Kasper avait fait un pari qu’il commençait un peu à regretter, quand bien même l’idée de base l’avait enthousiasmé un max.
Ce n’était pas tant la robe, dans laquelle il se sentait légèrement engoncé, ni même la longue cascade de cheveux qui retombait en boucles blondes sur ses épaules, et encore moins la fausse poitrine qu’il arborait fièrement, non.
Ce n’était pas non plus le fait de se balader ainsi accoutré dans tout Naniwa parce que, soyons honnêtes un instant, il adorait ça. Il était à fond dans son rôle, jouant le jeu jusque dans les moindres détails et jubilait intérieurement d’arriver à rouler chaque personne qu’il croisait, et que pas une ne se rende compte de la supercherie.
Non, la cause de ses remords était autrement plus importante que tout ça !
Il avait dû raser son bouc.
Riez, vous qui lisez ça, mais laissez-moi vous dire que si vous étiez à sa place, vous ne feriez pas les malins hein. Kasper l’avait adopté depuis pas loin d’une trentaine d’années, et il n’était pas exagéré de dire qu’il se sentait nu maintenant qu’il ne l’avait plus. D’ailleurs, il n’arrêtait pas de se passer la main sur le menton, semblant à chaque fois s’étonner de le trouver aussi lisse. Et, non, il n’arriverait définitivement pas à s’y faire ! Autrement dit, dès qu’il en aurait fini avec ce défi stupide qu’il n’avait pu s’empêcher de relever, il ne resterait pas une minute de plus avant de se confectionner faux bouc en attendant que ses propres poils de barbe aient suffisamment repoussé pour qu’il puisse s’en passer. Parce qu'autant il pouvait concevoir que cela ait été une action nécessaire pour jouer les demoiselles, autant il ne pouvait s’imaginer lui, dans ses accoutrements normaux, se balader et se présenter sans sa précieuse barbiche. C’était tout une part de son image qui s’en était allée avec, et il ne visualisait que trop bien ô combien il aurait l’air ridicule une fois qu’il aurait recouvré son allure de tous les jours, mais que son menton serait toujours aussi désespérément vierge de tout poil.

L’hybride était donc perdu en plein dans ses débats mentaux existentiels et n’accordait qu’une attention très vague à ce qui l’entourait, sachant qu’il n’avait de toute façon que très peu de chances de se perdre dans Minami puisqu’il connaissait les lieux mieux que ses propres poches. Pour tout vous dire, ces dernières étaient une source inépuisable de surprise pour leur propriétaire, qui n’avait cesse d’y découvrir des choses dont il ne se rappelait même pas avoir eu en sa possession un jour.
Mais revenons-en à nos moutons, si vous voulez bien : Kasper arrivait au stade de ses pensées où il réfléchissait à la manière la plus adéquate de se venger de l’instigateur de tout ça, lorsque son chien eut la bonne, magnifique, sublime idée de lui couper la route alors même que ce dernier ne regardait pas où il mettait les pieds.

Et là… ce fut le drame.

La chute fut superbe, il ne lui manquait que le slow motion pour être parfaite sur tous les points : croyez-moi, ça valait le détour. Kasper s’affala de tout son long sur le bitume au milieu d’une foule qui s’écarta instinctivement plutôt que d’essayer de le retenir, tête la première et bras en avant. Autant dire qu’il dû de ne pas s’exploser le nez ou les dents sur l’asphalte qu’à sa chance d’être un personnage de rp et non pas une personne réelle venant de se prendre une gamelle réelle en pleine rue.
…
Oui bon, chut hein.

« Albert-Aristote, grommela-t-il redressant la tête, l’air tout de même un peu sonné, Ce ne sont pas des manières correctes que vous avez là. »

Il s’interrompit toutefois avant d’avoir terminé sa phrase, venant soudain de réaliser qu’un obstacle encombrait son champ de vue déjà très limité par sa position actuelle : une paire de chaussures. Avec des pieds dedans, lesquels étaient reliés à des jambes menant elles-mêmes à… oh bon, vous avez compris, hein. Vint alors le moment où il croisa enfin le regard du jeune homme aux pieds duquel il venait de s’étaler de la manière la plus lamentable qui soit, et il se sentit soudain rougir en même temps qu’il laissait échapper un petit « Oh » très pitoyable.

