Une nuit comme les autres se préparait dans le squat actuel du père des démons. Border le lit de sa fille, endormie, comme un vrai papa. Lui faire un baiser sur la tempe, comme un vrai papa. Puis il sortit dehors, dans la rue, ramassa un morceau de tuyau en métal comme un vrai pa... Wait ! Non, pas vraiment ! Du moins... J'espère que ce n'est pas le cas de votre vrai père. Ça serait plutôt... Dommage. Ou alors c'est que votre père est un démon. Mais passons.

Luka, Zippo, Lulu, quelque soit le nom par lequel vous l'appelez, n'errait pas dans la rue avec son arme à la main dans le but de racketter le premier honorable passant qui semblait avoir un portefeuille non vide. Et si la vue d'un travelo traînant un morceau de métal faisait changer de trottoir les gens, ça ne le dérangeait pas non plus. Il lui fallait de toute façon atteindre son but seul, discrètement, sans civil ou autre mouchard céleste, sans quoi il ne pouvait atteindre son objectif.

Mais assez rapidement, son allure de drogué et la dangerosité apparente de son arme éloignait toute velléité d'entrer à son contact, pas même les petites frappes qui voyaient en lui une cible qui pourrait infliger trop de dommage. Pas rentable. Et ainsi, arrivé devant le cimetière, il était seul. Pas même les morts, dans leurs sommeils respectifs, n'osaient troubler les lieux. Personne n'oserait, de toute façon. Personne de normal.

D'un coup ferme avec son morceau d'acier, Luka fit sauter le verrou, puis, après avoir bruyamment retiré les chaînes, il fit grincer la porte tout en pénétrant le lieu sacré du dernier repos. L'ange déchu se dirigea droit vers le centre du territoire des morts, ricanant de ses méfaits. Et le pire restait à venir...

Tenant le morceau de métal comme une guitare, Luka chanta à tue-tête et avec une perfection dans le faux les couplets entraînants de "Highway to Hell". Non pas que Luka aimait le groupe AC/DC, mais il connaissait cette chanson assez mal pour son spectacle navrant et puis, c'était une parfaite occasion pour la chanter, non ? Au fond de lui, le démon espérait que les morts fussent grincheux ce soir...

Non, décidément, personne ne le laisserait dormir en paix. Ce fut en tout cas la pensée du Baron qui, allongé dans son lit, bras en croix, fixait le plafond depuis dix minutes d’un air mauvais, maudissant dans toutes les langues le petit salopiot qui beuglait – faux – du AC/DC au beau milieu de son cimetière.
Entre Jimmy quelques jours plus tôt, qui avait fait un fracas à réveiller les morts – ce qui s’était d’ailleurs passé – et l’autre énergumène qui se prenait pour une rock star du Dimanche, il était servi. A croire que le seul moyen pour lui de pouvoir faire une vraie nuit de sommeil, ce serait raide mort au fond d’une boîte.
En marmonnant de nouvelles insultes, l’ancien dieu se redressa finalement et foudroya sa fenêtre du regard, comme s’il avait voulu faire taire le « chanteur » rien que par ce geste.

- C’est toi qui va finir dans une boîte si tu continues, marmonna-t-il dans sa barbe inexistante.

Se levant, il sauta dans ses chaussures, enfila rapidement sa queue de pie et attrapa sa pelle, bien décidé à en donner quelque coups au personnage fort sympathique qui avait décidé de venir jouer la sérénade dans SON cimetière à cette heure-là de la nuit.

Avançant à grandes enjambées énervées entre les tombes, il était un peu trop agacé par son réveil soudain pour voir à quel point les morts se cachaient bien au fond de leurs sépultures, et les âmes errantes s’étaient toutes réfugiées le plus loin possible sans pourtant parvenir à sortir du cimetière.
Finalement, il repéra le tourmenteur de sa nuit bien méritée et s’approcha rapidement, lançant un pas content du tout :

- Non mais ça va pas de faire du bruit à cette heure, espèce de petit c-OH MERDE !

