s’économiser pour être ensuite en l’état de prendre la route aussitôt.

Presque méticuleux, Nikita laissa tomber la cigarette à peine entamée dans le cendrier afin que le tabac ne se répande pas dans sa voiture qui était, à peu de choses près, d’une propreté impeccable. Tout de même, quel gâchis…
Et avec tout ça, il n’avait au final toujours pas eu la dose de nicotine tant désirée.

La cigarette était hors d’atteinte, son confrère lycanthrope ayant eu la présence d’esprit de tendre le bras pour l’éloigner lorsqu’elle s’était à moitié jetée sur lui. Il fallait dire que Lorelei avait été plutôt – extrêmement - prévisible sur ce coup et qu’il n’avait pas dû être bien compliqué que contrecarrer l’action qu’elle avait entreprit. Essayant cependant toujours de récupérer l’objet de son désagrément, bien que cela parût impossible et couru d’avance, elle resta campée sur ses positions, les yeux rivés dans ceux de son adversaire quand il prononça ses trois petits mots d’une voix toujours aussi peu engageante.

« Fait gaffe, ne tente pas le dia-ah ! »

La colère l’aveuglant, la rouquine avait négligé les manœuvres que l’homme était en mesure de faire. Aussi sa phrase fut donc interrompue par un cri de surprise où pointa une note de douleur. Elle baissa juste assez les yeux pour constater que le bâtonnet incandescent avait bien été écrasé comme elle souhaitait qu’il le soit, en revanche, ce n’était nullement contre le cendrier que la chose avait fini sa course. Elle s’était, en effet, uniquement couverte du manteau et les gestes qu’elle avait faits, avaient de nouveau offert sa peau au brun, lequel avait largement profité de cette belle ouverture qui lui tendait les bras.
Un léger crépitement parvint aux oreilles de Lorelei quand la cigarette vint donc s’écraser un peu au-dessus de sa clavicule et, presque immédiatement après, une odeur de brûlé se mit à flotter autour d’eux. Devant cette attaque et le mal qui consumait doucement sa peau si fine et fragile sur cette partie du corps, le premier et seul réflexe de la jeune femme fut d’essayer de se reculer et de couper court au contact avec le minuscule brasier. Malheureusement pour elle, son cher ami ne semblait pas en avoir fini. Il l’attrapa par le col, l’attirant à lui pour lui cracher ses paroles pleines de venin, avant de la repousser rageusement en arrière.

Le bas du dos de la lycanthrope percuta violemment le volant du véhicule, et elle ne put s’empêcher de laisser s’échapper un hoquet de souffrance sous la brutalité du choc. Cambrée, elle porta sa main droite à l’endroit de l’impact. Un fourmillement désagréable parcourait sa colonne vertébrale sans vouloir sembler s’arrêter et très vite, les vagues de douleur s’intensifièrent alors qu’elle commençait à sentir quelque chose de chaud couler le long de ses cuisses.
Sa respiration devenue saccadée, la jeune femme glissa sa main sous le manteau et grimaça en sentant la blessure, jusqu’à présent oubliée, rouverte sous ses doigts. Doigts qu’elle ressortit couverts de sang de sous l’habit emprunté.
Elle resta là, à contempler le liquide carmin couvrant sa main, comme si elle avait totalement oublié la présence de l’homme qui lui faisait face, avant de reporter subitement son attention sur ce dernier. La colère qui se lisait dans ses yeux était nullement contenue et faisait se tordre sa bouche en un rictus fort mécontent. Elle n’attendit alors pas une seconde de plus pour retourner à l’assaut.
Sans prévenir, elle vint frapper sèchement l’épaule gauche de son adversaire avec la paume de sa main droite, non pas pour la déboiter de nouveau, mais pour bien lui faire sentir qu’elle était encore capable de lui faire subir quelques contrariétés. Son autre main, elle, se glissa à l’arrière de la tête pour y agripper les cheveux et tirer ainsi légèrement sa tête en arrière. Elle s’avança alors de nouveau, à la façon d’un prédateur qui tourne autour de sa proie.

« Oh, si tu tiens à la vie, tu as intérêt de la respecter, ta part. Parce que si tu me laisses là, croit moi que je me démènerais pour survivre et rentrer et qu’alors, je me ferais un malin plaisir de te prendre en chasse… »

Elle avait parlé d’une voix mielleuse, son souffle chaud caressant la peau de la gorge découverte de son rival. Sur la fin de sa petite tirade, Lorelei vint même poser ses canines pointues contre l’endroit où se trouvait approximativement la jugulaire, et pressa doucement, comme pour mimer la suite de ses dires.
Elle redressa ensuite la tête pour venir chercher les prunelles émeraude et clôtura le tout d’un petit « Suffisamment clair ? ».