Citation :

Coulrophobie : n.f - sing. (médecine) Phobie, peur extrême des clowns. Peur de tout ce qui touche de près ou de loin le domaine du cirque et des forains.

Autant dire qu’Alexis ne correspond pas à cette définition.
La fête foraine, ça l’amuse. Ça l’émerveille. Telle une gosse en plein Pays Imaginaire, elle plonge dans cet univers intriguant, magique. Loin de la mettre mal à l’aise, les clowns la font rire, les lanceurs de couteaux et les dresseurs de fauves lui font retenir son souffle, quant aux magiciens, elle en est fascinée.
Et pour votre gouverne, non, elle n’a jamais entendu parler de John Waynes Gacy, le Clown Tueur des USA. Et elle n’a jamais vu ni Clownhouse, ni Le Clown de l’Horreur – elle n’aime pas les films d’horreur. VRAIMENT pas. Elle n'a même pas vu l'épisode du "Clown-qui-tue-les-gens-grâce-à-leurs-enfants" (pfiou) de Supernatural. C'est dire. Alors pensez-vous. Pour elle, le principe du Clown Maléfique, pfuit. Ça n’existe pas. Elle ne connait point.

Peut-être était-ce la raison de sa venue au Wonderland Circus en cette fin de journée. Par convention, on allait au cirque en famille, parfois entre amis. Mais elle, ça ne la dérangeait pas de s'y rendre seule. C'était même plus logique pour elle. Après tout, on rêve beaucoup mieux lorsque l'on est seul et qu'il n'y a personne dans le coin pour crever cette petite bulle dans laquelle on s'enferme pour se couper de la réalité un moment. Alors quand un client régulier de l'Imaginarium, qui connaissait quelques uns de ses gouts à force de papotages, lui avait apprit que la troupe du Wonderland allait présenter un nouveau spectacle ce soir, elle s'était sentit l'obligation morale d'y assister. Question de principe. Enfin, non, les principes n'avaient rien à voir ici, mais elle se comprenait.

Elle s'autorisait rarement des congés. Alors quand elle prit son après-midi, elle savait qu'il n'y aurait aucun problème de ce coté-là. De plus, la boutique était vide aujourd'hui, et Mihaël était présent. Ajoutez un superbe soleil, un ciel dégagé et les premières températures un tantinet chaudes de l'année, et l'équation était complète. Laissant son cher tablier noir dans l'arrière-boutique du magasin, elle s'était contentée du strict minimum casé dans ses poches (vous la voyez sérieusement avec un sac à main sur l'épaule ? Non, sérieusement ?) et here we go ! Certes, elle était partit bien avant l'heure annoncé du début du spectacle, mais elle avait eu la brusque envie de flâner avant d'y aller. Elle qui avait si peur du temps avait toujours la délicieuse impression qu'il ralentissait un peu quand elle se prenait ce genre de moments d'une paix qui la soulageait.

De déambulations en déambulations, elle avait fini son paisible voyage dans un espace vert non loin du cirque, à nourrir les canards de l'étang - artificiel à n'en pas douter *hum* - en leur lançant des morceaux de pain que lui avait passé le vieil homme à coté d'elle (le premier qui ose dire qu'Alexis a parfois des habitudes de vieux... ! ...Non, bon, il aura raison). Quand fut l'heure d'y aller, elle se leva et salua, tout sourire, l'inconnu qui se délecta de voir qu'il "y avait encore des jeunes sympathiques et polis de nos jours, ohlala quel triste monde tout de même de mon temps on avait la guerre contre les Anges on était sérieux et disciplinés et..."

On pouvait déjà voir le chapiteau principal et entendre la musique des forains de là où elle était. En rythme, Alexis en fredonnait doucement la mélodie. Son esprit était ailleurs, elle s'était déjà déconnectée du monde extérieur.

Jusqu'à ce qu'elle ne se fasse semi-agresser par un flot de paroles rainbow juste devant elle.

La chute de la personne qui en semblait à l'origine avait été rapide et inattendue. L'ange ne l'avait pas vu venir et resta un moment stupéfaite, jusqu'au moment où la pauvre jeune femme redressa la tête vers elle. Et dés que leurs regards se croisèrent, les réflexes d'Alexis prirent le dessus. Elle se courba, une main posée sur son genou, tendant l'autre vers l'inconnue.