La fin de sa phrase lui avait échappé toute seule, au moment même où il s’était arrêté net, reconnaissant parfaitement le drôle de travelo en face de lui.
En même temps, difficile d’oublier le charmant angelot qui avait entrainé avec lui un bon gros tiers du Paradis lors de sa révolte contre son si charmant papounet.
Le Roi de l’Enfer lui-même, l’archange déchu, le Prince des Ténèbres – bref, Lucifer se tenait actuellement debout en plein milieu de son cimetière, à brailler aussi faux que possible une chanson qui, bizarrement, lui correspondait assez bien.
Si ça c’était pas une mauvaise situation, alors Samedi ne savait pas ce que c’était.
La seule chose qu’il fut capable de dire, ce fut un légèrement bredouillant :

- Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Objectif atteint. Le maître des lieux était levé. Il se tenait là, devant un Luka plié en deux. Ce dernier ne savait pas si c'était la tête du Lwa qui venait de le reconnaître ou le qualificatif qu'il avait obtenu de sa part qui l'avait déclenché, mais le fou rire dura une bonne minute avant que le Père des Démons ne se calme et reprenne son souffle. Il s'appuya d'ailleurs sur l'épaule du Baron pour ne pas s'écrouler, et en profita pour jauger ce croque-mort, assurance inconnue d'un repos éternel.

« Une divinité de la Mort dans un cimetière... C'est pas un peu cliché, cher Loa ? En tout cas, c'est une belle descente... Tu crois pas ? »

Le démon se releva, fit quelques pas, et alla s'asseoir confortablement sur une des tombes alentours. Non pas que ce fut particulièrement confortable, mais la paresse, un bien vilain défaut, hantait parfois ses actes. Profanation ou non. D'ailleurs, n'était-il pas parfaitement en dessous de tout ça ? Oui, en dessous. Les Enfers se trouvent en dessous, le Paradis au dessus, et... bref.

« Il faudra que tu me dises, Baron... Qu'est-ce qu'un co-merde ? On ne me l'avait jamais faite, celle-là ! »

Enfoncer le couteau dans la plaie, le retourner, une fois, deux fois, il était temps de passer aux choses sérieuses. Le Baron allait s'impatienter, et même s'il n'était pas en état de lui refuser un échange de faveur, rien ne l'en empêchait.

« Parlons plus sérieusement, même si cela semble impossible... Tu n'ignores pas que je suis SDF depuis que pôpa a verrouillé mon chez-moi et en a changé la serrure, mmh ? Et bien... Je suis là pour ça. »

Les choses n'allaient pas du tout. Mais alors, pas du tout du tout. Le Baron se retrouvait dans une situation improbable qu'ils n'auraient jamais pu imaginer, pas même dans ses pires cauchemars. Traîner près des anges était déjà dangereux, mais alors se retrouver nez à nez avec l'archange déchu, c'était une situation des plus délicates et difficiles qu'il aie jamais eu à affronter. Le Loa se demanda un moment ce qu'il avait bien pu faire à l'univers pour qu'il fasse tomber sur lui cette calamité en talons aiguilles.
Lorsque le Prince – ou la Princesse, Samedi ne savait pas trop comment il devait l'appeler – vint s'appuyer sur son épaule, il répondit par un sourire crispé et haussa les épaules.

- Oh, tu sais, le cliché, c'est une petite chose très relative, hein !

Il laissa échapper un rire qui se voulait enjoué, mais au final les sons qui s'échappèrent de sa gorge étaient incroyablement stressé.
Il regarda Lucifer aller tranquillement s'installer sur une tombe ; pendant une seconde, la folle envie de le faire tomber de son fauteuil improvisé à coup de pelle s'imposa à lui, son instinct de protection envers tout ce qui était sépultures et cimetières revenant au galop. Cependant, l'instinct de survie fut le plus fort, et il ne broncha pas d'un cheveux, peu désireux au final de se faire massacrer à une heure pareille de la nuit.
Il répondit à la pique lancée par le démon avec un nouveau sourire stressé.

Mais qu'est-ce qu'il me veut, celui-là ? pensa-t-il, toujours aussi peu rassuré.

Sa question trouva réponse un instant plus tard – enfin, réponse, c'était vite dit.
Le Baron haussa les sourcils, ses yeux oranges fixés sur le drôle de travelo toujours affalé sur sa pierre froide.

- Rien que ça, hein ? Et qu'est-ce qu'un vieux dieu des morts comme moi peut faire pour toi ? C'est pas des temps faciles pour moi non plus, ça fait longtemps que plus personne ne me voue un culte.

La demande de Lucifer l'avait intrigué. Curieux mais méfiant, il mit de côté son stress tout à fait compréhensible et attendit des explications, appuyé sur sa pelle.