Il fallait croire que ces deux là ne trouveraient jamais de terrain d’entente quoi qu’ils fassent et qu’importe les avantages que ça leur rapportait, puisqu’ils sautaient sur la moindre occasion qu’ils avaient de déclencher encore une fois les hostilités entre eux. Qu’ils soient dans la voiture et non plus dans la forêt ne changeait pas grand-chose au final : ils faisaient un pas en avant pour reculer de trois. Qui plus est, la hache de guerre s’annonçait cette fois-ci plus difficile à enterrer que tout à l’heure.
A moins que…

Nikita sentait le souffle chaud de son interlocutrice contre sa gorge. Il avait tout à fait conscience d’être allé un peu trop loin, et savait tout autant qu’il referait pourtant exactement la même chose si on lui donnait l’occasion de revenir en arrière.
Que voulez-vous, il ne pouvait tout simplement pas admettre et accepter qu’on décide de ce qu’il devait faire jusque dans sa propre voiture !

Les yeux rivés dans ceux de sa compagne, il réfléchissait à la parade qu’il pourrait bien établir pour se sortir de cette délicate situation. Une seule chose lui venait à l’esprit, mais il n’était pas sûr d’y parvenir puisqu’il ne pouvait absolument pas se fier à son corps au vu de son état. Cependant, il avait beau tourner et retourner la situation, il ne voyait que ça. Ça ou s’écraser complètement devant elle, une situation doublement plus humiliante si l’on prenait en considération les paroles qu’il lui avait lancées juste avant qu’elle le frappe à l’épaule.
Autant dire qu’il n’avait pas vraiment le choix.

« Parfaitement clair », répondit-il alors après un moment de silence et d’une voix parfaitement maitrisée à la lycanthrope, laquelle se trouvait d’ailleurs un peu trop près de lui à son goût pour qu’il puisse faire ce qu’il avait en tête. Mais qu’à cela ne tienne, l’homme avait trouvé un excellent moyen de remédier à cela en se basant sur les réactions qu’elle avait pu avoir face à certains de ses gestes au cours de la matinée : alors qu’ils en étaient toujours à se regarder en chien de faïence, il glissa soudainement sa main droite entre les deux pans ouverts du manteau… pour la poser sans crier gare sur la poitrine de sa rivale.
Il n’y avait dans ce geste déplacé aucune intention perverse ni quoi que ce soit d’autre dans la même veine. Nikita n’était pas homme à prendre son pied dans de telles situations ; il avait simplement cherché à suscité une réaction de recul chez la rouquine et n’avait pas trouvé plus direct que ça pour parvenir à ses fins. Toutefois, il se doutait n’avoir que très peu de temps devant lui avant de subir un retour de flammes violent duquel il ne sortirait pas indemne – enfin, encore moins qu’actuellement –… s’il en sortait, ce qui n’était même pas une certitude à vrai dire.
Aussi frappa-t-il dès qu’elle eut lâché ses cheveux pour se reculer sous l’effet de la surprise et sans doute de la colère.
Implorant son épaule gauche pour qu’elle ne cède pas et sachant pertinemment que rater ce coup équivaudrait à signer un arrêt de mort immédiat, il avait mis toute la force dont il disposait encore dans ses deux poings, lesquels étaient venus heurter simultanément les tempes de la jeune femme. L’effort lui arracha un grognement de douleur mais porta ses fruits puisqu’elle s’écroula sur lui, inconsciente. Il la repoussa avec difficulté sur le siège passager pendant que son articulation meurtrie le lançait à un tel point qu’il la crut de nouveau déboitée.
Sans même essayer de la bouger, il lui accorda un regard qui calma aussitôt ses inquiétudes à son sujet et se laissa retomber dans son siège, la respiration saccadée mais soulagé de n’avoir aucun dommage à déplorer à ce niveau. Cela faisait deux fois d’affilées qu’il exigeait d’elle un effort trop considérable alors qu’il aurait dû éviter de la solliciter. Il n’y en aurait pas de troisième, sa chance ne durerait pas à ce rythme.