— Mademoiselle ? Vous vous êtes fait mal ?

Une autre personne aurait surement rit d'une gamelle aussi monumentale. A plus forte raison en voyant le teint rouge pivoine - de honte ? - de la maladroite. Pas elle, dont les yeux exprimait une bienveillance et une inquiétude sincère. Elle était même prête à oublier le spectacle du cirque s'il y avait besoin de l'emmener voir un médecin (médecin inutile sachant qu'Alexis aurait utilisé ses quelques pouvoirs angéliques encore présent pour la soigner discrètement sur le chemin, mais il fallait bien donner le change). Voyant que la demoiselle ne réagissait pas, l'ange mit ça sur le coup de la surprise et lui attrapa la main sans brusquerie afin de l'aider à se remettre sur pied. Elle l'examina des pieds à la tête par-dessus ses lunettes. A première vue, tout avait l'air d'aller mais on ne savait jamais.

— Vous n'êtes pas blessée ?

Alexis the White Knight.

« Mademoiselle ? Vous vous êtes fait mal ? »

La voix lui parvenait comme s’il était dans un état de semi-rêve et que quelqu’un lui parlait alors qu’il en était encore en train de se réveiller. Pas que la chute qu’il venait de faire eut été à ce point dure, mais plutôt que son cerveau semblait avoir appuyé sur le bouton « pause » à partir du moment où son regard avait croisé celui du jeune brun, en face de lui. Un beau bug neuronal comme il n’en avait pas eu depuis… depuis toujours en fait, il n’était pas vraiment ce genre de personne à se laisser démonter aussi facilement. Il resta complètement figé lorsque l’inconnu se pencha vers lui tout en lui tendant une main secourable, et se laissa relever sans réagir beaucoup plus, et sans avoir réussi à se détacher des curieux iris vairons de son vis-à-vis.

Awwww, mais quel gentleman !
(et pour prendre toute la mesure de ce awwww, mettez le sur un fond rose fushia et rajoutez des étoiles scintillantes dans les yeux de son propriétaire, ça devrait pas mal vous aider à visualiser)

Kasper se prit un véritable coup de fouet mental lorsqu’il réalisa avoir sérieusement pensé ça, et le déclic se produisit. Pour un peu, on aurait pu entendre les rouages se remettre en marche dans son crâne. Mademoi… ? Ah. Ah, oui, c’est vrai. Le mot venait enfin de s’imprimer en gros caractères dans son esprit et il se rappela son rôle. Il passa une main dans ses cheveux, l’air de se recoiffer après cette petite aventure mais vérifiant surtout que la perruque n’en avait pas profité pour glisser un peu, et fut satisfait de savoir que ce n’était pas le cas.

« Merci. », glissa-t-il enfin à l’homme en adoptant la tonalité la plus féminine qu’il était capable d’imiter sans tomber dans le piège d’une voix de fausset. Il lui décocha un grand sourire, puis grimaça et se frotta la mâchoire tout en la faisant jouer un peu parce que oui, personnage de rp ou pas, il avait quand même un peu mal là, mine de rien.

« Je me porte comme un charme, c'est bien gentil à toi de t'en soucier ! Je suis terriblement désolée – c’est beau d’être bon comédien, vous n’imaginez même pas –, je suppose que ça doit être un peu gênant pour toi aussi, vu qu'à cause de moi tu t'es fait remarquer. Qu'est-ce que je peux être maladroite quand je m'y mets ! Enfin, je n'étais pas la seule en tort cette fois-ci. *regard réprobateur et équivoque au chien parfaitement indifférent à toute cette scène* C'est comme ce jour où je m'étais complètement ridiculisée par sa faute : il s'était mis en tête d'aller emprunter un peu de la lingerie fine que ma voisine avait étendue et... non, ça n'a aucun rapport en fait et puis le chat de cette demoiselle, par ailleurs fort charmante, avait sa part de culpabilité lui aussi, mais ne me demande pas en quoi car moi-même je n'en ai pas la moindre idée. Au fait, on t'a déjà fait remarquer que tu avais des yeux superbes ? Ah, rassure-toi, ce n'est pas que j'essaie de te charmer en te complimentant, ils sont vraiment superbes, j'ai toujours eu un faible pour ce genre de particularité – non, promis, rappelle-toi le début de ma phrase – et puis ce jaune est peu banal, c'est naturel ou bien... ? »

Kasper s’amusait comme un fou. Fallait bien qu’il compense son écran bleu mental de tout à l’heure, heh. Encore que, il y était allé mollo par rapport à ce qu’il était capable de faire quand il était vraiment en forme : là, il donnait simplement l’impression d’un esprit un peu simplet qui avait du mal à se focaliser sur une seule chose trop longtemps. Restait plus qu’à voir si son vis-à-vis allait tenter une esquive furtive en prétextant n’importe quoi pour échapper à son flot de paroles inintéressantes, ou si sa politesse l’empêcherait de laisser notre bon Monsieur Loyal tout seul.

Depuis son retour à Naniwa, Alexis avait toujours eu un quotidien paisible. Elle vivait majoritairement parmi les livres, partageant son temps entre son travail à la librairie et son petit appartement ressemblant plus à une bibliothèque qu’à un réel lieu d’habitation. Et tranquillement, elle laissait se dérouler les jours en se forçant de ne pas penser à l’avenir, ou de se demander dans quelle partie du globe elle serait d’ici quarante ou cinquante ans.

De fait, l’ange n’avait pas une vie sociable particulièrement développée. Peu d’amis, et peu de connaissances qui n’étaient pas des clients de l’Imaginarium. Oh, elle n’était pas à plaindre, bien au contraire. La solitude n’était pas quelque chose qui lui pesait. Plus une vieille camarade avec qui elle avait appris à vivre sans trop de soucis. Et surtout, une partenaire indispensable pour sa quiétude d’esprit. Toujours était-il qu’en résultat, Alexis n’était pas spécialement habituée à côtoyer les gens. Elle n’avait toujours fait que les observer de loin ou leur venir en aide, avant de s’en aller promptement. Alors imaginez un peu son état d’esprit – allez-y, essayez, ça devrait pas être trop dur à visualiser – lorsqu’elle tombe sur des énergumènes pareils.

Décontenancée oui. C’est le mot.

Elle ne s’attendait guère à ce que la jeune femme se lance ainsi dans un tel débat à demi-monologué. Elle aurait plutôt eu tendance à croire qu’elle aurait bafouillé un vague remerciement avant de s’éclipser rapidement. Enfin, de son expérience, c’était ainsi que la gent féminine classique réagissait dans ce type de situation.
A croire qu’elle n’était pas tombée sur une personne classique.

Le sourire d’Alexis s’était figé en une expression de légère gêne. Si, vous savez bien, la petite goutte sur le côté de la tempe façon anime – ou cartoon hein, on n’est pas des puristes. Une chose était sure : Si l’inconnue pouvait débiter un tel rythme de ratontage de vie de façon si régulière (et encore, l’Ange avait le pressentiment qu’elle était particulièrement calme pour le moment), c’était qu’elle allait effectivement parfaitement bien.
Un dilemme s’imposa alors. Comment répondre à un tel flot de parole ? Elle n’avait pas pu en placer une, et tout d’un coup, son interlocutrice l’avait lâché sans filet. Trouve quelque chose à dire ma grande. Reprend contenance, ce n’est absolument pas ton genre de rester muette comme ça. Tu as été surprise, certes, mais ce n’est pas une excuse. Reprends-toi un chouïa. Ne serait-ce que par politesse.

— Naturel. …Je pense ?

A vrai dire, elle ne s’était jamais posé la question. Elle savait sa couleur d’iris atypique par rapport aux autres humains. Et même atypique par rapport au monde entier. Mais si les autres voyaient une particularité dans ces couleurs désordonnées, elle-même n’en avait jamais fait grand cas. Elle devait avouer qu’elle n’avait jamais vraiment eu les standards humains ancrés en elle, bien au contraire. Elle n’avait d’ailleurs pris conscience de la beauté et de l’originalité d’une telle polychromie que récemment (Et soyons relatif : Le terme « récemment » pour un ange n’aura surement pas la même intensité que pour un humain. Pour Alexis, « récemment » pouvait vouloir dire « depuis seulement trente ou quarante petites années de rien du tout »)

— Ce n’est pas souvent que les gens osent me poser cette question. Et encore moins si rapidement. C’est agréable de rencontrer des personnes si directes.