Quelques minutes passèrent ainsi sans qu’il n’esquisse le moindre mouvement, un petit répit qu’il estimait amplement mérité et durant lequel la douleur recommença à se calmer – un peu. Nikita était pleinement conscient du risque qu’il avait pris en se livrant à cet acte et ne voulait même pas songer à ce qu’elle lui aurait fait subir si cela n’avait pas suffi.
… Mais d’un autre côté, c’était parce qu’il savait ne pas avoir droit à l’erreur qu’il avait trouvé la force nécessaire pour réussir. Quoique le fait qu’elle n’ait plus beaucoup de force – tout comme lui – et donc une résistance amoindrie devait être également entré en jeu.

L’homme se redressa finalement pour se saisir de son paquet de cigarettes duquel il en sortit une troisième, qu’il considéra un instant avant de la remettre à sa place, grimaçant. Il avait l’impression que le contrecoup de tout ce qu’il venait de faire lui retombait brutalement sur le dos et que son corps était plus fourbu que jamais. Il était temps de partir ; il pourrait bien fumer tout ce qu’il voudrait une fois qu’il se serait débarrassé de la harpie qui gisait sur le siège à sa droite.
Bien sûr, il avait songé à la laisser là maintenant qu’elle ne lui opposait plus aucune résistance. Mais la menace qu’elle avait proférée résonnait encore dans ses oreilles, bien réelle et criante de sincérité. Il ne pouvait pas se permettre de la prendre à la légère.




La rouquine commença à présenter des signes de réveil alors qu’ils venaient tout juste de pénétrer dans la zone urbaine. Le trajet avait été long et monotone, et seuls les lacets incessants de la route avaient empêché le lycan de sombrer dans une somnolence qui leur aurait été dangereuse, sinon fatale. A présent, et bien que sa blessure au flanc réclame des soins le plus rapidement possible, il n’avait qu’une hâte : rentrer chez lui et glaner quelques heures de repos.

« Où la Belle au bois dormant souhaite-t-elle que je la dépose ? » demanda-t-il tout en jetant un regard en coin à sa voisine, sarcastique.

Un fin sourire quelque peu victorieux se dessina sur les lèvres Lorelei quand son adversaire concéda à répondre, d’une voix posée et semblant s’être résigné, quelques secondes après qu’elle eut proféré ses menaces. Méfiante, elle continua cependant de sonder les yeux verts qui se trouvaient en face d’elle, tenant toujours bien fermement les cheveux dans sa main droite, cherchant à voir si son vis-à-vis ne cachait pas quelques mauvaises intentions à son égard. Monsieur savait malheureusement bien jouer la carte de la dissimulation et la lycanthrope ne remarqua rien de notable dans les prunelles qui l’observaient en retour.

Après un court instant, elle allait finalement se retirer gentiment et se rassoir correctement sur le siège passager, se disant qu’ils allaient peut-être donc enfin pouvoir mettre les voiles, quand elle sentit les doigts brûlants de l’homme se glisser rapidement sous les pans du manteau et se poser ensuite sur sa poitrine. Sa réaction fut immédiate. La jeune femme se recula vivement en arrière en poussant un cri de surprise mêlée de colère, délaissant la chevelure du brun par la même occasion pour replier ses bras sur son torse et ainsi se protéger de toute autre tentative affreusement déplacée.
Ce fut là l’unique action qu’elle eut le temps d’effectuer. Elle vit le coup venir mais trop tard pour faire quoique ce soit pour l’éviter. En face, son confrère frappa - fort – contre ses temps et presque aussitôt la vue de la rouquine se brouilla, la plongeant dans l’inconscience avant que la douleur ne l’envahisse…

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Lorelei resta endormie pendant toute la durée du trajet. D’abord évanouie, elle passa ensuite rapidement, et sans ouvrir les yeux, à un sommeil très profond, exténuée par cette nuit de pleine lune et ce lendemain plus que mouvementé. Bercée par les légers brimbalements du véhicule dans les virages, elle ne commença à émerger que lorsque ces derniers diminuèrent et que les premiers bruits de klaxon et de circulation se firent entendre.
Se recroquevillant légèrement, la rouquine garda les paupières closes pendant un moment. La douleur croissait de nouveau à divers endroits, mais plus douce et supportable que précédemment. Exceptée peut-être celle qui pulsait à ses tempes, encore bien présente malgré le temps qui s’était écoulé depuis que son rival l’avait frappée.