La libraire avait déjà retrouvé tout son aplomb et son aisance naturelle. Une fois le cap de la surprise passé, elle retrouva sa façon d’être habituelle. Elle n’était clairement pas du genre à juger les gens. Après tout, c’aurait été un peu l’hôpital se foutant de la charité.

— Quoiqu’il en soit – elle s’était dépêché d’enchainer, se rendant tout de même compte que sa dernière phrase sonnait trop étrange pour être balancée comme elle l’avait fait à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. – je suis soulagée et là, bénissons le fait que Kasper ne possède pas le pouvoir de voir les accords de phrases. que vous n’ayez rien. Même une petite chute comme celle-ci peut être dangereuse.

Remarquant le chien au pied de sa maitresse, Alexis se baissa en tendant la main, le laissant s’accoutumer à son odeur. Il paraissait parfaitement désintéressé par tout le manège de sa propriétaire. Il avait manifestement eu l’occasion de s’habituer. L’Ange adorait les animaux, sans vraiment pouvoir s’expliquer pourquoi.

— Et toi aussi tu vas bien. Ça aurait pu être dangereux pour toi aussi – ce sous-entendu ne visait évidemment pas le poids de la damoiselle (Alexis ne se permettrait jamais) mais il est vrai que risquer de se recevoir dessus un humain de taille normale n’était pas des plus recommandés lorsque l’on ne mesurait pas plus de trente centimètres de haut – Albert-Aristote, c’est ça ? C’est original, ta maîtresse a des gouts… Inédits. Manière polie de ne pas dire « bizarres ».

Elle avait relevé les yeux vers la blonde tandis qu’elle parlait, flattant à présent la tête du canidé.

Magnifique. Un gens qui ne cherchait pas à fuir pour ne pas avoir à subir les bavardages inintéressants de Kasper ! Là, il avait gagné le gros lot. Et ça tombait plutôt bien, parce qu’il avait encore pas mal de temps à perdre avant le début du spectacle. Le jeune homme ne savait pas dans quoi il venait de s’engager, en se montrant aussi aimable et enclin à converser avec lui.
Quoi qu’il en soit, Kasper lui tirait son chapeau – qu’il n’avait d’ailleurs pas actuellement, et qui commençait à lui manquer – pour avoir réussi à reprendre contenance aussi rapidement. La plupart du temps, les personnes qu’il prenait en amour victimisait se sentaient trop gênées pour aligner plus de deux ou trois mots à la suite, alors que lui ne s’était pas laissé démonter plus d’une poignée de secondes. Ça promettait.

« Tu peux me tutoyer tu sais, je ne t'en voudrais pas, et puis je me sentirais moins vieille commça. C'est parce que tu me trouves vieille que tu me vouvoies ? Non parce que ça serait plutôt vexant, si tel était le cas. J'ai l'air d'avoir quel âge, à ton avis, hmm ? »

Pointant son menton – son si beau bouc, il ne s’en remettrait jamais d’avoir osé le raser, c’est sûr D8 – en avant d’un air de défi, Kasper se mit à jouer avec l’une de ses jolies boucles blondes, enroulant et déroulant cette dernière autour d’un doigt, paraissant impatient(e) de savoir ce qu’il lui répondrait.

Et puis il tilta quelque chose dans ce que son vis-à-vis avait dit à l’instant et en oublia instantanément son petit manège, n’ayant de toute façon pas grand intérêt à savoir sa réplique. Enfin, c’aurait été amusant de voir comment il se serait débrouillé pour arriver à ne pas la, pardon, le, j’ai failli oublier que c’était un homme mais bref, revenons-en à la fin de la phrase avant que vous n’en ayez oublié le début, je disais donc : à le vexer, mais sans plus.
Oui, ça ne veut plus dire grand-chose.
Ceci dit, si d’aventure vous avez suivi, vous devriez logiquement vous interroger quant à ce qui avait bien pu interpeller Kasper à l’instant.

Le fait était que notre bon monsieur, malgré qu’il n’ait pas remis les pieds en Pologne depuis un sacré paquet d’années, parlait automatiquement dans sa langue maternelle quand il était pris au dépourvu, qu’il jurait ou qu’il ne trouvait pas ses mots dans une autre langue – ça arrivait, si, si !
Et, s’il était repassé à l’anglais quand il avait commencé son petit monologue de gonzesse, c’était bien en polonais qu’il s’était adressé à son saucisson sur pattes préféré. Pourtant, le brun semblait avoir parfaitement compris de quoi il retournait.

« Tu comprends le polonais ? Mais... Tu viens d'où ? Je veux dire, c'est vrai qu'on trouve de tout à Naniwa mais tout de même, c'est rare d'en croiser qui viennent d'aussi loin. D'ailleurs, je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà rencontré quelqu'un parlant ma langue d'origine dans cette ville. Parce que si tu la comprends, je suppose que tu dois la parler aussi, non ? Ah et au fait, concernant Albert-Aristote, c'est "vous", merci. »

Kasper fit une pause et se passa une main sur le front, haïssant plus que jamais le soleil de chauffer si fort alors qu’il avait une épaisseur supplémentaire de vêtements, et que rien ne protégeait sa tête de ses rayons mesquins.

« Il fait chaud, tu ne trouves pas ? Enfin, qu’il soit d’accord ou non n’avait pas une grande importance en soit. On pourrait poursuivre cette conversation dans un endroit plus ombragé et l'accompagner d'un bon rafraîchissement. D'ailleurs, je prendrais volontiers une glace, il y a justement un vendeur qui en fait d'excellentes pas très loin d'ici. J'espère que ça ne te gêne pas que je t'invite ? Sinon tu n'auras qu'à payer, après tout c'est moi qui ait lancé la proposition ça ferait moitié-moitié comme ça ! Un peu comme si on s'invitait mutuellement, tu vois ? De toute façon, je n'ai pas d'argent sur moi, là... »

A peine un peu gonflé, le Kasper. A peine.

Oula. Doucement. Une question à la fois on a dit. L'ange se redressa, abandonnant la chien à sa maitresse qui, pour le coup, lui semblait être de plus en plus originale. Vouvoyer un chien ? Alexis se souvenait avoir rencontré une riche rombière il y a quelque temps de cela, qui faisait exactement la même chose avec son caniche. Si ses souvenirs étaient bons, c'était dans les années 1850 et des poussières, aux États-Unis. Amusant de constater que d'un continent à l'autre, d'une époque à l'autre, même l'originalité et les personnes étranges finissaient toujours par se ressembler un peu. Comme tout.

Esquivant la question à propos du polonais - elle n'appréciait que peu de devoir dévoiler sa nature angélique si elle n'y était pas obligée, et si on ne le lui demandait pas clairement -, esquivant la question sur l'âge - galante, elle savait qu'il s'agissait d'un terrain glissant et miné lors d'une conversation avec une femme -, elle sauta sur l'occasion de la proposition lancée par cette inconnue qui, il fallait l'avouer, était loin d'avoir sa langue dans sa poche. Une fois que son cerveau eut analysé les paroles débitées à une vitesse inhumaine, une fois qu'elle eu conscience de l'incongruité et du culot de cette demande, Alexis éclata de rire. Ce qui, chez elle, se résumait à un léger rire doux et enjoué, lâché alors qu'une main coupable se place devant les lèvres en un signe d'excuse.

— Des glaces à l'italienne j'espère ? Je ne jure que par ça. Fit-elle sur un ton suggérant son accord.

Douée pour comprendre d'instinct s'il fallait se méfier d'une personne tout juste rencontrée ou non, Alexis sentait que cette jeune femme, bien que complètement loufoque, n'était pas quelqu'un de méchant ou de menaçant. Elle pouvait bien se permettre de lui offrir une glace si elle le désirait, après tout. Alors oui, la demande avait été d'un toupet sans borne, et à sa place, un tiers lui aurait surement intimé que c'était bien beau tout ça, mais que la petite blonde pouvait aller voir ailleurs. Alexis quant à elle, trouvait ce genre de comportement tellement rafraichissant que cela l'amusait plus qu'autre chose. Bien entendu, il y avait des limites à ne pas franchir, même avec l'ange, mais en tel cas elle savait faire comprendre que ça allait trop loin. Le tout avec sourire et diplomatie s'il vous plait.