« Où la Belle au bois dormant souhaite-t-elle que je la dépose ? »

La jeune femme porta la main à son visage pour se frotter les yeux et émit un sourd grognement de personne tout juste éveillée pour seule réponse à la question que le brun venait de lui adresser. Papillonnant des paupières pour s’habituer à la luminosité extérieure, la rouquine se redressa ensuite sur son siège avant de rester de nouveau immobile, le regard fixé sur l’extérieur, l’air par-fai-te-ment revigorée par ce petit somme.
Un long – très long – bâillement s’ensuivit après cette rude action et Lorelei daigna enfin porter toute son attention sur son voisin.

« Emmène moi dans ton château, ô mon prince charmant ! commença-t-elle à dire d’une voix de princesse greluche avant de reprendre d’un ton normal : Plus sérieusement, une bouche d’égout pas trop visible aux alentours de Bay Area, ça me conviendra très bien. Qu’on en finisse enfin avec cette histoire... »

Sa dernière phrase fut lâchée dans un faible soupir alors qu’elle laisser aller sa tête en arrière, le mal de crâne battant à présent son plein.
Quand même, quel enfoiré…l’assommer si brutalement simplement pour qu’ils cessent de se chamailler. Ils auraient pu trouver un moyen plus civilisé pour arriver à ce même résultat ! Quoique…sans doute pas, après réflexion. Enfin, dans tous les cas, il devait l’avoir prise au sérieuse lorsqu’elle avait mis en garde et ne l’avait donc pas laissée seule dans la forêt, ce qui était déjà un point non négligeable et fort agréable à constater.
Néanmoins, restant toujours irritée, aussi bien vis-à-vis de l’assommage que du geste qui l’avait précédé, elle fixait son adversaire en coin, jurant qu’il le lui payerait un jour…

Comme à chaque fois qu’il revenait à Naniwa après la nuit de la pleine lune, Nikita vivait son arrivée à Naniwa comme une véritable agression auditive et visuelle. La tranquillité de la forêt, puis celle de la longue route qui courait entre celle-ci et la mégalopole, tout cela était brusquement remplacé par les bruits de la ville et son paysage chaotique.
Les artères énormes bouchées par la circulation très dense en ce début de matinée remplaçaient le long trajet désert, la foule envahissait les trottoirs, se bousculait, se hâtait, se criait dessus, les boutiques ouvraient : un fond sonore incessant qui vous engloutissait bien malgré vous et n’avait de cesse de vous coller à la peau. L’avocat avait beau vivre dans ce milieu depuis plusieurs années déjà, l’apprécier et y évoluer avec aisance, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un léger dépaysement lorsqu’il l’abandonnait pour n’y revenir qu’après un certain temps passé à l’extérieur.

« Emmène moi dans ton château, ô mon prince charmant ! »

Les railleries de la jeune femme le persuadèrent qu’elle avait bel et bien complètement recouvré ses esprits et pour un peu, il aurait presque pu s’étonner de ne pas la voir furieuse après le coup bas qu’il lui avait fait presque une heure auparavant. Il sentait toutefois son regard brûlant posé sur lui et percevait assez clairement son irritation tandis qu’elle donnait une réponse un peu plus utile quant à la direction qu’il devait prendre.

« Fut un temps où les princesses vivaient dans des endroits plus… nobles, que les égouts », enchaîna-t-il en feignant la déception tandis qu’il modifiait son trajet, empruntant une ruelle détournée pour éviter au mieux les embouteillages.

Bay Area devant sans aucun doute être la partie de Naniwa qu’il connaissait le moins, n’y allant qu’à de très rares occasions et seulement lorsqu’il n’avait pas d’autres choix. Il n’aimait ni ce quartier miséreux, ni le sentiment constant d’insécurité duquel il se sentait enveloppé dès lors qu’il s’y rendait et persistait ce jusqu’à ce qu’il en parte. D’autant plus que chaque parcelle de cet endroit le renvoyait à son adolescence… un morceau de son passé auquel il préférait éviter de penser, étant donné qu’il n’en gardait pas des souvenirs particulièrement agréables.

Quoi qu’il en soit, il ne comptait pas s’y attarder aujourd’hui et n’aurait donc pas à supporter ce mal être auquel il avait généralement eu droit lors de ses précédentes visites par ici. Le trajet ne dura pas plus d’une vingtaine de minutes pendant lesquelles les deux lycans ne s’échangèrent pas un mot, n’étant – pour une fois – pas exclusivement occupés à se chercher mutuellement des poux.