Cependant, bien que prête à suivre sa compagne improvisée, la musique du cirque, bien audible au vu de leur position par rapport au cirque tout proche, rappela à l'androgyne ce qu'elle était venu faire ici. Elle jeta un coup d'œil à sa montre. Environ un peu plus d'une demie-heure avant le début du grand show.

— Ce glacier, il est si proche que ça ? Je comptais assister au spectacle du cirque. Est-ce que ça vous.... Est-ce que ça t'intéresserait de m'accompagner ? Il suffit de se dépêcher d'aller chercher ça, et de retourner au cirque juste après.

Machinalement, elle avait tendue la main en faisant sa proposition. Pas dans le but que la demoiselle ne s'en saisisse, plus pour appuyer son propos. Malgré son énergie qui semblait peu commune, sa présence était agréable à Alexis, et c'était un plaisir si la blonde acceptait de la suivre. Après tout, tout était tellement mieux en étant accompagné. Seule, l'ange ne manquerait pas de profiter du spectacle, loin de là. Mais il y aurait un petit truc en moins, quelque chose qui gâcherait le plaisir. Un peu comme un plat sans sel.

« Va pour des italiennes alors, ça tombe bien, j’adore ça moi aussi ! Et ne t’inquiète pas, il ne nous faudra guère plus de cinq minutes pour y être, tu auras largement le temps de revenir à l’heure pour assister à la représentation du cirque ! Au fait, comment t’appelles-tu ? Je n’aime pas ne pas pouvoir mettre de nom sur le visage d’une personne avec qui je converse. Pour ma part, tu peux m’appeler Kassie. »

Et Kasper de se saisir de la main que le jeune brun lui avait tendue pour l’entraîner à vive allure vers le glacier, absolument ravi(e) qu’il ait accepté la proposition avec une telle spontanéité.


Réalisation dans 3… 2… 1…


Il pila net.

« Tu viens bien de parler du cirque, hein ? Tu y vas, tu m’inviterais, c’est vrai ? [insérez ici des grand yeux brillants remplis d’étoiles façon enfant à qui l’on vient d’offrir un grand sac rempli de bonbons] Bien sûr que j’accepte ! Comment pourrais-je faire autrement, et ainsi refuser d’y accompagner un jeune homme aussi charmant que toi ? Et puis je n’ai pas encore eu le temps d’assister à l’un de ses spectacles depuis que je suis ici, c’est à cause de mon boulot, je ne suis pas vraiment libre durant les soirées généralement tu comprends. Alors vraiment, ça me fait très plaisir que tu me proposes ça ! »

Tenant toujours la main de l’ange dans la sienne, Kasper reprit son petit bonhomme de chemin jusqu’à la petite boutique du vendeur, que l’on pouvait apercevoir non loin. Boutique dans laquelle il n’y avait d’ailleurs jamais posé ne serait-ce qu’un orteil, s’étant juste fié aux chaudes recommandations d’un camarade pour y traîner bon grés mal grés son nouveau compagnon.
Puis vint le moment, ce terrible moment, où il fallut que l’hybride fasse son choix quand aux parfums qu’il souhaitait pour sa glace. Il s’était déjà extasié pendant quelques longues minutes à propos de l’incroyable diversité que le glacier présentait, mais l’heure était désormais à la décision… et croyez-le, c’était loin d’être simple pour notre ami des rainbows.

Eh bien oui, tenez-le vous pour dit, Kasper n’aimait pas les glaces. Sérieusement. Il ne les supportait pas.
L’hybride n’avait jamais vraiment aimé le sucré en règle générale. L’odeur, oui, mais le goût… nan. Le problème ? Kassie, elle, adorait les glaces. Kassie était une jeune femme fleur-bleue, un peu cui-cui sur les bords et assez extravagante, et elle adorait les glaces. Kassie ne pouvait décemment pas prendre une simple glace à la vanille, ou au chocolat. Ça ne lui correspondait pas.

« Violette-pistache-lavande-citron-fraise, c’est possible ? »



… ça l’était.