Et puis ils arrivèrent enfin dans un coin qui remplissait les critères d’exigence de la rouquine. La voiture ralentit et s’arrêta finalement à côté de la bouche d’égout, le moteur ronronnant doucement. Nikita avait presque du mal à croire qu’ils allaient maintenant se séparer sans qu’aucun autre problème ne survienne, et il avait hâte qu’elle mette les pieds hors de sa voiture et mette les voiles.
Il enclencha l’ouverture automatique et la porte droite glissa sur ses rails presque sans un bruit, venant se rabattre sur la porte arrière.

« Je crois qu’il est temps de se séparer. Au plaisir de ne plus te revoir… »

Accompagnant ses paroles d’un geste de la main vers l’ouverture, il lui décocha un petit sourire parfaitement hypocrite rappelant assez celui de leur première rencontre, lorsqu’il était venu l’aborder. Il avait d’ailleurs employé ce même ton faussement aimable, la congédiant sur le même ton qu’il lui aurait souhaité une bonne journée.

Le monde de Disney, les belles princesses, les princes charmants et les preux chevaliers…Un univers de contes, de fantaisies et de merveilles…bien loin de la réalité dans laquelle vivait Lorelei, dont le quotidien se rapprochait plutôt de celui des méchants de cette communauté extraordinaire. Grisaille, criminalité, immondices,…c’était des choses si fréquentes à Bay Area que la lycanthrope avait fini par vivre avec, se classant elle-même dans le lot des meurtriers.
Ses remarques, le brun pouvait donc se les garder pour lui et elle le lui signala par un grognement en plus d’un regard assassin, pendant qu’elle fermait soigneusement le manteau, son seul et unique habit du moment.

La circulation était relativement dense pour ce début de matinée et les trottoirs grouillaient déjà de monde, ce qui n’était pas pour mettre à l’aise la jeune femme. Ils s’éloignèrent cependant rapidement du centre, contrairement à ce qu’elle pensait. Sur le chemin, les rues se firent vite nettement plus désertes et beaucoup plus repoussantes, sales. La rouquine laissa s’échapper un petit soupir de soulagement alors que ses yeux balayaient son quartier de prédilection. A l’inverse de son cher compagnon, c’était l’endroit de Naniwa qu’elle affectait le plus, connaissant les moindres ruelles sur le bout des doigts et ne ressentant pas l’insécurité des lieux puisque se sachant capable d’arracher la tête à – presque - quiconque viendrait lui chercher des noises.

La voiture passa à une rue de son appartement mais elle ne demanda pas à l’homme de s’arrêter ; premièrement parce qu’il était hors de question qu’il sache où elle habite – même s’il n’avait sans aucun doute pas la plus petite envie de venir lui rendre visite – et deuxièmement parce que ses affaires de rechange et l’eau fraiche l’attendaient toujours bien sagement dans les souterrains. Point non négligeable, vous en conviendrez.
Quoiqu’il en soit, son confrère ne s’arrêta guère plus loin, ayant enfin trouvé une bouche d’égout qui pourrait convenir à la lycanthrope. Enfin.

La porte s’ouvrit sans un bruit à sa droite et la jeune femme jeta un rapide coup d’œil à l’extérieur avant de reporter son attention sur le brun, qui l’invitait si cordialement à foutre le camp. Avec cet air toujours aussi hypocrite qu’il affichait, Lorelei avait une folle envie de lui en retourner une. Elle se retint cependant et, à la place, attrapa soudainement le poignet de la main qu’il venait de tendre vers la sortie.
Elle serra et tira sèchement dessus, l’attirant ainsi vers elle en même temps qu’elle se rapprochait pour lui siffler ses derniers mots en retour aux siens.

« Ne croit pas te débarrasser de moi aussi simplement, surtout avec les derniers coups que tu m’as portée… Puis, après avoir lâché le poignet et s’être tournée vers la portière, reprit : Ha ! Et je me rappelle aussi que tu me dois l’équivalent de trois verres de whisky. Les bons comptes font les bons amis parait-il, et comme nous sommes liés par cette tendre amitié, tu ne verras pas d’inconvénients à régler cette petite dette, hm ? Sur ce, à la prochaine donc. »

Après cela, elle glissa prestement du siège pour atterrir sur le béton si peu confortable de la ville, comparé au tapis feuillu et moelleux de la forêt, et disparut dans les égouts dans secondes qui suivirent, ne laissant pas le temps à son confrère de répondre quoique ce soit. De toute façon, elle avait plus dit ça pour l’agacer qu’autre chose, elle-même n’étant pas non plus pressée de refaire face à ce désagréable et capricieux chaton.